• Aucun résultat trouvé

Les copolymères à blocs permettent de moduler et d’établir de nouvelles propriétés comparativement aux homopolymères pris séparément ou en mélange physique. Les blocs peuvent s’organiser et constituer des ensembles supramoléculaires donnant accès à des formes contrôlées comme les micelles ou les polymersomes, supports de nombreuses applications. Pour le cas qui nous intéresse, la présence de blocs de polycaprolactone peut avoir les avantages suivants35 :

- Leur semi-cristallinité améliore les propriétés mécaniques du produit final, comme la résistance aux chocs et aux impacts, la phase semi-cristalline favorisant les phénomènes de cavitation au sein du matériau

- Leur hydrophobie peut exacerber les propriétés émulsifiantes du matériau fini

- En tant qu’agent compatibilisant, ils peuvent de manière générale moduler les propriétés d’un matériau : apport de biodégradabilité ou de plasticité

Nos essais seront menés avec des macroamorceurs mono- ou dihydroxylés et un intérêt particulier sera apporté à la qualité de l’amorçage, facteur déterminant dans l’obtention de copolymères blocs plutôt que d’un mélange d’homopolymères. Parmi les macroamorceurs hydroxylés commerciaux, notre choix s’est porté sur des poly(éthylèneglycol)s et des polybutadiènes type Krasol®, de la marque Sartomer, l’objectif principal étant de montrer la faisabilité de synthèse de ce type de copolymère à blocs avec les acides sulfoniques.

Avant tout essai de polymérisation, la sensibilité chimique de tous les macroamorceurs vis-à-vis des acides sulfoniques a été évaluée par RMN 1H et SEC. Les acides sont en effet

très forts et on peut craindre pour l’intégrité des polyoléfines et des polyéthers. Même en présence d’acide triflique, les macroamorceurs sont stables dans les conditions de polymérisations : dans le toluène à température ambiante pendant quelques heures.

Les résultats de copolymérisation obtenus avec ces macroamorceurs sont consignés dans le tableau 1.15.

Tableau 1.15.Polymerisation de ε-CL avec des macroamorceurs Macroamorceur Mn (g/mol)

(Mw/Mn)d

Cat [ε-CL]0/[cat.]/[ROH] t (min)c Mnd(g/mol) Mw/Mnd

PEG10000b 17 000 (1,07) HOTf 86/1/1 360 30 600 1,13 PEG10000b 17 000 (1,07) AMS 84/1/1 360 29 400 1,06 PEG1500e 2000 (1,06) HOTf 85/1/1 300 17 800 1,15 MPEG5000b 8 200 (1,05) HOTf 40/1/1 180 15 100 1,15 MPEG5000b 8 200 (1,05) AMS 50/1/1 240 14 400 1,11 Krazol HLBH 4 300 (1,18) AMS 40/1/1 90 14 300 1,17 Krazol LBH 4 500 (1,15) AMS 40/1/1 90 16 100 1,12 PEG MPEG Krasol® LBH Krasol® HLBH

Figure 1.32.ROP de l’ε-CL amorcé par le Krasol® HLBH

a Sauf exception [CL]

0 = 0,9 mol/L dans le toluene à 30°C. b [CL]0 = 0,45 mol/l dans le toluene à 50°C. c Temps

nécessaire pour atteindre des conversions > 98% d Déterminé par SEC avec des standards PS

Pour chaque copolymérisation, on remarque bien une augmentation de la masse molaire du macroamorceur vers le copolymère. La dispersité des polymères est très étroite, à peine plus élevée pour les copolymères que pour les macroamorceurs. Les dispersités issues de polymérisation catalysée par l’AMS sont toujours plus étroites que pour l’acide triflique. Les caractéristiques observées en homopolymérisation pour ces deux acides sont donc visiblement transposables à la copolymérisation.

La méthode de synthèse et la caractérisation étant identiques pour chaque macroamorceur, nous allons décrire un seul exemple en détails : le Krasol® hydrogéné HLBH. La polymérisation est effectuée exactement dans les mêmes conditions que pour l’homopolymérisation : 40 équivalents d’ε-CL sont mis en réaction dans le toluène à une concentration de 0,9 mol/l à 30°C en présence de 0,5 équivalent d’AMS par fonction alcool du Krasol®. Ce macroamorceur possédant deux fonctions alcools primaires, nous nous attendons à ce qu’environ 20 unités monomères soient polymérisées de part et d’autre du Krasol®.

La conversion totale du monomère est détectée après 90 minutes et la qualité d’amorçage est vérifiée par RMN 1H. Remarquons que la cinétique de polymérisation n’est pas ralentie quand on passe d’un amorceur moléculaire à un macroamorceur polymérique.

