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671 Voir le chapitre sur La situation économique et démographique produit par Valérie Courville.

2 Pour plus de détails, voir les chapitres sur La gouvernance démocratique de la sécurité et La police et les mouvements sociaux produit par Amélie Forget et celui sur les Relations police-citoyens : faire face aux défis émergents produit par Herman Okomba Deparice.

3 Pour certains auteurs, ce rappel à la réforme de Peel est davantage un discours mobilisateur qu’une réalité qui se compare avec la police communautaire telle qu’on la connaît aujourd’hui (Carter 1999; Robin, 2000 dans Beauchesne, 2010).

Le travail de la police a beaucoup changé depuis le début des années 90. Comme pour tout autre profession, il y a d’abord une multiplication des technologies mises à la disposition des policiers. Cette professionnalisation les rend techniquement mieux outillés pour combattre le crime et exercer d’autres fonctions policières. Ensuite, sur le plan des ressources humaines, les recrues sont plus éduquées, proviennent de milieux plus diversifiés et sont davantage encadrées par les organisations. Les organisations policières ont diversifié leur personnel (plus de minorités ethniques, plus de femmes, plus de gais et lesbiennes, plus de membres civils) pour se rendre encore plus accessibles et plus près de leur communauté. Par ailleurs, les défis auxquels ces organisations doivent répondre ont également évolué. Nous pensons entre autres au vieillissement de la population1, aux nouvelles formes de criminalité, aux

mouvements sociaux locaux et internationaux, à l’immigration, au terrorisme, à la perte de la confiance de la population envers les institutions politiques et gouvernementales et au déplacement de la criminalité dans l’espace virtuel. Finalement, le financement gouvernemental se fait, lui, de moins en moins disponible alors que les attentes envers les policiers sont toujours grandissantes2. Devant tant de changements, il n’est pas étonnant

que se pose aujourd’hui la question sur la poursuite de la police communautaire comme paradigme dominant du travail policier.

La police communautaire est perçue comme l’une des innovations policières les plus radicales en matière de policing depuis le dernier quart de siècle. Un sondage mené en 1997 démontre que 85 % des corps de police américains disent avoir adopté le modèle communautaire (Skogan, 2006). Au Québec à pareille date, la plupart des petits corps de police municipaux ont manifesté l’intention d’implanter le modèle, alors que la Sûreté du Québec (SQ) et le Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) en étaient à sa consolidation (CIPC, 2000). L’implantation du modèle a été fortement subventionnée, les recherches et les programmes se sont multipliés au fil des ans, mais les évaluations scientifiques rigoureuses portant sur l’efficacité du modèle tardent à aboutir. La documentation récente aborde une série de contraintes internes et externes aux organisations policières qui remettent en question le modèle et ses composantes, et indique peu de résultats probants sur son efficacité à réduire le crime, à augmenter le sentiment de sécurité et à maintenir l’ordre. Plutôt que de problématiser la police communautaire en fonction de ses contraintes et ses limites, ce chapitre suggère de concevoir la police communautaire en fonction de sa capacité à appréhender les changements de l’environnement. Nous soutenons que la police communautaire devrait se définir par une flexibilité et une maturité qui lui assurent, d’une part, le pouvoir de soutenir

les diverses évolutions technologiques, administratives et opérationnelles et, d’autre part, le savoir organisationnel issu de vingt ans de relations avec les citoyens.

Dans ce chapitre, nous posons d’abord un regard sur l’évolution de la police communautaire. Ce bref survol permettra d’exposer le contexte en faveur de son institution et démontrera l’ambivalence relative de son efficacité à réduire le crime et le désordre. Ensuite, les principaux constats attribués à trois composantes du modèle en Amérique du Nord, soit l’implication des citoyens, la résolution de problèmes et la décentralisation seront relatés. La dernière section explorera la capacité innovante de la police de quartier en se penchant sur trois exemples d’innovation au Service de police de la Ville de Montréal : l’Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance (ÉMRII), les Modules d’actions par projet (MAP) et l’Équipe corporative de lutte, d’intervention et de prévention des situations émergentes (ÉCLIPSE). Ces exemples permettent de démontrer comment les innovations policières peuvent être facilitées dans le cadre du modèle de police de quartier du SPVM. Ces mêmes innovations font appel aux composantes du modèle pour augmenter leur adaptabilité et leur efficacité.

