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3 L’impact de la jurisprudence de la Cour

A La mise en œuvre des recommandations

La gestion de l’exécution des arrêts de la Cour ne fait pas partie des responsabilités de celle-ci. Si la Cour peut, en effet, indiquer des voies d’exécution, cette phase essentielle relève du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et donc des États. Ils doivent vérifier si les arrêts de la Cour sont correctement exécutés par les États condamnés. Un des juges de la Cour relève qu’ils sont alors « dépendants des informations que les États leur donnent». L’exécution proprement dite est finalement du ressort de l’État condamné. S’il est impossible aux juges de la Cour de suivre l’exécution des arrêts dans tous les pays, ils semblent percevoir que l’exécution est globalement satisfaisante. Dans certains cas, l’exécution rencontre des résistances politiques ou des problèmes reliés à des réformes structurelles longues à venir notamment quand des problèmes d’organisation du système judiciaire sont en jeu.

La Convention est d'applicabilité directe dans l’ordre interne des États contractants (dont la France). Les dispositions normatives de la Convention peuvent donc être invoquées directement devant les juridictions nationales et bénéficier d’une autorité supra législative (Cohen Jonathan, 2002). La portée des droits de la Convention a été façonnée par la jurisprudence de la Cour. Le droit de la Convention est un droit en grande partie jurisprudentiel et évolutif, un instrument vivant dont la Cour opère une interprétation ouverte et dynamique (Tulkens, 2003). Pour atteindre une portée maximale il est donc nécessaire que les arrêts de la Cour soient grandement diffusés notamment aux juridictions internes. Face à l’ampleur du contentieux, la création de documents thématiques semble une évolution souhaitable.

B D’une fonction de contrôle répressif à une fonction évolutive et pédagogique

La Cour européenne des droits de l’homme a une mission clairement établie de contrôle du respect des droits de la Convention dans les États qui l’ont ratifié et notamment dans les prisons de ces États. Il s’agit d’un contrôle judiciaire répressif qui s’exerce à posteriori. L’examen de cas particuliers laisse place à une dynamique originale de contrôle qui confronte toujours un individu et un gouvernement. Le contrôle reste spécifique au cas par cas et évolue constamment comme le mentionne Dominique, juge à la CEDH :

…d’année en année presque de jours en jours et donc c’est ça le génie de la Convention, c’est que on examine pas in abstracto si tel ou telle loi est compatible ou non avec les droits de l’homme ou telle pratique dans tel pays mais on examine la compatibilité du système juridique des États par rapport aux droits fondamentaux au départ de situations vécues. Et ça c’est vraiment, c’est ça le mécanisme de fond de la Cour Européenne des Droits de l’Homme… c’est l’alchimie assez extraordinaire de ce système de protection Certes les droits qui font l’objet du contrôle de la Cour ne sont pas nombreux (10- 12) mais leurs applications possibles semblent illimitées. C’est notamment le cas en raison de l’approche évolutive et extensive que la Cour adopte face à ces droits. Comme le montre l’étude de la jurisprudence et les propos d’un juge :

l’obligation de la Cour ce n’est pas de, de restreindre les droits fondamentaux c’est au contraire de les étendre, ça c’est notre rôle intégral c’est tout différent d’un juge interne, c’est tout à fait différent d’un juge pénal qui lui doit appliquer la loi pénale de la manière la plus restreinte possible. Ici au contraire, on doit appliquer les droits de l’homme de la manière la plus large possible (Dominique, juge à la CEDH).

Cette attitude de la Cour rencontre parfois des résistances souverainistes de la part d’États qui ne veulent pas de cette extension de jurisprudence. Un juge de la CEDH mentionne en effet : «ça fait grincer les dents à beaucoup qui estiment que la Cour Européenne des Droits de l’Homme va trop loin… la vieille Europe n’aime trop se faire juger par ces pays d’Europe centrale et orientale» (Dominique, juge à la CEDH).

Malgré ces résistances, il semble bien que la Cour ait réussi faire de son contrôle répressif un contrôle évolutif en raison même de la nature des droits contrôlés. Dominique, juge à la CEDH suggère, en effet, que les droits de l’homme sont par nature un domaine en évolution constante

…C’est un mécanisme de contrôle et puis ça évolue tout le temps parce que les droits de l’homme…c’est pour ça que c’est pas une idéologie…il n’y a pas de grand soir en matière des droits de l’homme, on va pas dire un jour maintenant tout est acquis, c’est toujours à construire en fonction des situations individuelles. …C’est pour ça qu’on ne peut avoir un discours défaitiste « rien ne va », ni un discours triomphaliste, de part et d’autres, ça n’a pas de sens. Les droits de l’homme c’est une vigilance constante.

Le contrôle de la Cour, conçu comme une vigilance, combine donc des fonctions de répression et d’élargissement des droits desquelles découle inéluctablement une troisième fonction que l’on peut qualifier de pédagogique.

Il ressort du témoignage d’un juge qu’en dégageant des principes généraux applicables à travers des cas, la Cour souhaite ainsi inspirer les législations des pays européens : «Au départ d’un cas individuel, on doit obliger l’État à modifier ce qui a fait problème et on doit inspirer les autres États à avoir des législations compatibles avec l’interprétation de la Convention telle qu’elle est faite par la Cour». La Cour exerce donc un

contrôle répressif au cas par cas dont les implications souhaitées révèlent une dimension pédagogique proche d’un contrôle préventif plus large.

En complémentarité avec un mécanisme judiciaire répressif de la Cour, les instances européennes ont mis sur pied un mécanisme non judiciaire d’avantage tourné vers l’avenir et la prévention, le Comité Européen de Prévention de la Torture.

IV Le Comité de la Prévention de la Torture : un contrôle