• Aucun résultat trouvé

La ville plus que la campagne

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 159-162)

Arrivent enfin deux provinces faiblement concernées par les demandes de pardon pour homicide : Avila (18 cas) et Soria (6) Pour la première, le schéma proposé précédemment

2. La ville plus que la campagne

Graphique 15. — Taux de demande de pardon pour homicide pour 100 000 habitants

La relation entre prospérité, nombre des hommes et nombre d’ho- micides pardonnés est donc pleine d’incertitudes. Pourquoi des bour- gades relativement peuplées alors, telles Arévalo (870 vecinos) ou Ponferrada (422 vecinos seulement, mais capitale de province à l’époque), ne sont-elles pas représentées dans les demandes de grâce alors que des cités comparables et géographiquement proches, Peña- randa de Bracamonte (815 vecinos) et La Bañeza (379 vecinos) appa- raissent respectivement à cinq et quatre reprises ? Une nouvelle fois, nous touchons à la part d’inconnu que comportent ces documents et aux tortueux chemins qui les conduisent à Madrid.

2 La ville plus que la campagne

À plusieurs endroits, nous avons eu l’occasion d’énoncer les indices qui semblaient nous indiquer une prépondérance du milieu urbain dans les procès pour homicide que nous avons recueillis : du fait de la présence massive des corregidors parmi les fonctionnaires condui- sant les enquêtes après le crime, en raison, aussi, de l’importance des capitales de province et des grandes cités par rapport au reste du territoire. Il s’agira maintenant d’essayer de quantifier le phéno- mène et d’en apprécier les conséquences. Mais ce travail passe par

une définition préalable de ce qu’est une ville, au moins du point de vue du nombre de ses habitants. Pour l’habitat humain antérieur à l’époque contemporaine, on sait que le sujet est controversé. Selon la définition d’un contemporain de nos criminels, Sebastián de Covar- rubias, auteur du fameux dictionnaire, la ciudad est « une multitude d’hommes ciudadanos, qui s’est réunie pour vivre dans un même lieu, sous [l’égide] de lois et d’un gouvernement1». Comme souvent,

le chanoine de Cuenca est concis : la ville est bien, avant tout, une question de nombre ; puis se pose celle de la régulation de la vie du groupe.

Selon la définition proposée par Alfredo Alvar Ezquerra, à propos de l’Espagne duXVIIesiècle, une ville est une agglomération humaine où la population est abondante, l’habitat dense (maisons à plusieurs étages où réside plus d’une famille, tendance à la disparition des jar- dins et des potagers) où abondent les activités non agricoles, où l’on rencontre toutes sortes de métiers artisanaux2. Nous y souscrivons,

même si les notions d’abondance de population et de densité de l’ha- bitat peuvent demander à être précisées et que la présence ou l’ab- sence de lieux cultivés ne saurait être un véritable discriminant. On conviendra avec l’historien espagnol de rejeter le seuil de 10.000 habi- tants fixé par Jan de Vries, car bien trop élevé pour l’époque3. Il ne

sera conservé que pour marquer la limite inférieure des très grandes cités. Même la limite inférieure de 5 000 habitants, avancée par José I. Fortea Pérez, semble trop ambitieuse au vu de la réalité offerte par les cités du XVIe et du XVIIe siècle4. On sera donc de l’avis de

Fernand Braudel qui refusait le minimum de 2 000 à 2 500 habitants pour définir la ville à l’époque moderne et reconnaissait pour telles des cités françaises de moins de 900 âmes5. D’autre part, nous avons

abandonné l’idée de différencier les lieux du crime en fonction de l’appellation officielle dont ils bénéficiaient. Ciudad, villa ou lugar

1. COVARRUBIAS, Sebastián de, Tesoro de la Lengua Castellana... op. cit. p. 427 : « Ciudad es multitud de hombres ciudadanos, que se ha congregado a vivir en un mesmo lugar, debajo de unas leyes y un gobierno. »

2. ALVAREZQUERRA, Alfredo, « Las ciudades españolas », ALCALÁ-ZAMORA, José N. (Dir.), La vida cotidiana en la España de Velázquez, Madrid, 1989, p. 71-90.

3. VRIES, Jan de, La urbanización de Europa... op. cit. p. 31-38.

4. FORTEA PÉREZ, José I., « Les villes de la couronne de Castille sous l’Ancien Régime : une histoire inachevée », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 41-2 (avril-juin 1994), p. 290-312.

marquent théoriquement une hiérarchie entre la ville, le bourg et le village1. Cependant le rapport entre cette importance théorique et la

taille réelle de la cité a parfois considérablement évolué depuis les origines médiévales de cette taxinomie : Simancas est villa, Madrid aussi.

Ainsi donc, considérant que c’est effectivement le nombre des habi- tants qui sert à différencier de manière efficace ce que nous devons appeler ville ou campagne, nous proposerons, à partir du recense- ment de 1591, le découpage suivant pour les 187 lieux de Castille et Léon qui apparaissent dans les pardons pour homicides (données inconnues car population ignorée : 7,5 %), sachant, répétons-le, que le terme vecino recouvre l’habitant mâle de la cité et toute sa famille, soit l’équivalent du feu pour le royaume de France, et qu’on l’affecte habituellement du coefficient 4,5 :

a. grandes villes de plus de 2.000 vecinos (10 dans notre corpus) ; b. villes de plus de 500 vecinos (30) ;

c. bourgs de plus de 200 vecinos (42) ; d. gros villages de plus de 100 vecinos (25) ;

e. villages ou hameaux de moins de 100 vecinos (66).

A priori, la répartition ville/campagne (Graphique 16 page sui-

vante) semble relativement équilibrée si la limite entre les deux mondes est placée à 200 vecinos (82/91). Elle le sera beaucoup moins si l’on ne prend en compte, dans l’ensemble des villes, que celles regroupant plus de 500 vecinos (40/133). On arriverait dans ce cas à la proportion d’environ un lieu urbain pour trois lieux ruraux. Mais cette égalité entre ville et campagne ou cette suprématie du rural, sui- vant le seuil retenu, ne sont qu’apparence. En effet, considérant les chiffres des homicides pardonnés, les volumes vont s’inverser.

L’opposition ville/campagne prend tout son sens à partir du moment où l’on comptabilise les homicides commis dans chacun des groupes d’habitat que nous avons définis préalablement (Graphique 17 page ci-contre). De ce point de vue, même en limitant l’espace urbain aux agglomérations de plus de 500 vecinos, on embrasse près des deux tiers des homicides pardonnés. Les trois quarts seront même dépas- sés si cette limite est abaissée à 200.

1. MOLINIÉ-BERTRAND, Annie, « Ciudades ou villas ? », Mélanges offerts à Paul Guinard, vol.I, Paris, 1990, p. 273-282.

- 100 -

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 159-162)