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L’interprétation de cette observation est délicate Soit il faut considérer que les demandes de pardon pour homicide, malgré le faible nombre de crimes qu’elles prennent en compte par

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 140-145)

rapport à l’ensemble de ceux qui sont commis dans la société, sont représentatives de

l’activité criminelle et l’on pourra considérer que la violence meurtrière faiblit pendant ces

périodes de mortifications collectives ; soit au contraire, on estimera que l’autorité qui

administre les demandes de pardon aura tendance à écarter celles qui résultent de crimes

commis pendant ces périodes, l’homicide ayant acquis un caractère encore plus sacrilège. On

ne pourra apporter de réponse catégorique à cette question. Cependant, il convient de signaler

qu’aucune étude portant sur un nombre significatif d’homicides ou d’actes violents ne nous

permet de confirmer la diminution de la violence en Espagne ou dans un autre pays catholique

pendant les mois d’avril et de décembre. Quant à l’empêchement au pardon que le non-respect

des périodes de pénitence pourrait entraîner, plusieurs des cas de notre collection le

démentent : le dimanche de Pâques de 1605 à Léon, Bartolomé Flórez Tenorio a tué Miguel

Quiñones au cours d’une rixe pour un motif futile (une allusion à un bijou qu’il portait et

qu’une dame lui aurait donné) avec une rare violence : le chirurgien constata en sondant la

Graphique 7. — Saison du crime

périodes de pénitence pourrait entraîner, plusieurs des cas de notre collection le démentent : le dimanche de Pâques de 1605 à Léon, Barto- lomé Flórez Tenorio a tué Miguel Quiñones au cours d’une rixe pour un motif futile (une allusion à un bijou qu’il portait et qu’une dame lui aurait donné) avec une rare violence : le chirurgien constata en son- dant la blessure qu’elle traversait le cœur et ressortait dans le dos1.

Ce qui n’empêche pas de retrouver son procès dans l’ensemble des homicides pardonnables. De même, pour don Juan de Fontecha, qui a tué Diego de Avila, dans la ville du même nom, le Jeudi Saint de 1655, dans des circonstances qui ont toutes les apparences du duel, et avec la même violence : la victime est, elle aussi, transpercée2. Le cou-

pable, en fuite, est condamné à être égorgé. Cette apparente sévérité, à l’égard d’un privilégié, pour un homicide qui n’a pas été commis traî- treusement, sert peut-être à sanctionner l’injure faite à l’anniversaire

1. A.G.S., CaCa, leg. 1638/11.

2. A.G.S., CaCa, leg. 2577/4.

de la passion du Christ. Il n’empêche, deux ans plus tard, exactement, le Vendredi Saint de 1657, le meurtrier sera gracié. Pire encore : Fran- cisco Sánchez, de Gutierre-Múñoz (actuelle province d’Avila) a tué dans les bois et sans doute sournoisement, le garde Bartolomé Díaz le jour du Vendredi Saint : deux ans plus tard il sera gracié1. Quant au

multirécidiviste Manuel de Moreira, il a blessé d’un coup de dague un figurant de la procession du Vendredi Saint 1598. Lequel, signalons-le, a survécu à sa blessure2.

tué dans les bois et sans doute sournoisement, le garde Bartolomé Díaz le jour du Vendredi Saint : deux ans plus tard il sera gracié10. Quant au multirécidiviste Manuel de Moreira, il a blessé d’un coup de dague un figurant de la procession du Vendredi Saint 1598. Lequel, signalons-le, a survécu à sa blessure11.

