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Polymérisation par ouverture de cycle de l’ε caprolactone (ε –CL) catalysée par les acides

I. B.3 Voies cationique et acide

Nous allons séparer l’étude de ces voies en deux parties, en fonction de la composition du système catalytique. Le point de distinction sera l’utilisation ou non d’un amorceur protique en complément du catalyseur. Le premier point traitera de l’utilisation de catalyseurs seuls, qu’on appellera alors promoteur et le deuxième des systèmes catalyseur/amorceur protique.

Ces systèmes développés dans les années 1980 correspondent chronologiquement aux premiers systèmes non-métalliques pour la ROP de monomères oxygénés, comme les lactones ou les carbonates cycliques.13 Ils ont été principalement étudiés par Kricheldorf et al. en Allemagne. Les polymérisations cationiques de l’ε-caprolactone sont alors catalysées par des agents d’alkylation, du type triflate de méthyle (MeOTf), fluorosulfonate de méthyle (MeOSO2F) ou triflate de triméthylsilyle (Me3SiOTf). Les auteurs proposent un mécanisme

par activation de monomère, ouverture de cycle par clivage de liaison O-alkyle puis propagation par transfert d’extrémité de chaîne entre le contre-anion et un autre monomère (Figure 1.5 avec MeOTf).

Pour MeOTf et MeOSO2F, les polymérisations sont effectuées dans le nitrobenzène à

50 °C entre 4 et 120 h, pour des rapports [M]/[I] de 10 à 400. Ces polymérisations donnent des polymères de masses faibles par rapport aux DP visés, Mn < 8 000 g/mol avec des

dispersités larges.14 A des températures plus faibles, il n’y a pas de polymérisation et à des

températures plus élevées, le polymère est dégradé. Avec Me3SiOTf la polymérisation est

plus lente qu’avec les promoteurs précédents. L’activation de la lactone par silylation est en effet considérablement moins efficace que par méthylation.15

Le diméthylétherate de trifluoroborane induit également la polymérisation mais

13 H. R. Kricheldorf, J. Jenssen J. Macromol. Sci.-Chem., 1989, A26(4), 632-644.

14 J. M. Jonté, R. Dunsing, H. R. Kricheldorf J. Macromol. Sci.- Chem., 1986, A23, 495-514. 15 R. Dunsing, H. R. Kricheldorf Eur. Polym. J., 1988, 24, 145-150.

conduit à des faibles masses par dégradation rapide de la PCL obtenue.16

Pour finir, Yamashita et al.17 ont montré en 1979 que, lors de la polymérisation de l’ε-caprolactone amorcée par l’acide triflique dans le xylène à 100 °C, le monomère est converti en premier en un polymère linéaire et que des oligomères cycliques sont formés en quantités significatives lorsque le taux de conversion approche les 90 %, pour des temps de réaction supérieurs à 5 heures. Cependant, pour des concentrations initiales en monomère élevées, les oligomères cycliques ne sont pas détectés. Aucune information n’est donnée sur les masses accessibles avec cet acide.

Ces premiers exemples confirment bien l’importance de l’activation de la CL pour mener à bien sa polymérisation. Même si tous ces promoteurs entraînent la polymérisation de la CL, aucun résultat ne traduit une polymérisation avec des masses bien contrôlées et/ou dans des conditions douces. Pour pallier ces problèmes, plusieurs auteurs proposent l’utilisation d’un amorceur protique, le plus souvent un alcool, espèce nucléophile exogène qui pourra être incorporé au sein du polymère et jouer le rôle de contrôleur de masses et de la longueur de chaîne des polymères. Le monomère sera toujours activé par un catalyseur, mais qui restera dans ce cas libre tout au long de la réaction.

I.B.3.b. Systèmes Monomère / Amorceur / Catalyseur

Les catalyseurs rencontrés pour ces systèmes catalytiques sont des acides de Brönsted se situant dans une gamme d’acidité très large. Leur mode d’action est présenté Figure 1.6.

16 P. Christian, I. A. Jones Polymer, 2001, 42, 3989-3994. 17 H. Yamashita, Polymer Preprints, 1979, 20, 126-129.

Le premier exemple en date est tiré d’un brevet de la société Solvay18 publié en 1995 décrivant la polymérisation de l’ε-caprolactone en présence d’acide phosphorique, d’hydroxyalkylacrylate et de 4-méthoxyphénol à 100-130 °C, pendant plusieurs heures (Figure 1.7). Les polymères obtenus présentent des masses de 300 à 3 000 g/mol. L’objectif étant de préparer des macroamorceurs fonctionnalisés de taille bien définie, il n’est pas décrit d’exemples précis de masses supérieures à 650 g/mol pour un DP visé de 2.

