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1 Un organisme de terrain au mandat préventif

A La création du CPT

C’est dans le contexte de la lutte contre la torture des années 70 que le banquier suisse Jean-Jacques Gautier eut, en 1977, l’idée de créer un mécanisme de prévention de la torture inspiré notamment de l’exemple du Comité International de la Croix Rouge. Si cette idée mettra plus de 25 ans à se réaliser au niveau des Nations Unies45, elle sera reprise beaucoup plus rapidement par les instances européennes. Le 26 juin 1987, le comité des ministres du Conseil de l’Europe adopte la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, la CEPT (CE, 1987b). Cette Convention ne vient pas établir de normes nouvelles, comme le font la plupart des conventions, mais elle crée un mécanisme européen de prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants.

44 Nous tenons à mentionner que certaines sections de ce chapitre ont fait l’objet d’un article (Lehalle, Landreville et Céré, 2006).

45 Le récent protocole additionnel à la Convention contre la Torture des Nations Unies crée un mécanisme similaire.

Lorsque ce Comité de prévention de la torture a été crée, la question s’est posée de son rôle et ses compétences par rapport aux organes de contrôle de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme que sont la Commission et la Cour européenne des droits de l’homme. Malgré cette crainte d’un chevauchement de compétences, le CPT ne peut, en fait, empiéter dans le domaine de la Cour puisqu’il n’est ni une voie de recours ni un organe juridictionnel. Il ne se prononce pas sur des plaintes individuelles mais se limite à traiter les conditions de détention sur la base de ses observations et des plaintes des détenus. La Commission et la Cour font de la résolution de conflit au plan légal, tandis que le Comité fait lui de la prévention de conflit au plan pratique (Vagg, 1994). Ce mécanisme, le Comité européen de prévention de la torture (CPT) repose, en effet, sur « le postulat que la probabilité de tortures ou de traitements inhumains ou dégradants peut être réduite en soumettant les lieux de détention à une surveillance sous forme de visites impromptues effectuées par des experts internationaux dont les conclusions et les recommandations alimenteront ensuite un dialogue constructif poursuivant le même objectif » (Morgan et Evans, 2002).

B La composition du CPT

a Les États parties à la convention

Lors de l’entrée en vigueur de la Convention Européenne pour la Prévention de la Torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CEPT) en 1989, seuls 8 des 23 pays du Conseil de l’Europe l’avaient ratifiée. Ce chiffre est passé à 20 États sur 25 dès la première année de fonctionnement du CPT. En 1993, le Comité des ministres adopta le protocole nº1 visant à élargir la CEPT aux États non-membres du Conseil de l’Europe (CE, 1993). Les États qui étaient particulièrement visés par ce protocole étaient les pays de l’Europe Centrale et Orientale. Le Canada, doté d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe figurait également parmi les pays visés par ce protocole. Cependant l’adhésion de la plupart des pays concernés au Conseil de l’Europe lui-même a rendu ce protocole,

finalement entré en vigueur le 1er mars 2002, moins pertinent (CPT, 2003). Sur les 46 membres du Conseil de l’Europe, tous sont actuellement liés par la CEPT46. La ratification de la CEPT fut même, pour certains États, posée comme condition à leur adhésion au Conseil de l’Europe. Comme le souligne le dernier rapport annuel (CPT, 2005a), avec la récente adhésion de Monaco, la «circonscription naturelle» du CPT est totalement représentée à l’exception du Belarus qui ne fait pas partie du Conseil de l’Europe.

b Les membres du CPT

Le Comité se compose de membres qui représentent les États parties à la CEPT. Aux origines du CPT, il fut envisagé qu’un nombre limité de membres (5, 7, 11 puis 15) seraient élus pour composer le Comité (Cassese 1989). Il fut finalement décidé que le CPT compterait autant de membres que d’États parties à la Convention mais comme le mentionne un membre interviewé «on n’est pas ici en tant que représentant d’un pays, on est membre du CPT, peu importe le pays auquel on appartient» (Hugo, membre du CPT). Le CPT se compose aujourd’hui de 40 membres, chiffre qui ne reflète pas avec exactitude le nombre d’États partis puisque six sièges sont actuellement vacants47.

