• Aucun résultat trouvé

Le temps du crime

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 134-140)

Dans les procès pour homicide ayant entraîné une demande de par- don, les notations temporelles sont fournies avec la plus grande pré- cision. Elle est bien entendu totale pour ce qui concerne l’année du crime, mais elle l’est presque autant pour le mois (99,1 % des données connues) et pour le jour (96,7 %). Même les heures du crime sont attes- tées avec un degré d’exactitude qui reste élevé (près de 70 % pour l’heure chiffrée et plus de 86 % si l’on prend en compte des indica- tions plus vagues). Cette précision résulte aussi bien de la rigueur de l’enquête et des interrogatoires que de la capacité des personnes interrogées à se situer dans le temps.

1 Les années

Les 453 procès dépouillés correspondent à 456 homicides — dans trois cas, il y a eu deux victimes par procès1— commis entre 1564 et

1698. Comme on peut le constater sur le graphique 4 page suivante. Ces homicides se repartissent de manière relativement harmonieuse tout au long de la période. Seules les années 1565, 1567, 1568, 1569, 1570, 1573, 1574, 1575, 1577, 1581, 1590, 1591, 1681, 1693, 1694, 1696 ne sont pas représentées ; soit moins de 12 % de l’ensemble. Ce corpus est donc apte à rendre compte des homicides pardonnés sur l’espace de temps choisi. On notera que ce sont le début et la fin du cycle qui sont affectés par les lacunes.

On retrouve ici des observations qu’on a pu faire dans la première partie à propos des demandes de pardon. Comme on peut le constater sur le graphique 5 p. 135, la courbe des demandes de grâce reproduit en grande partie celle des homicides.

- 82 -

Graphique 4 : Répartition des homicides par années d'accomplissement

0 2 4 6 8 10 12 1564 1570 1576 1582 1588 1594 1600 1606 1612 1618 1624 1630 1636 1642 1648 1654 1660 1666 1672 1678 1684 1690 1696 années nombre d'homicides Gr aphiq ue 4. — R épar tition des homicides par années d’accom plissement

On remarquera aussi la sous-représentation duXVIesiècle par rap- port auXVIIele premier ne rassemble que 11,3 % des homicides com- mis alors qu’il occupe plus de 27 % de la période de temps étudiée (de 1564 à 1600). Ce phénomène est dû à deux facteurs : d’une part, comme nous l’avons indiqué, la plus grande difficulté avec laquelle les pardons sont accordés au XVIesiècle ; d’autre part, le fait que les sources soient peut-être mieux conservées auXVIIesiècle qu’elles ne le furent dans la période précédente.

Les fortes valeurs affichées dans les années 1600-1606 corres- pondent à la période où Valladolid était siège de la Cour et de l’ad- ministration royale. Si cette période a été l’occasion de demandes de pardon accrues auprès de la Chambre de Castille (cf. graphique 1 p. 27), elle a aussi été le théâtre d’un nombre d’homicides sans doute plus élevé du fait du retour de la direction politique et administrative du pays et les tensions que cet afflux de population a pu engendrer à l’intérieur de la ville de Valladolid1.

Graphique 5. — Courbes comparées des homicides et des demandes de pardon (par décennie)

1. GUTIÉRREZ ALONSO, Adriano, Estudio sobre la decadencia de Castilla... op. cit. p. 129-131.

Tableau 9. — Répartition des demandes de pardon par décennie 1564-1570 2 1571-1580 9 1581-1590 17 1591-1600 23 1601-1610 39 1611-1620 56 1621-1630 77 1631-1640 45 1641-1650 48 1651-1660 38 1661-1670 34 1671-1680 28 1681-1690 26 1691-1698 11 total 453 2 Les mois

Existe-t-il un caractère saisonnier du crime ? À lire R. Muchem- bled, on peut le croire, car dans l’Artois de l’Époque moderne, il a observé une très nette augmentation de la violence au printemps, laquelle s’accentue encore en été avant de diminuer régulièrement d’octobre à février1. Mais ce cycle estival de la violence est sans

doute le reflet de celui de la vie paysanne, peu préoccupée par les saisons intermédiaires ; elle s’organise autour de deux temps opposés, d’équinoxe à équinoxe, l’un, fait de travail intense à l’extérieur, l’autre d’une activité réduite et d’un repli domestique des hommes, qui cor- respondent grossièrement aux deux périodes d’intense et de basse violence décrites par l’auteur de La Violence au Village2. Sachant

que les meurtriers artésiens sont des ruraux à plus de 80 %, comme le reste de leurs concitoyens d’ailleurs, le tableau semble cohérent.

Il devra cependant être nuancé compte tenu des résultats assez diffé- rents obtenus par C. Gauvard : dans la France de la fin du Moyen Âge, ce sont les saisons intermédiaires qui semblent réunir le plus grand nombre de crimes ; mai, juin et septembre sont classés bien avant

1. MUCHEMBLED, Robert, La violence au village... op. cit. p. 26-31.

2. Ibid. et Société, cultures et mentalités dans la France moderne. XVIe-

juillet et août, alors que septembre et décembre arrivent à égalité en troisième position au palmarès de la criminalité1. Mais la comparai-

son n’est pas totalement légitime car ici, c’est l’ensemble des crimes qui est étudié et non les seuls homicides.

