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1 L’État de droit, la société civile et la société politique

Gramsci opère une distinction pertinente entre d’une part, la société politique qui réunit les institutions et les acteurs liés à l’appareil d’État et à la lutte pour son contrôle et, d’autre part, la société civile qui regroupe les institutions non-étatiques comme les médias et les associations. En fait, l’État de droit met en action l’État et le citoyen, la société politique et la société civile dans un rapport étroit entre le pouvoir et le droit. La normativité issue des déclarations de droits dépasse, en effet, la fonction instrumentale du droit pour atteindre une dimension symbolique de protection contre le pouvoir. Le droit n’est plus conçu uniquement comme un instrument de domination mais comme un outil mobilisé au service des plus faibles dans le contrôle du pouvoir de l’État (Sommier, 2003). Le principe de soumission du pouvoir au « rule of law » qui vient s’opposer au pouvoir discrétionnaire de l’État est, notamment, à la base du droit administratif mais également le

fondement de la soumission du pouvoir de l’État au contrôle judiciaire auquel on assigne le rôle critique de préserver l’équilibre entre pouvoir du gouvernement et droits individuels.

L’idée de contrôler le pouvoir est issue du concept de responsabilité de l’État qui a le devoir de rapporter, expliquer et justifier ses actions et ses décisions en raison de l’autorité et du pouvoir qui lui sont délégués par le peuple (Vagg, 1994). L’État et ses organes administratifs et répressifs tirent, en effet, leur force de la délégation de la puissance par le peuple. Cependant, comme le font remarquer Benasayag et Sztulwark (2002), cette délégation est, en réalité, imaginaire et elle constitue un des instruments les plus efficaces des théories du droit pour légitimer l’origine et la permanence de l’ordre social. Le citoyen, la société civile sont représentés par la société politique et l’Etat auxquels ils délèguent le pouvoir. Néanmoins la société est composée d'individus difficilement représentables et il existe un certain fossé existant entre société civile et représentation politique (Sue, 2003). Selon Laclau (2000), l’imperfection serait justement inhérente à la relation de représentation puisque le représentant est rarement face à un corps déjà constitué pleinement représentable. Ainsi, la relation de représentation n’est donc pas le reflet d’un objet préconstitué mais une réduction qui sépare la puissance du corps représenté. Dans cette thèse, nous prendrons en compte la relation de représentation en adoptant ce regard critique. Il ne s’agit pas de refuser le concept de représentation mais le replacer au sein de la multiplicité des pratiques.

Le concept de société civile se compose, en effet, de facettes multiples, celles de la société civile représentée politiquement mais aussi celles de la société civile active par d’autres formes de représentations (associations, forums, mouvements sociaux). La défense des droits de l’homme n’est donc pas l’exclusivité des seuls juristes ou spécialistes mais une cause civique où les citoyens ont un rapport de complémentarité et de contestation du pouvoir qui s’exerce justement dans les failles ou faiblesses du contrat social. Il s’agit d’analyser le passage de la notion abstraite de société civile à sa réalité concrète ou autrement dit de la représentation quantitative à la représentativité qualitative (Sue, 2003).

Cette même distinction est exprimée par Lochak (2002) par le vocable citoyenneté politique (actualisée par le vote et la représentation) et la citoyenneté sociale (actualisée par la participation et l’implication).

En matière de participation citoyenne, les citoyens interviennent parfois au sein des institutions par le biais du volontariat qui constitue souvent une interface et une solution de continuité entre un public, des adhérents motivés et engagés et des professionnels permanents. Ils viennent ainsi garantir la dimension citoyenne des institutions dans lesquelles ils interviennent (Sue, 2003). Cependant, cette action citoyenne s’exprime, le plus fréquemment, sous la forme d’implication au sein d’organisations non gouvernementales ou d’associations qui possèdent souvent suffisamment de légitimité et de faculté de lobbying pour s’imposer comme entrepreneurs et producteurs de normes (Badie, 2002). Finalement, un dernier mode d’action de la société civile est celui du vigilantisme et de la désobéissance civile. En effet, Locke ([1689] 1970) soulignait déjà que la délégation de pouvoir par la société civile n’est pas absolue et, si des abus de pouvoir sont constatés, les citoyens ont le droit de faire juger ces abus par les tribunaux et, si cela ne suffit pas, d’utiliser des moyens de pression et éventuellement la force pour obtenir le changement voir remplacer le gouvernement. Sommier mentionne à cet effet que «si l’acte de désobéissance civile transgresse publiquement et collectivement une norme juridique et par conséquent la désacralise, c’est au nom de principes moraux supérieurs à l’ordre normatif mais aussi en vertu de la croyance dans la capacité de changer la société par le droit» (2003, p.242-243). Cette relation complexe entre normes juridiques et principes moraux humanistes vient déjà symboliser la distinction existante entre légalité et légitimité, sur laquelle nous reviendrons plus en avant dans ce chapitre.

Dans cette thèse, nous appliquerons à la prison deux théorisations faites du contrôle du pouvoir soit, dans un premier temps, les théories de "l'État de droit" pour lesquelles le droit est le principal outil de contrôle du pouvoir et dans un deuxième temps les

théorisations du contrôle du pouvoir par la société civile basées sur les concepts d’humanisme, de contrat social, de citoyenneté et d’actions collectives.