Les membres sont élus à la majorité absolue par le Comité des ministres selon une liste de noms établie par le bureau de l’assemblée consultative du Conseil de l’Europe. Chaque délégation des États parties propose trois candidats dont deux au moins doivent être de sa nationalité. L’article 4 de la CEPT précise que « les membres du comité sont choisis parmi des personnalités de haute moralité, connues pour leur compétence en matière de droits de l’homme ou ayant une expérience professionnelle dans les domaines dont traite la présente Convention ». Le rapport explicatif de la CEPT mentionne qu’il n’a pas été jugé souhaitable de préciser les domaines professionnels mais il souligne que les membres ne doivent pas être obligatoirement des juristes et qu’il est souhaitable que certains membres

46www.cpt.coe.int mis à jour du 09.03.2006. 47www.cpt.coe.int, mis à jour du 09.03.2006.

aient une expérience dans l’administration pénitentiaire et dans des domaines médicaux pertinents (Conseil de l’Europe, 1987c). Sur ce point, un membre nous mentionnait l’importance de l’apprentissage :

«L’apprentissage, c’est d’abord l’apprentissage des règles qui gouvernent la compétence et le fonctionnement du CPT….il faut apprendre ce qu’est la détention, comment fonctionnent les prisons… Je pense que si j’étais venu complètement vierge de toute connaissance dans ce domaine, j’aurais eu beaucoup de mal à m’adapter alors que là, mon expérience du monde des prisons m’a quand même beaucoup aidé» (Hugo, membre du CPT).

Le Comité n’a pas toujours atteint le melting pot de compétences et d’expériences auquel il aspire puisque l’on relève pendant longtemps une prépondérance d’hommes ayant une formation juridique. Toutefois, dans les dernières années, des progrès ont été accomplis en termes de genre puisqu’en 2005, 13 des 37 membres du CPT étaient des femmes. En termes de domaine professionnel, le Comité se composait en septembre 2005 de 16 membres ayant une formation juridique et 15 membres ayant une formation médicale. Le CPT (2004a) relève, dans son 14ème rapport annuel, une insuffisance de membres avec une expérience pratique du travail pénitentiaire et du travail des forces de l’ordre mais également des questions d’immigration, de la psychiatrie infantile et des soins infirmiers. Si ces derniers besoins sont toujours présents en 2005, le dernier rapport annuel mentionne cependant une augmentation des membres ayant une expérience pratique du milieu carcéral (CPT, 2005a).

Evans et Morgan (1998) soulignent que, plus que le curriculum vitae, les habilités pratiques des membres choisis sont fondamentales. Avocats ou médecins, la volonté de parler avec les détenus et la capacité de recueillir des informations dans des environnements intimidants sont très importantes. La qualité de composition des membres du CPT est, en effet, un élément essentiel de son efficacité et de sa crédibilité. En pratique, il est très souvent nécessaire de faire appel à des experts pour assister les membres du comité. Il convient de relever que depuis 2003, le CPT a mis en place un système de mentor

pour que les nouveaux membres bénéficient des conseils des plus expérimentés (CPT, 2003c)

Le mandat des membres est d’une durée de quatre ans, renouvelable une fois pendant longtemps et désormais renouvelable deux fois depuis l’entrée en vigueur en mars 2002 du protocole Nº2 (CE, 1993b). Une restructuration récente permet maintenant que les mandats de la moitié des membres du CPT viennent à expiration à une date fixe tous les deux ans. Le comité se réunit en séances plénières trois fois par an. La majorité des membres exercent d’autres mandats ou occupations et se voient attribuer une allocation proportionnelle au nombre de jours consacrés au CPT. Morgan et Evans (2002) constatent, à cet effet, que la majorité des membres exercent d’autres mandats ou occupations ce qui peut parfois réduire leur disponibilité pour le CPT. Ces auteurs soulignent également que les délais existants entre la ratification de la Convention et la nomination d’un membre ou encore entre la démission ou fin de mandat d’un membre et la nouvelle élection, posent parfois problème et expliquent un certain nombre de sièges vacants.

c Le bureau et le secrétariat du CPT

Lors de la première réunion de 1989, le CPT a établit un règlement intérieur qui prévoit, entre autre, l’élection du bureau du CPT. Le bureau, qui a pour tache de diriger les travaux du comité, est composé d’un président, ainsi que d’un premier et un second vice- président.

Le secrétariat du CPT constitue une section de la Direction des droits de l’homme et son personnel est fourni par le secrétariat général du Conseil de l’Europe. Installé à Strasbourg, il se compose d’une section centrale pour l’administration, la documentation et l’assistance technique et de trois équipes régionales dirigées par un secrétaire exécutif. Le secrétariat a une fonction étendue qui va de l’organisation et la préparation des visites à la rédaction des comptes rendus de réunions ainsi qu’à l’application des décisions adoptées par le comité, en passant par l’accompagnement et l’assistance administrative pendant les

visites. Les agents administratifs accompagnent, en effet, les membres du CPT dans les visites qu’ils ont eux même organisés. Malgré ses attributions essentiellement administratives, le secrétaire exécutif est, en effet, détenteur d’un certain pouvoir discrétionnaire dans sa mission de sélection des informations reçues comme entrant ou non dans la compétence du CPT. Comme le mentionne un membre du secrétariat, la recherche d’informations est à la base du fonctionnement du CPT :