Graphique 8 : Répartition des homicides par catégorie socioprofessionnelle 0 5 10 15 20 25 30 35 40

hiver printemps été automne

officiers gens de métier laboureurs nobles

Posons maintenant la question du caractère saisonnier du crime du point de vue de la profession des meurtriers (Graphique 812). Pour ce faire, les différentes activités déclarées par

les coupables ont été regroupées en quatre grands groupes afin d’obtenir des ensembles présentant un nombre d’éléments significatifs. Ils seront précisément définis ici une fois pour toutes, car nous les solliciterons à d’autres reprises. Le premier, le plus fourni, est celui des « gens de métier » pour reprendre l’expression française médiévale par laquelle on désignait l’ensemble des personnes occupées aux activités de l’artisanat. Il compte près de deux fois plus de membres que chacun des trois autres groupes, c’est pourquoi les résultats sont présentés en pourcentages et non en valeurs absolues. Le deuxième est celui des laboureurs ou assimilés, c’est-à-dire toute personne déclarant travailler la terre pour son propre compte ou pour un tiers. Le troisième regroupe les « officiers », soit les personnes titulaires d’un office

8 A.G.S., Ca Ca, leg. 1638/11. 9 A.G.S., Ca Ca, leg. 2577/4. 10 A.G.S., Ca Ca, leg. 2594/16. 11 A.G.S., Ca Ca, leg. 2675/4.

12 La catégorie des nobles est placée par commodité sur le même plan que les autres (officiers, gens de métiers,

laboureurs) mais il bien entendu qu’il ne s’agit pas d’une catégorie socioprofessionnelle au sens où on l’entend pour les non-nobles.

Graphique 8. — Répartition des homicides par catégorie socioprofessionnelle

Posons maintenant la question du caractère saisonnier du crime du point de vue de la profession des meurtriers (Graphique 83). Pour

ce faire, les différentes activités déclarées par les coupables ont été regroupées en quatre grands groupes afin d’obtenir des ensembles présentant un nombre d’éléments significatifs. Ils seront précisément définis ici une fois pour toutes, car nous les solliciterons à d’autres reprises. Le premier, le plus fourni, est celui des « gens de métier » pour reprendre l’expression française médiévale par laquelle on dési- gnait l’ensemble des personnes occupées aux activités de l’artisanat. Il compte près de deux fois plus de membres que chacun des trois autres groupes, c’est pourquoi les résultats sont présentés en pour- centages et non en valeurs absolues. Le deuxième est celui des labou- reurs ou assimilés, c’est-à-dire toute personne déclarant travailler la

1. A.G.S., CaCa, leg. 2594/16.

2. A.G.S., CaCa, leg. 2675/4.

3. La catégorie des nobles est placée par commodité sur le même plan que les autres (officiers, gens de métiers, laboureurs) mais il bien entendu qu’il ne s’agit pas d’une catégorie socioprofessionnelle au sens où on l’entend pour les non-nobles.

terre pour son propre compte ou pour un tiers. Le troisième regroupe les « officiers », soit les personnes titulaires d’un office tel que notaire, alguazil, récepteur, avoué et toute personne dont le statut peut leur être assimilable. Dans le quatrième on réunira les nobles ou les gens qui affichent la prétention de l’être par le moyen de la marque de respect « don » qui précède leur prénom. À l’époque que nous étu- dions, l’usage du don s’est considérablement développé et dépasse largement les rangs de la noblesse stricto sensu1. Cependant, les per-

sonnes qui l’exhibent et qui réussissent même, bien qu’accusées d’un crime grave, à le faire respecter par l’administration judiciaire, sont, à n’en pas douter, des gens de pouvoir et d’autorité.

On remarque tout d’abord le sommet atteint par les homicides com- mis par les gens de métier en hiver. Les actes violents de ce groupe ne semblent pas respecter le cycle « naturel » d’une violence estivale. Peut-être est-ce dû effectivement au caractère propre de leurs occu- pations professionnelles. On y reviendra au chapitre VI quand sera étudiée l’identité des coupables d’homicide. En revanche, la prédomi- nance d’une violence estivale est remarquable chez les laboureurs, ce qui semble assez cohérent avec leurs activités, mais aussi chez les officiers. Quant aux nobles, si leurs comportements violents ne sont guère marqués l’été et moins encore l’hiver, ils atteignent leur maxi- mum au printemps et, dans une moindre mesure, en automne.