Un tournant est marqué au début des années 2000 avec les recherches des groupes de T. Endo19 et R. Jérôme20 qui étudient la polymérisation de l’ε-CL catalysée par le chlorure d’hydrogène dans l’éther. La réaction se fait avec le système n-BuOH/HCl.Et2O, dans le

dichlorométhane, à 25 °C pendant 24 h. Les masses maximales atteintes sont autour de 6 000 g/mol et s’éloignent des masses théoriques lorsque le rapport [M]0/[I]0 augmente, et ce quelle

que soit la concentration initiale en monomère. Plusieurs équivalents d’HCl par rapport au n- butanol sont nécessaires pour pouvoir polymériser en moins de 30 h entre 75 et 130 unités d’ε-CL. Les dispersités sont faibles, comprises entre 1,1 et 1,3. Les différents résultats sont

18 R. C. Wasson, Solvay Interox Ltd WO9518170, 1995.

19 Y. Shibasaki, H. Sanada, M. Yokoi, F. Sanda, T. Endo Macromolecules, 2000, 33, 4316-4320. 20 X. Lou, C. Detrembleur, R. Jérome Macromolecules, 2002, 35, 1190-1195.

Figure 1.7. Polymérisation de l’ε-CL catalysée par l’acide phosphorique Figure 1.6. Mode d’action d’un système amorceur/catalyseur acide et ouverture de cycle

consignés dans le tableau 1.1.

Tableau 1.1. Résultats de Jérôme et Endo pour la ROP d’ε-CL catalysée par HCl18, 19

[CL]0/[BuOH]0 [CL]0

(mol/l)

[HCl]0/[BuOH]0 Temps Conva Mn (théo)

(g/mol) Mn (SEC) b (g/mol) Mw/Mn b 20c 1 1 24h 100% 2 280 1 700 1,08 20 1 10 24h 99% 2 280 1 500 1,17 40 1 1 24h 100% 4 560 3 650 1,13 75 1 4 24h 95% 8 550 4 500 1,14 100 1 5 24h 94% 11 400 5 800 1,15 130d 4 3 29h 95% 14 820 6 160 1,25 90 4 3 24h 95% 10 260 3 920 1,16

Polymérisation effectuée à 25°C dans CH2Cl2a Déterminée par RMN 1H b Déterminée par SEC dans le THF en

équivalents PS avec application d’un facteur de correction de 0,56.cRéférence 18. dRéférence 19.

Ces polymérisations ont l’avantage de se produire dans des conditions douces conduisant à des polymères de dispersités faibles. Cependant, il faut plusieurs équivalents d’un acide hautement corrosif pour synthétiser des polymères plus longs, sans toutefois pouvoir accéder à des masses bien contrôlées, à cause du plafonnement des masses pour des DP visés croissants.

Pour la synthèse d’architectures étoilées, Endo a également utilisé d’autres acides organiques comme les acides trichloro- et trifluoroacétique, et deux diacides l’acide maléique et l’acide fumarique, en utilisant des polyols comme amorceurs.21 La polymérisation s’effectue dans des conditions plus poussées : en masse, avec un large excès en catalyseur et à des températures plus élevées. Même s’ils sont moins acides que l’acide chlorhydrique, tous ces acides semblent être plus actifs, bien qu’une comparaison précise n’est pas aisée étant donné que solvant, structure du polymère et températures varient (Tableau 1.2). Les masses

sont également difficilement interprétables puisqu’issues d’équivalents polystyrène sans facteur de correction connu pour ces structures étoilées.

Tableau 1.2. Synthèse de PCL étoilées catalysée par divers acides

Catalyseur pKa Solv. [CL]0/ [ROH]0 [HCl]0/ [BuOH]0 Temp. (°C) T Conv Mnb (SEC) (g/mol) Mw/Mnb HCl.Et2O -7 THFa 80 6 20 75h 35% 7 600 1,24 HCl.Et2O -7 DCMa 80 12 20 72h 43% 13 300 1,40 CF3CO2H 0,3 - 100 6 70 6h 95% 8 100 1,67 CCl3CO2H 0,7 - 100 20 70 6h 73% 6 000 1,98 Acide maléique 1,8 6,1 - 100 6 70 6h 79% 10 300 1,27 Acide fumarique 3,0 4,4 - 100 10 90 12h 81% 9 500 1,09 a[ε-CL]

0= 1 mol/lbDéterminée par SEC dans le THF en équivalents PS

Il serait intéressant de connaître l’activité de ces acides organiques dans les conditions décrites par Endo et Jérôme pour avoir des points de comparaison fiables et se faire une idée de leur réel potentiel en conditions plus douces.

D’autres acides organiques ont été décrits par Cordova et al.22 en présence d’alcool benzylique sans solvant à 120°C : acides tartrique, citrique, lactique et la proline (pKa = 3 à

6). Les ratios ε-CL/alcool/acide sont pour tous les exemples de 30/1/3. En présence d’acides

22 J. Casas, P. V. Persson, T. Iversen, A. Cordova Adv. Synth. Catal., 2004, 346, 1087-1089.

tartrique, citrique ou lactique, la polymérisation dure entre 4 et 8 h avec des masses en accord avec la masse théorique de 3 000 g/mol et des dispersités autour de 1,2-1,3.