chacun d’entre nous suit un certain nombre de pays de façon permanente, que ce soit donc à travers les informations reçues….à travers les medias…à travers un réseau je dirais très important, donc c’est un travail constant de se renseigner sur l’évolution de la situation dans un pays et aussi naturellement d’être vigilant a des situations qui pourraient brutalement émerger…C’est un travail de recherche, je dirais d’intelligence, qui est fait à partir, d’informations qu’on a des autorités nationales, puisqu’elles sont obligées de par la Convention de nous fournir toutes les informations utiles, de l’expérience tirée de visites précédentes qu’on a pu faire dans le pays, de communications qu’on reçoit de particuliers ; cela peut être des avocats, cela peut être des personnes détenues, privées de liberté puisque dans nombre de pays les détenus ont un accès confidentiel au président du comité ; cela peut être des organisations non gouvernementales comme cela peut être des rapports d’autres organisations internationales comme par exemple le Comité Contre la Torture des Nations Unies. Agnès, membre du secrétariat du CPT).

Le secrétariat dans son ensemble, dont la stabilité est remarquable a contribué fortement à l’éthique et l’efficacité du CPT. Analystes (Morgan et Evans, 2002) ou membres du CPT reconnaissent fréquemment les compétences du secrétariat qui réunit à certains égards une plus grande expérience que la plupart des membres individuels ou même de l’ensemble du CPT. Les propos d’un membre du CPT que nous avons interviewé illustrent parfaitement cette position :

Je trouve qu’une des forces …c’est le fait qu’il y ait deux pôles, en fait, le secrétariat, d’une part et les membres, d’autre part. Les membres, bon, sont issus de milieux un peu divers…, certains ne connaissent pas le milieu carcéral, ils y rentrent parfois en arrivant ici pour la première fois, …d’autres, par contre, ont des expériences beaucoup plus nourries,

beaucoup plus consistantes …un ensemble pluridisciplinaire… et puis alors vous avez un secrétariat très professionnel, qui est là en permanence, et qui sont, je trouve, vraiment très expérimentés, qui sont bien documentés et qui font, ce travail avec un engagement que je trouve à tout point de vue remarquable….Et je trouve que la combinaison des deux donne un résultat qui me paraît très intéressant, d’autant que, lorsqu’on travaille sur le terrain…on a des tâches identiques, mais en même temps, une fois que la mission se termine, c’est vrai que les tâches du secrétariat sont plus importantes mais cette combinaison des deux fait qu’il y a une dynamique qui, à mon avis, est propre au CPT et qui est propre à ce fonctionnement en deux pôles, que je trouve tout à fait original. (François, membre du CPT)

d Les experts sollicités par le CPT

Il est prévu48 que le CPT puisse avoir recours à des experts et des interprètes afin de «compléter l’expérience du comité» (Conseil de l’Europe 1987c). Il suffit d’analyser la composition des différentes visites faites par le CPT depuis ses débuts pour voir que cette possibilité a très fréquemment été utilisée (cf. tableau en annexe A1). Morgan et Evans (2002) soulignent que le besoin de recourir à des experts dépend directement des compétences des membres du comité et que, normalement, le recours à des experts devrait rester exceptionnel. Ils mentionnent que si le nombre d’experts est théoriquement illimité, il serait du plus mauvais effet s’ils venaient à dominer en nombre les membres du CPT. Le besoin de recourir à des experts dépend directement des compétences des membres du Comité. S’il est évident que le recours aux experts doit rester exceptionnel et que ceux-ci ne peuvent pas dominer en nombre les membres du CPT, ce recours extérieur semble, cependant, inévitable pour former une équipe adaptée à chaque visite. L’adjonction d’experts spécialisés aux membres disposant de qualifications générales apparaît à de nombreux égards un bon modèle (Canivet, 2000; Morgan et Evans, 2002).

C Les méthodes de travail du CPT

Le modus operendi du CPT est basé sur des visites des établissements de détention des pays signataires de la Convention, visites qui sont la raison d’être et l’occupation principale du CPT (Morgan et Evans, 2002). Pour reprendre les propos d’Agnès, membre du secrétariat, le CPT est «un mécanisme de terrain». Dans un film vidéo réalisé par le CPT, un de ses membres49 insiste sur le fait que le CPT est bien un comité de terrain et non pas d’un comité de salon. Il précise «son objectif est de recueillir des faits et pas des idées et ce, sans se soucier du gouvernement». Pour sa part, Gérard, un des membres du CPT que nous avons rencontré, compare ce comité à «un Saint-Antoine, qui veut toucher la plaie».

