• Aucun résultat trouvé

Acides phosphoriques et dérivés : des premiers pas prometteurs en ROP

II. B ROP de l’ε-CL catalysée par le diphénylphosphate

Dans un premier temps, l’activité du DPP a été comparée avec les acides sulfoniques et le chlorure d’hydrogène (Tableau 3.2).

Tableau 3.2. Activités comparées de quelques acides de Brönsted pour la ROP de l’ε-CL

[ε-CL]0 = 0,9 mol/L. Mn théo = 4 650 g/mol. a Déterminée par RMN 1H. b Déterminée par SEC dans le

THF en équivalents PS avec application d’un facteur de correction de 0,56.

Dans le toluène, le DPP est un peu moins actif que AMS et HOTf, en accord avec la différence d’acidité entre les catalyseurs. Par contre, malgré 9 unités pKa de différence, il est 5 fois plus actif que HCl. Dans le dichlorométhane, le DPP est toujours moins actif que l’AMS, mais se trouve au même niveau d’activité que l’HOTf en étant toujours plus actif que HCl. L’ensemble de ces résultats est en accord avec le mécanisme bifonctionnel identifié lors de l’étude théorique.

Nous avons ensuite prolongé l’étude en travaillant en excès de catalyseur par rapport à l’amorceur. Dans ces conditions, HOTf souffre de sa grande acidité en désactivant les alcools amorçant et propageant. Le DPP tire ici profit de sa plus faible acidité pour raccourcir les temps de polymérisation. Par exemple, avec 3 équivalents de catalyseur, la conversion totale de 40 unités monomères dans le toluène à 30°C est détectée après 1h30, contre 2 h pour l’acide triflique, tout en gardant un contrôle optimal (Tableau 3.3). La tendance observée dans

TOLUENE DICHLOROMETHANE Catalyseur H0 Temps (h)a Mnb (g/mol) Mw /Mn b Temps (h)a M nb (g/mol) Mw /Mn b HOTf -14 1,5 4 500 1,15 7 3 500 1,22 HCl -8 19 3 500 1,22 24 (22%) 1 610 1,19 AMS -2 1,5 4 300 1,07 2 4 280 1,07 DPP 1,1±0,5 3,5 4 300 1,07 8 4 600 1,10

le premier chapitre pour l’AMS se reproduit donc ici pour le DPP, pour lequel la différence d’acidité avec HOTf est encore plus élevée, de 15 unités (un million de milliards de fois plus acide !)

Tableau 3.3. Polymérisations en excès d’acide : Comparaison entre HOTf et DPP

Catalyseur : HOTf DPP

40 / 1 / X Temps (h)a M

nb (g/mol) Mw/Mnb Temps (h)a Mnb (g/mol) Mw/Mnb

X = 1 1,5 4 430 1,11 3,5 4 300 1,07

X = 3 2 4 330 1,20 1,5 4 500 1,08

[ε-CL]0 = 0,9 mol/L dans le toluène.a Déterminée par RMN 1H. b Déterminée par SEC dans

le THF en équivalents PS avec application d’un facteur de correction de 0,56. Mn théo = 4 648

g/mol.

Toutefois, lorsque l’on teste le système catalytique ([DPP]/[n-PentOH] = 1) pour différentes valeurs de M/I de 10 à 80 (Tableau 3.4), les valeurs de Mn expérimentales dévient

par rapport aux masses théoriques pour des ratios supérieurs à 40 équivalents (Figure 3.8a).

Tableau 3.4.Variation des degrés de polymérisation pour le DPP [CL]0/[ROH]0a temps (h) Mn b (g/mol) M n théoc Mw/Mnb 10 1 1 190 1 230 1,15 20 2 1 990 2 370 1,11 40 4 4 320 4 650 1,09 80 9 5 900 9 210 1,07 a [CL]

0 = 0,9 mol/L dans le toluene à 30°C; [DPP]0/[ROH]0 = 1 b Déterminé par SEC

avec des standards PS et application d’un facteur de correction 0,56. c M

n théo =

([CL]0/[ROH]0) * MCL (114)+ MPentOH (88).

Pour un DP 80 par exemple, la masse expérimentale est de 5 900 g/mol au lieu des 9 200 g/mol attendus. Cette même déviation avait été observée avec l’AMS, mais pour des ratios plus élevés, à partir de 100. Les polymérisations semblent donc bien contrôlées jusqu’à un DP 40. Pour cet exemple, le degré de polymérisation DPSEC augmente linéairement avec la

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1 Conversion monomère DP SEC b) 0 2000 4000 6000 8000 10000 0 20 40 60 80 [ε-CL]/[ n-PentOH] M n SEC 0,6 1 1,4 1,8 2,2 2,6 3 IP a) Mn théo Mn exp g/mol

conversion en monomère (Figure 3.8b), ce qui montre que la propagation par ouverture de cycle est favorisée par rapport aux transferts de chaînes.

Figure 3.8. a) représente l’IP Mw/Mn. b) [ε–CL]0/[DPP]/[n–PentOH]0 40/1/1, [ε–CL]0 = 0,9 mol/L,

toluène, 30°C.

Parallèlement à la valeur de la masse molaire, la valeur de l’intégrale du bout de chaîne –CH2OH est déterminée par RMN 1H et donne une indication sur le contrôle de la

réaction. Dans le cas idéal où toutes les chaînes sont amorcées au pentanol, la valeur de l’intégrale sera de 2,00 avec un méthyle terminal de l’extrémité pentanoate calibré à 3,00. Pour les DP 10 à 40, cette valeur à conversion totale passe respectivement de 2,03 à 2,18, preuve d’un bon contrôle de la polymérisation. Pour un DP 80, elle dévie significativement et atteint la valeur de 3,98 (Figure 3.9).