Le Krasol seul possède deux fonctions alcools primaires terminales. Les méthylènes en α de ces fonctions sont caractérisés par un multiplet à 3,64 ppm en RMN 1H (Zoom Figure 1.33a). Lors de la ROP de l’ε-CL amorcée par ce Krasol®, l’extrémité hydroxyle devient un lien ester entre les deux blocs avec déblindage du signal de 3,64 à 4,14 ppm, confondu avec les liens esters de la PCL. L’extrémité PCL est alors caractérisée par un triplet à 3,71 ppm (Zoom Figure 1.33b). En calibrant l’intégration de ce triplet à 4, nous retrouvons un ratio degré de polymérisation de 45, en accord avec le nombre d’équivalents initial de monomère. La masse molaire du macroamorceur étant estimé par le fournisseur (un facteur de correction inconnu devrait être appliquée par rapport aux équivalents poly(styrène)), il est possible que la quantité introduite de macroamorceur ait été dans ce cas quelque peu sous-estimée. La valeur de 45 est donc un peu plus élevée que la valeur théorique attendue de 40. Ces données prouvent la qualité de l’incorporation du macroamorceur au sein du copolymère, et ce, sur

Figure 1.33.Caractérisation de l’amorçage des blocs de PCL par le Krasol® a) Krasol® seul. b) ROP de l’ε-CL amorcée par le Krasol®. RMN 1H CDCl

3 300MHz

a) b)

*

* = DIEA

chacune des deux fonctions hydroxyles. On peut donc affirmer avoir synthétisé un copolymère tribloc symétrique PCL–b–Krasol®–b–PCL.

Comme annoncé dans l’introduction, des caractéristiques similaires sont observées avec tous les autres macroamorceurs, excepté pour les PEG et MPEG. La cinétique de polymérisation de 40 équivalents de caprolactone est ralentie par rapport à l’homopolymérisation et à l’amorçage avec des Krasol®. En cause certainement la chélation du catalyseur par deux oxygènes d’une même unité glycol, diminuant la quantité d’acide disponible pour catalyser la polymérisation.

Par ces différents exemples, nous avons donc montré qu’il était possible de synthétiser des copolymères d’architectures bien contrôlées en utilisant des macroamorceurs contenant des fonctions hydroxyles sur lesquels nous avons amorcé quantitativement la croissance de blocs polycaprolactone catalysées par AMS et HOTf.

IV. Conclusion

Compte tenu de la réactivité de l’ε-CL découverte tout au long d’un état de l’art bien fourni, la piste de la catalyse acide semblait la plus favorable au développement de systèmes catalytiques efficaces. L’acide triflique et l’acide méthanesulfonique se sont ainsi révélés polymériser l’ε-CL de manière rapide, contrôlée et dans des conditions douces, surpassant ainsi les performances de l’ensemble des catalyseurs organiques actifs en ROP de ce

R' O O O H RSO3 PEG R' = H : PEG R' = CH3: MPEG

monomère connus à ce jour. La structure de ces catalyseurs, propice à donner et accepter des liaisons hydrogènes, leur permet d’être actif par activation bifonctionnelle concertée du monomère et de l’amorceur. Ainsi, malgré une large différence d’acidité, l’acide méthanesulfonique est beaucoup plus actif que l’acide chlorhydrique et parvient à rivaliser avec l’acide triflique, voire le surpasser dans certaines conditions. L’AMS, catalyseur accessible et peu coûteux, permet alors une synthèse rapide de polycaprolactone de masses entre 10 000 g/mol et 20 000 g/mol. Ils se montrent compatibles avec de nombreux amorceurs et macroamorceurs, laissant envisager la synthèse d’un grand nombre de structures complexes pour autant d’applications potentielles.

Au vu de l’attractivité de ces acides sulfoniques et particulièrement de l’AMS, pour la ROP de la CL, d’autres monomères pouvant être polymérisés par catalyse acide nous viennent à l’esprit : lactones de taille différentes, éthers cycliques, lactames, carbonates cycliques. Un bref aperçu de la littérature pour chacune de ces familles de monomères nous en fait préférer une en particulier. L’historique des catalyseurs utilisés pour la ROP de carbonates cycliques ressemblent sensiblement à ce qui a été réalisé avec la CL. Le chapitre suivant traitera donc de l’utilisation des systèmes acides sulfoniques/amorceur pour la synthèse par ROP de poly(carbonates) et des problèmes tels que la décarboxylation qu’ils seraient à même de résoudre.

Des perspectives d’études de nouveaux catalyseurs peuvent également être formulées. Lors de la détermination théorique du mode d’action bifonctionnel des acides sulfoniques, un parallèle a été tiré avec les acides phosphoriques, dont plusieurs groupes ont démontré un mode d’action bifonctionnel. Les acides phosphoriques chiraux et leurs dérivés (phosphoramides, thiophosphoriques, etc.) sont utilisés avec succès depuis quelques années pour de nombreuses transformations stéréosélectives. Ces acides seront testés dans un troisième chapitre pour la ROP d’ε-CL et leur activité comparée avec les acides sulfoniques.