L’article 2 de la Convention mentionne que : « chaque partie autorise la visite…de tout lieu relevant de sa juridiction où des personnes sont privées de liberté par une autorité publique » (CE, 1987b). Le caractère large de cet énoncé est confirmé par le rapport explicatif du CPT qui mentionne qu’en pratique, le motif, le statut ou le lieu de la privation de liberté importe peu et sont donc concernés aussi bien les prévenus et les condamnés, majeurs et mineurs, suite à un jugement pénal ou militaire, que les personnes retenues administrativement ou internées pour raisons médicales (CE, 1987c).. Ainsi le CPT couvre par son action près de 1.800.000 détenus (CPT, 2005a). Le critère principal semble donc être celui de l’autorité ordonnant la privation de liberté qui doit être une autorité publique, le lieu de détention peut être privé ou public sans différenciation. A titre d’illustration, Agnès, membre du secrétariat, nous mentionnait avoir visiter «des wagons de chemins de fer qui étaient transformés en lieux de détention».

Différents types de visites sont faites par le CPT : des visites dites périodiques sont décidées en session plénière par le Comité et des visites ad hoc sont entreprises avec l’autorisation du bureau quand la nécessité d’une visite urgente et rapide voit le jour et que la prochaine session plénière est trop éloignée.

Chaque année, le CPT décide du nombre et des pays qui feront l’objet d’une visite périodique l’année suivante. Le CPT jouit du pouvoir discrétionnaire de décider des pays, du moment et des critères sur lesquels se fonde sa décision (Céré, 2001). Les pays concernés sont informés et un communiqué de presse est publié pour inciter d’une part les États à réunir les informations qui seront demandées et d’autres parts les ONG à communiquer au CPT les informations dont elles disposent. Si le comité doit notifier son intention d’effectuer une visite à l’État concerné, il n’a cependant pas l’obligation de révéler les lieux qui feront l’objet de la visite. Le secrétariat s’occupe alors de l’organisation pratique de la visite : date, durée, composition de la délégation, experts, etc. Il a également pour mission de rassembler les informations permettant de décider de la teneur de la visite (CE, 1989).

Ainsi, la délégation se réunit peu avant la visite pour approuver le programme. Deux semaines avant la visite, le pays est, par l’intermédiaire d’un officier de liaison, informé de la date et la durée de la visite ainsi que de la composition de la délégation. Le secrétariat contacte alors les personnes ou les ONG que la délégation souhaite rencontrer durant la visite. Ce n’est que quelques jours avant la visite, qu’une liste provisoire des lieux à inspecter est envoyée à l’État concerné. Selon Morgan et Evans (2002), cette notification intervient trop tard pour permettre aux autorités de modifier les conditions ou le régime de détention mais permet aux autorités de prendre les mesures pratiques nécessaires, de réunir les informations et de prévoir les rencontres. Le CPT peut, cependant, toujours décider de visiter des lieux qui n’ont pas été notifiés et en pratique, il le fait assez souvent. Quand le CPT décide d’organiser des visites ad hoc, souvent motivées par l’urgence de la situation ou des allégations graves, la procédure est simplifiée, les échéances raccourcies et les stratégies adaptées50.

49 Témoignage extrait d’un film documentaire réalisé par le CPT.

50 Les membres de la délégation décideront, par exemple de revenir sur les lieux par surprise au milieu de la nuit.

Une visite périodique dure entre une à deux semaines tandis que la durée des visites ad hoc est variable et ne dépasse parfois pas plus que trois jours. Une délégation du CPT se compose, en général, de 3 à 15 personnes selon le nombre d’interprètes nécessaires. Chaque délégation est conduite par un membre du CPT (qui souvent siège au bureau) et inclue au moins deux membres du CPT auxquels s’ajoutent généralement deux membres du secrétariat et un ou plusieurs experts. Parmi les membres et les experts, il est fréquent que l’un d’entre eux soit issu du milieu médical. En pratique, dans le but de visiter le plus d’établissements possibles, il est fréquent que la délégation choisisse de se diviser (Morgan et Evans, 2002).

La visite débute souvent par des réunions avec les ministres et les fonctionnaires responsables des institutions à visiter ainsi que des ONG ou des particuliers concernés. La délégation se rend ensuite sur les lieux de détention dont le nombre est relativement restreint. Il s’agit le plus souvent d’une demi-douzaine de postes de police, trois prisons, un hôpital psychiatrique, un centre de détention pour mineurs et un centre de détention pour immigrants. Les membres de la délégation examinent alors les conditions de détention, l’attitude du personnel et le registre de détention. Comme l’indique les propos de l’un