1. L’évolution de la police communautaire

La police communautaire telle que nous la connaissons aujourd’hui est en quelque sorte un renouveau de l’approche policière développée en 1829 par Sir Robert Peel, une approche connue sous le nom de police professionnelle de type communautaire (Withelaw et Parent 20103). Cette approche faisait appel à une nouvelle manière d’aborder le crime,

les problèmes de criminalité et d’insécurité. Nous désignons alors une police basée sur la prévention de la délinquance, et sur l’usage de la répression en dernier recours (Ober, 2002). Néanmoins, vers le milieu des années 1900, la décentralisation des forces policières a comme effet le développement d’une hiérarchisation organisationnelle, d’une spécialisation des fonctions policières et d’une dévalorisation des fonctions de patrouille (Trojanowicz et Bucqueroux, 1998; Brodeur, 2003). La police professionnelle étatisée revient alors à la charge pour lutter contre le crime de manière objective et scientifique : une police professionnelle moins accessible à la population.

Vers la fin des années 80, le concept derrière la police communautaire devient de nouveau populaire auprès des politiciens, élus municipaux et citoyens en général. En fait, au début des années 90, un consensus indiquant que les pratiques policières traditionnelles remettent en question l’efficacité de la police, l’augmentation des courbes de délinquance et les

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leadership, vision, partenariat, résolution de problèmes, équité, confiance, empowerment, service et imputabilité (Trojanowicz et Bucqueroux, 1998). Notre exercice ne consistant pas à en faire la revue,

nous nous réservons les trois principes cités pour la suite logique de ce chapitre. 6 http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2012001/article/11692-fra.htm#a1

7 Montréal démontre une constance avec environ 90 % de la population qui disent que leur quartier est très ou moyennement 4 En ajoutant que la répression et la dissuasion produisent des contrecoups négatifs comme l’augmentation

des populations carcérales, la surreprésentation des délinquants provenant de milieux socioéconomiques pauvres et la faiblesse des relations police-communauté (Tyler, 2006).

5 Il y a une variation dans les principes de base de la police de type communautaire selon les auteurs ou les souteneurs de son application. Par exemple, au Québec la politique ministérielle propose quatre axes

inquiétudes relatives à la légitimité des actions de la police est établi (Weisburd et Braga, 2009, Chalom, 1999)4. Ainsi, l’augmentation ou la baisse de l’intensité des patrouilles, la

réponse immédiate à tous les signalements de crimes et délits, l’augmentation de l’effectif policier ainsi que les méthodes d’enquêtes spécialisées sont des pratiques policières qui ne répondent plus aux obligations de la police. Dans cette approche centrée essentiellement sur la réponse aux appels et le travail en silo, il est éventuellement reconnu que la police ne peut à elle seule résoudre les problèmes. Les postulats de base de la police traditionnelle sont brisés et créent par le fait même un besoin perceptible de changement dans le business de la police : on y recherche une nouvelle légitimité.

La police de type communautaire, une des premières innovations à répondre à ce besoin, repose essentiellement sur trois principes intimement reliés : l’implication des citoyens (le partenariat), la résolution de problèmes et la décentralisation (Skogan, 2004, 2006)5.