Figure 3.9.Spectres RMN 1H de PCL [ε–CL] 0/[DPP]/[n–PentOH]0 A) 10/1/1, B) 80/1/1. A) B) a a b b c c

Cela implique que le nombre total de chaînes amorcées est supérieur au nombre de chaînes amorcées avec le pentanol. Par exemple, pour le DP 80, la valeur de 3,98 suggère que la moitié des chaînes n’est pas formellement amorcée par le pentanol. Deux possibilités sont envisagées :

- L’amorçage par des résidus protiques (eau, hydroxyacide) contenus dans le monomère peut prendre de l’importance avec l’augmentation du M/I. Après séchage sur CaH2 et

distillation, la qualité de l’ε-CL est contrôlée par RMN 1H et la présence d’eau par Karl-Fischer. A la résolution du spectromètre RMN (300 MHz) aucun résidu protique n’est détecté et les polymérisations ne sont réalisées que pour un taux d’eau inférieur à 50 ppm. Le solvant est également contrôlé est la teneur en eau ne dépasse jamais 10 ppm. Un amorçage à l’eau ou par des résidus protiques est donc peu probable dans des proportions aussi élevées que 50% de l’amorçage total, comme pour le DP 80.

- Comme on l’a vu avec la ROP acide du TMC, l’autoamorçage et la propagation par mécanisme ACE produit des chaînes de polymères supplémentaires (Figure 3.10). Après neutralisation et hydrolyse, ces chaînes ont des extrémités acide carboxylique et alcool, ce qui serait cohérent avec l’augmentation de l’intégrale CH2OH.

Dans ce cas, la croissance du polymère par ce mécanisme est monodirectionnelle, comme l’amorçage par monomère activé avec le pentanol. En SEC, les polymères issus de ces deux mécanismes ne sont donc pas discernables. Seule une analyse MALDI-TOF-MS nous permet de caractériser précisément les populations présentes dans le milieu.

Le spectre montre la présence d’une population principale attendue de polymères ayant des masses de formule M = 88 (Mn-PentOH) + n*114 (MCL) + 23 (MNa+), issue de

l’amorçage au n-pentanol. Une autre population est détectée pour des masses de formule M = n*114 (MCL) + 23 (MNa+) + 18 (MH2O) pouvant correspondre soit à un amorçage à l’eau, soit à

un amorçage par mécanisme ACE. La présence de cette population traduit un manque de contrôle sur la polymérisation. Elle est de plus indésirable car les extrémités acides carboxyliques peuvent catalyser l’hydrolyse des liens esters et entraîner une dégradation accélérée du polymère. Cela peut poser problème dans des applications biomédicales par exemple où la vitesse de dégradation est une propriété déterminante.

M = 88 (Mn-PentOH) + n*114 (MCL) + 23 (MNa+)

M = n*114 (MCL) + 23 (MNa+) + 18 (MH2O)

Pour éviter que cette population se forme et essayer de bien comprendre les mécanismes régissant la polymérisation de l’ε-CL, nous nous sommes inspirés des résultats obtenus pour la ROP du TMC. Deux essais en double-feed (deux fois 40 équivalents) et en continu (M/I instantané maintenu en-dessous de 10) sont réalisés. Les Mn et intégrales de

bouts de chaîne (déterminées par RMN 1H) sont reportées dans le Tableau 3.5.

Tableau 3.5. Essais en double-feed et en continu

temps (h)a M

nb (g/mol) Mw/Mnb

CH2OH

80/1/1 One Feed 9h 5 900 1,07 3,98

80/1/1 Double-Feed 9h 8 100 1,08 2,86

80/1/1 Continu 10h 6 800 1,06 2,72

aDéterminé par RMN 1H b Déterminé par SEC THF M

n théo = 9 210 g/mol

Les masses obtenues par les expériences en « double-feed » et en continu sont plus proches de la masse théorique qu’en one feed et on peut tirer profit de la variation de la concentration en monomère. Cependant, elles sont encore loin de la masse attendue et les intégrales du bout de chaîne vont également dans ce sens, en se rapprochant de 2,00 tout en restant élevées. L’ajout en double-feed semble permettre de monter à des plus hautes masses que le continu.

L’ajout en continu est effectué avec une solution de monomère à 0,9 mol/L dans le toluène : lors de l’ajout, le ratio M/I est maintenu constant mais la concentration instantanée de monomère dans le milieu diminue graduellement au fur et à mesure de l’ajout. A contrario, pour l’ajout double-feed, le monomère est ajouté sans solvant lorsque les 40 premiers équivalents sont consommés. Au deuxième ajout, la concentration en monomère revient donc à la même valeur qu’au premier ajout, c'est-à-dire 0,9 mol/L. Deux paramètres semblent donc déterminants pour un bon contrôle de la polymérisation : la concentration en monomère et le ratio M/I instantanés.

L’amélioration du contrôle de la polymérisation avec ces deux ajouts suggère que la deuxième population proviendrait d’un mécanisme ACE plutôt que de l’amorçage à l’eau. En effet, si la deuxième population provenait d’un amorçage à l’eau résiduelle contenue dans le monomère, la façon d’ajouter le monomère ne devrait pas avoir d’influence sur le contrôle de la polymérisation (Mn et intégrale CH2OH).