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La mauvaise justice

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 99-104)

démographique et judiciaire

3.4 La mauvaise justice

Autre point faible de l’administration : elle est parfois mal servie par certains de ses membres, tels les alguazils, à la détestable réputation, que Covarrubias compare à une araignée au milieu de sa toile3. Il

faut dire qu’ils peuvent payer très cher leur charge, jusqu’à plus de 800 000 maravedís, nous dit-on4. Et le salaire est faible : 30 0000 mrs ;

alors, fatalement, ils tentent de récupérer leurs fonds en se payant sur la population. Mais les crimes contre les personnes ne sont pas les plus juteux et les alguazils sont accusés de les délaisser, ou d’abuser de leurs prérogatives. Barrionuevo ne les apprécie guère : racontant l’assassinat de deux d’entre eux en mai 1656, il ajoute brutalement : « Ils ne manquent pas, car il y en a beaucoup trop5».

T. Mantecón montre les abus que pouvaient faire naître ce qu’il nomme « le mauvais emploi de la justice », c’est-à-dire les usages fal- lacieux de l’appareil judiciaire au profit d’un juge ou de ses affidés6.

1. A.G.S., Cade Ca, leg. 2655/15.

2. LEÓN, Pedro de, Grandeza y miseria en Andalucía. Testimonio de una encrucijada histórica (1578 a 1616), Grenade, 1981, p. 427.

3. COVARRUBIAS, Sebastián de, Tesoro de la lengua castellana o española, 1987, Madrid, p. 87 [1reédition en 1611]

4. HERASSANTOS, José Luis de las, La justicia penal... op. cit. p. 161. 5. BARRIONUEVO, Jerónimo, Avisos...CLVIX.

6. MANTECÓN, Tomás Antonio, « El mal uso de la justicia en la Castilla del siglo

Cet usage indu de la justice peut provoquer en retour de la violence de la part des victimes de tels procédés. On notera pour nuancer le tableau, que l’État intervient parfois pour mettre fin aux abus. Souli- gnons que dans l’étude menée à bien par Mantecón, la plupart des exemples qu’il fournit proviennent d’Andalousie.

Qu’on se rassure, la Vieille-Castille connaît aussi ses mauvais juges : Juan Martín, alcalde ordinario de Adalía, bourgade de la province de Valladolid, en est un. Le 20 juin 1643, il a permis à Pedro Rafael, qui venait d’assassiner traîtreusement le notaire Sébastián Rico d’un coup d’épée donné par derrière, de trouver refuge à son domicile ; et le lendemain il a facilité sa fuite en lui fournissant une monture. La justice royale le condamnera à huit ans d’interdiction d’exercer les fonctions d’alcalde et à verser 500 ducats à la famille du défunt.

Les motivations qui poussent les fonctionnaires de justice à venir en aide ne nous apparaissent pas toujours clairement. Elles sont sans doute multiples : appât du gain, solidarités claniques ou familiales. Les documents ne nous permettent que rarement de suivre le dédale des réseaux de solidarité locaux ; nous ne pouvons bien souvent qu’en constater la complexité. Le village d’Arenzana de Arriba (actuelle pro- vince de Logroño) où un homicide a lieu en 1643, possède un alcalde de la Hermandad, lui-même pourvu d’un archer (cuadrillero)1. L’al-

calde est le frère du magistrat local (merino) qui mène l’affaire avec diligence, tandis que l’archer est le frère et le complice de l’assassin. Cependant, on n’a pas sonné les cloches comme la Hermandad doit le faire pour inviter les villageois à se lancer à la poursuite du délin- quant. Cette omission a sans doute facilité sa fuite.

C’est pour cette dernière raison que le curateur d’une victime mineure porte plainte, en 1634, contre l’alcalde ordinario de Baltranás, bourg de la province de Palencia, car après avoir arrêté le coupable, Francisco de las Puertas, « il lui enleva ses gardes et ses entraves pour qu’il puisse se déplacer dans la pièce où il se trouvait, pour qu’ainsi il pût atteindre la porte et s’évader comme il le fit2». Selon l’accusateur,

rabies. Violencia, conflicto y marginación en la Edad Moderna, Santander, 2002, p. 69-98.

