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2 Les visites du commissaire aux droits de l’homme

En 2005, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a entrepris une visite en France qui venait clôturer un tour des lieux de privation de liberté de 32 pays européens. Durant cette visite réalisée du 5 au 21 septembre 2005, Alvaro Gil-Robles s’est notamment rendu dans sept établissements pénitentiaires17. Le commissaire a également rencontré divers représentants du gouvernement, du pouvoir judiciaire ainsi que des membres de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). Il a, de plus, bénéficié de l’aide des organisations non gouvernementales et des associations dans la phase préparatoire de sa visite ainsi que de celle du Médiateur de la République qui l’a accompagné à plusieurs étapes.

A l’issue de cette visite, le commissaire aux droits de l’homme dresse un bilan sombre de la situation française. Dans une entrevue accordée au journal Libération (22 septembre 2005), Gil-Robles témoigne entre autres de l’état répugnant de la prison des Baumettes à Marseille. De façon générale, le rapport sur le respect effectif des droits de l’homme en France, adressé au Comité des ministres et à l’Assemblée Parlementaire du

17 Le centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille, celui du Pontet en Avignon, la maison d’arrêt de la Santé à Paris et celle de Fleury-Mérogis en région parisienne, les centres pénitentiaires de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées et de Casabianda en Corse, ainsi que la maison d’arrêt de l’Elsau à Strasbourg.

Conseil de l’Europe est particulièrement critique à l’égard des prisons françaises (CE, 2006a).

Le commissaire aux droits de l’homme constate qu’en France la mise en œuvre de la législation s’efface parfois devant l’appel à la tradition et aux pratiques habituelles. Cette situation pose, selon lui, un évident problème d’effectivité du respect des droits de l’homme. Ainsi, il relève un fossé parfois très large entre les dispositions des textes et la pratique. Selon lui, « la France ne se donne pas toujours les moyens suffisants pour mettre en œuvre un arsenal juridique relativement complet, qui offre un haut niveau de protection en matière de droits de l’homme » (CE, 2006a, p.6). Gil-Roblès insiste notamment sur la dignité et le respect des personnes incarcérées ainsi que sur le caractère suffisamment punitif de la privation de liberté.

Je ne pense tout simplement pas que les personnes privées de liberté doivent être traitées moins bien que leurs concitoyens qui n’ont pas commis de fautes…Le fait même de priver la personne de sa liberté, de lui interdire de disposer de ses actes et de sa liberté de mouvement constitue une punition suffisante et très dure. Dès lors, la volonté de certains de faire à tout prix en sorte que les conditions de détention soient dures ne peut s’expliquer que par la volonté de se venger de la personne déjà punie. Dans une société démocratique, de tels agissements n’ont pas lieu d’être. Bien au contraire, de lieu de punition une prison doit devenir celui de la réinsertion et non pas celui du durcissement et de la préparation à la récidive (CE, 2006a, p22). Concernant les prisons françaises, le commissaire se dit frappé par les problèmes de la surpopulation et le manque de moyens nécessaires au fonctionnement des établissements visités. S’il constate que la surpopulation chronique est liée à la fois à l’augmentation du nombre et de la longueur des condamnations et à la fois à un manque de financement pour accompagner cette tendance, il affirme que la situation est néanmoins « inacceptable en soi » et risque de provoquer un effet contraire à celui de réinsertion recherché et visé par l’emprisonnement.

Dans son rapport, le commissaire indique avoir observé, lors de ses visites, des scènes très dures et choquantes qui résultent des problèmes de surpopulation et qui privent un grand nombre de détenus de l’exercice de leurs droits élémentaires. Selon lui, les conditions de vie observées à la Santé et aux Baumettes rendent le maintien de détenus dans ces établissements « à la limite de l’acceptable et à la limite de la dignité humaine » (CE, 2006a, p26).

Ce bilan est dressé à l’issue d’une analyse minutieuse des établissements de détention et de nombreux aspects de la vie en détention. Du coût de la vie et de la location des téléviseurs aux nécessités de politique de réinsertion, en passant par le retard de la mise en œuvre des unités de vie familiale ou la durée excessive du maintien en cellule disciplinaire, le commissaire réalise une étude détaillée de la situation des prisons françaises.

Ne disposant pas de pouvoir d’injonction, le commissaire achève son rapport en formulant de nombreuses recommandations aux autorités françaises. Parmi ces recommandations, le commissaire suggère d’augmenter les moyens alloués aux prisons en général et plus précisément aux structures d’éducation, de santé et d’insertion professionnelle et à l’organisation des soins somatiques et psychiatriques. Il recommande également de construire de nouveaux établissements ; d’améliorer les conditions de vie des détenus ; de diminuer les charges financières des détenus ; de régionaliser les services de transfèrement des prisonniers ; de favoriser les liens familiaux ; de mettre la procédure d’isolement en conformité avec les garanties de l’État de droit et prévoir l’intervention d’une autorité judiciaire dans la procédure ; de traiter les personnes en fin de vie avec plus d’humanisme en appliquant plus largement la suspension de peine pour raisons médicales ou encore d’abroger le port des menottes lors du transport et de l’hospitalisation des détenus.

Lors d’une conférence de presse, le ministre de la justice a réagi en qualifiant d’injuste le rapport du commissaire aux droits de l’homme (Le monde, 15 février 2006). Il déclare alors que le rapport contient des éléments erronés et dépassés. Le ministre reconnaît cependant que la situation des prisons ne sera conforme à la tradition humaniste française et aux valeurs républicaines qu’une fois le programme immobilier en cours achevé. Les observations officielles du gouvernement français au rapport de Gil-Robles sont plus feutrées. Le gouvernement souligne, en effet, l’augmentation significative du budget pénitentiaire et les améliorations en cours. En réitérant l’attachement de la France au respect des droits de l’homme, les autorités françaises répondent point par point aux observations du commissaire en formulant au futur des promesses d’amélioration.

Les structures pénitentiaires seront mieux à même d’assurer aux détenus des conditions de vie décentes…En parallèle, la diversité de la population pénitentiaire sera mieux prise en compte par la mise en service de structures spécifiques …Des recrutements importants vont être effectués…(CE, 2006a, p115).

Ainsi, face à l’absence de pouvoir contraignant des règles pénitentiaires européennes et des recommandations du commissaire aux droits de l’homme, il apparaît pertinent de porter notre attention sur un mécanisme européen plus puissant : la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

III La Cour Européenne des Droits de l’Homme : un contrôle