Une étude dont les résultats obtenus pourraient être fructueuse- ment rapprochés des nôtres est celle menée par Isabelle Paresys et récemment publiée2. Les documents dépouillés sont aussi des par-

dons, octroyés au XVIe siècle, le nombre de cas observés est sensi- blement proche (335 dossiers), bien que relevant d’un territoire — la Picardie — moins vaste et comptant une population bien inférieure au 1,9 millions d’habitants de la Castille et Léon. Cependant, le résul- tat est assez décevant dans la mesure où, comme l’affirme l’auteur, la courbe annuelle des homicides « est fort mouvementée3», avec

des pointes en avril, mai, août et novembre et des creux aux mois de février, mars, juillet et octobre. Ce qui rend assez difficile, quoi qu’elle en dise, le repérage d’un caractère saisonnier de la violence.

On ne peut guère poursuivre ce jeu des comparaisons car rares sont les historiens qui se sont penchés sur le crime avec autant de précision, la plupart du temps, faute de sources en mesure de fournir ce type de données. Néanmoins, les indications obtenues sur les rela- tions existant entre le volume de la violence et les saisons de l’année nous invitent à affiner notre questionnement et à solliciter nos procès en fonction du caractère rural ou urbain des crimes et de la profes- sion des acteurs.

On remarquera les pics d’homicides pardonnés en janvier et en août et le niveau élevé présenté par les mois de juin, mai et juillet. Le cycle d’été de la violence est visible, même si le record de janvier n’est guère explicable à première vue. Cependant, ce qui semble le plus marquant, c’est le niveau exceptionnellement bas des mois d’avril et de décembre. Et l’on pense immédiatement aux deux périodes de jeûne et de recueillement que ces mois recouvrent : l’Avent pour décembre, soit 36 jours de jeûne du premier décembre au 5 janvier, veille de l’Épiphanie ; le Carême pour avril, même si la fête de Pâques est mobile (premier dimanche après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps) : soit les 40 jours compris entre le mercredi des Cendres

1. GAUVARD, Claude, « De grace especial »... op. cit. p. 483.

2. PARESYS, Isabelle, Aux marges du royaume. Violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, 1998, 396 p.

PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. CĹrĹiŠmĂeŊsĹrĹiŻxĄeŊsĂeĽt — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2007-11-7 — 11 ŘhĞ 35 — ŇpĂaĂgĄe 138 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 138) ŇsĹuĹrĞ 480

Chapitre IV. — Le temps du crime

- 84 -

(335 dossiers), bien que relevant d’un territoire –la Picardie– moins vaste et comptant une population bien inférieure au 1,9 millions de la Castille et Léon. Cependant, le résultat est assez décevant dans la mesure où, comme l’affirme l’auteur, la courbe annuelle des homicides « est fort mouvementée7 », avec des pointes en avril, mai, août et novembre et des creux aux

mois de février, mars, juillet et octobre. Ce qui rend assez difficile, quoi qu’elle en dise, le repérage d’un caractère saisonnier de la violence.

On ne peut guère poursuivre ce jeu des comparaisons car rares sont les historiens qui se sont penchés sur le crime avec autant de précision, la plupart du temps, faute de sources en mesure de fournir ce type de données. Néanmoins, les indications obtenues sur les relations existant entre le volume de la violence et les saisons de l’année nous invitent à affiner notre questionnement et à solliciter nos procès en fonction du caractère rural ou urbain des crimes et de la profession des acteurs.

Graphique 6 : répartition des homicides par mois

34 39 25 41 45 41 48 34 34 33 25 50 0 10 20 30 40 50 60

janvier février mars avril mai juin juillet août

septembre octobre novembre décembre

mois homidices homicides réels effectif théorique Données inconnues : 4 (0,9 %) Données inconnues : 4 (0,9 %) 5 G

AUVARD, Claude, "De grace especial"… op. cit. p. 483.

6 P

ARESYS, Isabelle, Aux marges du royaume. Violence, justice et société en Picardie sous François Ier, Paris, 1998, 396 p.

7 Ibid. p. 63.

Graphique 6 : Répartition mensuelle des homicides

Graphique 6. — Répartition mensuelle des homicides

et le dimanche de Résurrection avec, en Espagne, le moment paroxys- tique des manifestations de dévotion qu’est la Semaine sainte. Si les données sont sollicitées en prenant en compte le caractère mobile du Carême, on se rend compte que l’écart par rapport à la moyenne est sensiblement plus important pour l’Avent que pour le Carême. En effet, si l’on considère qu’il y a 1,237 homicide pardonné par jour de l’année, ce taux n’est que de 0,944 pour la période de l’Avent et de 1,225 pour le Carême.

L’interprétation de cette observation est délicate. Soit il faut consi- dérer que les demandes de pardon pour homicide, malgré le faible nombre de crimes qu’elles prennent en compte par rapport à l’en- semble de ceux qui sont commis dans la société, sont représentatives de l’activité criminelle et l’on pourra considérer que la violence meur- trière faiblit pendant ces périodes de mortifications collectives ; soit au contraire, on estimera que l’autorité qui administre les demandes de pardon aura tendance à écarter celles qui résultent de crimes commis pendant ces périodes, l’homicide ayant acquis un caractère encore plus sacrilège. On ne pourra apporter de réponse catégorique à cette question. Cependant, il convient de signaler qu’aucune étude portant sur un nombre significatif d’homicides ou d’actes violents ne nous permet de confirmer la diminution de la violence en Espagne ou dans un autre pays catholique pendant les mois d’avril et de décembre. Quant à l’empêchement au pardon que le non-respect des

PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. CĹrĹiŠmĂeŊsĹrĹiŻxĄeŊsĂeĽt — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2007-11-7 — 11 ŘhĞ 35 — ŇpĂaĂgĄe 139 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 139) ŇsĹuĹrĞ 480

2 Les mois

dimanche après la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps) : soit les 40 jours compris

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 134-140)