Cette philosophie propose que la police et la communauté doivent équitablement travailler à l’identification, à la priorisation et à la résolution des problèmes de criminalité et de sécurité en assurant par le fait même, une augmentation de la confiance entre la police et la communauté. De plus, elle vise un engagement de l’ensemble du personnel policier et civil des organisations policières, en tenant compte dans la pratique, du besoin d’équilibre entre la réponse aux appels urgents et la recherche d’initiatives proactives pour prévenir les problèmes de criminalité. Enfin, elle repose sur la décentralisation et la personnalisation des services policiers, chaque policier étant pourvu (et libre) du mandat de connaître et de renforcer la communauté, en adoptant des pratiques de résolution de problèmes dans le but de rendre les quartiers plus sécuritaires (Trojanowicz et Bucqueroux, 1998 ; Scheider, et coll., 2009).

La police communautaire a donc redéfini la façon de faire de la police, elle a entraîné une extension de ses fonctions primaires. Au-delà du contrôle de la criminalité, la police devrait dorénavant traiter des problèmes de délinquance, assurer la sécurité, faire en sorte que les quartiers soient sécuritaires et que les résidents s’y sentent en sécurité. Elle a également redéfini le rôle de la population en l’incluant dans l’élaboration des objectifs et des mandats de la police. Le tout, dans un but d’assurer une plus grande légitimité de la police : « le community policing offrit à la police une innovation qui non seulement fournissait des problèmes auxquels la police pouvait peut-être répondre de manière efficace, mais aussi une méthode de définition de ces problèmes qui la rapprochait de la population » (Weisburd et Braga, 2009, p. 1116).

Quelques années après sa diffusion, maints sociologues et criminologues commencent à s’intéresser aux effets de cette réforme policière sur plusieurs plans. Les principales questions de recherche se situent autour de l’impact du mouvement de réforme sur les attentes de la population, sur la structure des organisations policières et la performance policière, sur la capacité à réduire le crime, à offrir un service équitable et à maintenir le sentiment de sécurité à un niveau satisfaisant et enfin, un intérêt est porté sur les effets de cette réforme policière sur la légitimité de la police (Mastrofski, 2006). Sur un plan plus général, un questionnement repose sur la capacité de concrétiser une réelle réforme de la police dans un contexte de résistance au changement dû principalement à la culture policière (Diaz et Desbiens, 2011). Pour certains, la police communautaire engendre le changement le plus radical dans les fonctions policières et les modes d’organisation traditionnels, et il est acceptable de croire que les policiers sont en général résistants à son adoption (Weisburd et Braga, 2009 ; Diaz et Desbiens 2011).

En Amérique du Nord, depuis les vingt dernières années, il est admis qu’il y a une baisse générale de la criminalité. Selon Statistique Canada, le taux de crimes déclarés par la police était toujours en baisse en 2011. Depuis 1991, alors qu’il atteignit un sommet, le taux suit une tendance générale à la baisse, et il se situe maintenant à son point le plus faible depuis 19726. Statistique Canada rapporte également que dans l’ensemble,

la plupart des Canadiens sont satisfaits de leur sécurité personnelle par rapport au crime. En 2009, plus de 9 Canadiens sur 10 (93 %) se sont dits satisfaits de leur sécurité personnelle relativement au crime (Brennan, 2011).De la même manière, les sondages menés auprès des citoyens montréalais démontrent que le niveau de sécurité est demeuré sensiblement le même depuis environ les vingt dernières années7. Or, à son paroxysme,

la police communautaire aurait pu provoquer des effets contraires. Premièrement, une augmentation de la criminalité déclarée causée par plus de dénonciations de la part des citoyens (qui sont plus en confiance et qui ont plus de contact avec les policiers) et par plus de délinquants pris sur le fait, grâce à une présence accrue des policiers sur l’espace public, aurait pu se manifester. Deuxièmement, une augmentation du sentiment de sécurité due sensiblement aux mêmes arguments aurait pu se dégager au fil des ans.

Malgré l’importance accordée à la police communautaire, importance qui se traduit par son pouvoir de diffusion et par l’investissement politique et économique qui lui est consenti, les études rigoureuses portant spécifiquement sur son efficacité à réduire le crime, augmenter le sentiment de sécurité et maintenir l’ordre constatent plusieurs limites. Selon Wiesburd et

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