Tableau 1.3. ROP d’ε-CL catalysée par divers acides organiques

Polymérisations effectuées sans solvant à 120°C, [ε-CL]0/[BnOH]0/[Cata]0 = 30/1/3

Ces catalyseurs ont des activités intéressantes en regard de leur acidité, mais les conditions utilisées sont très poussées, en masse et à 120°C. Les masses visées ne sont pas très élevées et la synthèse de polymères de plus hautes masses n’a pas été envisagée. Il est clairement indiqué que la polymérisation peut être stoppée en diminuant la température jusqu’à l’ambiante. Il y a donc peu d’espoir que ce type de catalyseurs soit efficace dans des conditions douces.

L’utilisation d’acides plus forts comme l’acide triflique (pKa = -14) en association avec l’éthylène glycol comme amorceur est décrite dans un brevet de 2002.23 La

polymérisation est réalisée entre 60 et 120°C. Les polymères obtenus ont des masses de 400 à 4 000 g/mol, mais les temps de conversion et les dispersités ne sont pas indiqués.

23 T. Upshaw, A. Mellozzi, Union Carbide Chemicals and Plastics Technology Corporation, WO 0216465, 2002.

Catalyseur pKa Temps Conversion Mn (RMN) (g/mol) Mw/Mn

L-Acide lactique 3,9 4h 78% 1 590 1,3

L-Acide tartrique 3,0 - 4,4 4h 90% 2 700 1,3

Acide citrique 3,1 - 4,8 - 6,4 4h 81% 2 500 1,3

L-Proline 6,3 4h 49% 1 250 1,2

Dans une étude de notre groupe, l’acide triflique, en association avec un alcool, se montre actif pour la polymérisation du lactide24 dans des conditions douces, à 30°C dans le dichlorométhane. Les dispersités sont faibles (<1,15) avec une bonne fidélité des extrémités de chaîne (toutes les chaînes sont amorcées par l’alcool) et des masses molaires, ce qui fait de l’acide triflique le catalyseur acide le plus actif pour une ROP contrôlée du lactide à ce jour. Il était donc intéressant de le tester dans les mêmes conditions avec l’ε-CL. D’autres acides sulfoniques ont été décrits par Jones et al.25 dont l’acide paratoluènesulfonique (APTS) (pKa = 0,7) et un acide propylsulfonique immobilisé sur différentes silices (Figure 1.10).

Les polymérisations sont réalisés dans le toluène à 52 °C, ce qui est intéressant en terme de solvant, beaucoup mieux toléré en industrie que les solvants chlorés. Elles s’avèrent plus rapides avec l’APTS (environ 6 h pour un DP 40 avec 0,3% de catalyseur) qu’avec les catalyseurs supportés (plusieurs dizaines d’heures selon le support utilisé), mais les dispersités sont plus faibles en catalyse hétérogène. Les masses obtenues avec l’APTS sont en accord avec les masses attendues pour un DP de 40, mais elles plafonnent rapidement pour des DP visés plus élevés. En ce qui concerne les catalyseurs supportés, les valeurs varient beaucoup en fonction du support utilisé, avec une tendance générale à obtenir des masses plus faibles que les masses théoriques.

24 D. Bourissou, B. Martin-Vaca, A. Dumitrescu, M. Graullier, F. Lacombe Macromolecules, 2005, 38, 9993-

9998.

25 B. C. Wilson, C. W. Jones Macromolecules, 2004, 37, 9709-9714.

I.B.4. Conclusion et objectifs

Il ressort donc de cette étude que la catalyse acide, fonctionnant par activation du monomère, s’avère être la meilleure piste en catalyse organique, compte tenu des problèmes soulevés avec les catalyses basique, nucléophile ou bifonctionnelle décrites dans cette partie.

Au sein de la catalyse acide, l’utilisation d’un système monomère/amorceur/catalyseur permet d’avoir un meilleur contrôle sur la polymérisation qu’en l’absence d’amorceur. Les acides sulfoniques se présentent parmi les catalyseurs les plus actifs pour la polymérisation de l’ε-CL et leur activité méritait d’être comparée à celle de l’acide chlorhydrique, seul catalyseur à être décrit précisément dans des conditions douces. Avec l’acide triflique, acide bien connu de notre équipe, ils constitueraient des catalyseurs références pour notre étude. L’acide triflique reste cependant un composé assez cher (150€/mol),26 et corrosif. L’acide

méthanesulfonique, moins corrosif et moins cher, qui n’a pas été décrit dans la littérature pourrait constituer une alternative nouvelle. Cet acide aurait de plus un intérêt économique et pratique important pour Arkéma puisqu’une unité basée à Lacq produit et commercialise cet acide en grandes quantités.

Nous avons donc mené notre étude avec ces trois catalyseurs, les acides chlorhydrique, triflique et méthanesulfonique, en association avec un alcool qui joue le rôle d’amorceur, pour tenter de préparer de manière contrôlée des polymères de masses jusque 20 000 g/mol, dans des conditions douces (entre 25 et 50°C), en évitant autant que possible les solvants halogénés pour des raisons de sécurité des procédés et de toxicité. Ces objectifs correspondent bien sûr à des enjeux liés à un potentiel scale-up du procédé développé au milieu industriel.

II. Acide triflique et Acide Méthanesulfonique : une