1. A.G.S., Cade Ca, leg. 2570/28.

2. A.G.S., Cade Ca, leg. 1836/sn : « Le quitó las guardas y el cepo para que pudiera

andar por el aposento donde estaba para que con esto pudiera llegar a la puerta y romper las prisiones como lo hizo. »

toutes ces facilités accordées au prisonnier étaient dues au fait qu’il fût le mari d’une nièce de l’alcalde.

Parfois, la complicité de la justice locale avec le meurtrier est telle qu’elle refuse d’enquêter. C’est ce qui arrive à El Pedroso, bourg de la province de Salamanque, où la veuve de Francisco de López, mozo

de labranza (ouvrier agricole), doit en appeler au lieutenant de cor-

regidor de la capitale afin qu’une procédure soit enclenchée1.

Certains représentants de la loi semblent croire que leurs pouvoirs sont sans limites. Alonso de Montemayor, alcalde de la Hermandad, a relâché Miguel de Ordejón, alcalde ordinario de Tudela de Duero, près de Valladolid, après que celui-ci eut blessé gravement à la tête d’un coup d’épée le tisserand Mateo de San Miguel, accusé d’avoir volé du romarin dans un jardin. Interrogé sur les raisons de ce subit élargissement, Alonso de Montemayor ne se démonte pas : « Je suis alcalde de la Hermandad, je peux arrêter et relâcher2». Le gérant de

la prison nous renseigne sur les motivations profondes de cet acte : il s’agissait de complaire au frère du prisonnier, le licencié Jerónimo de Ordejón, prêtre bénéficier, « qui est un homme de haut rang3».

Parallèlement à ces déviances ponctuelles, il existe des cas où le fonctionnaire de justice semble faire profession de délinquant. Nous avons rencontré un de ces sujets extrêmes qui ne doivent en aucun cas être considérés comme des représentants types de la profession mais dont les exactions ont dû marquer fortement les esprits de l’époque et contribuer à l’enrichissement de la légende. Il se nomme Manuel de Moreira et fut alguazil de l’adelantamiento de Campos autour de 1617. À la fin de cette année-là, il se trouvait en exil au Por- tugal pour avoir commis un meurtre et demandait son pardon au roi. Ce fut l’occasion de récapituler l’ensemble de ses méfaits : au moins onze chefs d’inculpation, du faux en écriture à l’homicide en passant par les insultes et les blessures ; cet alguazil se distingue particulière- ment par la brutalité avec laquelle il exerce son métier :

Devant des pauvres et leurs enfants qui pleuraient devant lui à cause de ses excès, il disait qu’il n’y avait pas de musique plus douce ni de

1. A.G.S., Cade Ca, leg. 2596/2.

2. A.G.S., Cade Ca, leg. 1640/8 : « Soy alcalde de la hermandad, puedo prender y

soltar. »

perles plus précieuses que les larmes qu’ils versaient ni rien qui lui procurât plus de plaisir1.

Ce type de personnage pose un double problème : d’une part ils participent à l’augmentation de la criminalité alors qu’ils sont censés lutter contre elle ; d’autre part il décrédibilisent la justice royale en pro- jetant une image repoussoir du fait de leurs comportements cruels et injustes. Le cas des alguazils n’est pas unique ; nous verrons plus loin, lorsque nous étudierons les différentes professions des homicides et de leurs victimes, que les escribanos (greffiers-notaires) contribuent eux aussi, par leurs comportements violents, à faire entrer les repré- sentants de la légalité dans la sphère de la criminalité, et par réaction de défense, l’ensemble de la société.

1. A.G.S., Cade Ca, leg. 2708/13 : « algunos pobres y sus hijos lloraban delante de

él por sus demasías, decía no había música más suave ni perlas más preciosas que las lágrimas que derramaban ni que de mayor gusto le fuese. »

Chapitre III

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