Observée depuis lieu où le crime a été commis, la date mensuelle de l’homicide peut retrouver une certaine cohérence ; même si nous travaillons par la suite sur des données plus précises, les lieux du crime ont été regroupés en trois grands ensembles : la rue, qui est l’espace le plus fréquenté par les homicides pardonnés (plus de la moitié), est représentée assez régulièrement tout au long de l’année, ce qui est en conformité avec l’intense sociabilité qui y règne en toute saison. La pointe observée en janvier devra être analysée en regard du calendrier festif de l’époque. Nous y reviendrons dans la troisième partie de cette étude. La maison (le quart des homicides) est assez régulièrement le théâtre des crimes pardonnés hormis en avril et en juillet. Ce dernier chiffre est le résultat logique de l’activité aux champs, dans les journées les plus longues de l’année, qui occupe bon nombre des Castillans et pas seulement les paysans. Quant au mois d’avril, il montre ici une tendance renforcée : n’oublions pas que c’est le mois où le plus petit nombre d’homicides pardonnés a eu 1. MOLINIÉ-BERTRAND, Annie, « Qui donc est don ? », Mélanges offerts à Mau- rice Molho, vol. , Paris, 1988, p. 445-456.

Chapitre IV. — Le temps du crime

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chez les laboureurs, ce qui semble assez cohérent avec leurs activités, mais aussi chez les officiers. Quant aux nobles, si leurs comportements violents ne sont guère marqués l’été et moins encore l’hiver, ils atteignent leur maximum au printemps et, dans une moindre mesure, en automne.

Graphique 9 : Répartition mensuelle des lieux du crime

0,0% 2,0% 4,0% 6,0% 8,0% 10,0% 12,0% 14,0% 16,0% 18,0%

janvier février mars

avril mai juin juillet août

septembre octobre novembre décembre

maison rue campagne

Observée depuis lieu où le crime a été commis, la date mensuelle de l’homicide peut retrouver une certaine cohérence ; même si nous travaillons par la suite sur des données plus précises, les lieux du crime ont été regroupés en trois grands ensembles : la rue, qui est l’espace le plus fréquenté par les homicides pardonnés (plus de la moitié), est représentée assez régulièrement tout au long de l’année, ce qui est en conformité avec l’intense sociabilité qui y règne en toute saison. La pointe observée en janvier devra être analysée en regard du calendrier festif de l’époque. Nous y reviendrons dans la troisième partie de cette étude. La

13 MOLINIÉ-BERTRAND, Annie, « Qui donc est don ? », Mélanges offerts à Maurice Molho, Vol. I, Paris, 1988, p.

445-456.

Graphique 9. — Répartition mensuelle des lieux du crime

lieu. La campagne enfin (près du quart des cas) montre une réparti- tion conforme au rythme des saisons avec une pointe très élevée au mois de juillet, mais on explique mal la place très importante occupée par le mois de mars pour les crimes commis à la campagne.

Ces remarques montrent que, face à un certain caractère saison- nier de la violence marqué par une suprématie de l’été, des nuances importantes existent lorsqu’on a affaire à un corpus varié sur le plan géographique et socioprofessionnel. Cependant, le débat n’est pas impertinent et est loin d’être clos. À une époque plus récente, la seconde moitié duXVIIIesiècle, et dans un lieu de modernité, la ville de Paris, des chercheurs ont aussi constaté l’existence de cycles de violence face à des périodes de recul, malgré les irrégularités obser- vables d’une année sur l’autre. Elles résultent principalement de fac- teurs culturels, tel le calendrier des festivités, le Carême ou les tra- vaux saisonniers (recul de la violence à Paris pendant les moissons et les vendanges), même si les facteurs naturels ne doivent pas être sous- estimés, l’allongement des journées en été, par exemple qui, conjugué aux mauvaises conditions de logement de la plupart de la population, favorise l’occupation de la rue et le déclenchement de la violence1.

1. FARGE, Arlette, ZYSBERG, André, « Les théâtres de la violence à Paris au

3 Les jours

Les quantièmes sont présents dans la quasi-totalité des procès et ne font défaut que lorsque le document est incomplet. Qu’ils soient offi- ciers de justice, coupables d’homicide, victimes ou témoins, les Cas- tillans du Siècle d’Or utilisent peu le calendrier liturgique. Celui-ci n’apparaît que dans moins d’un cas sur cinq. Il est donc plutôt rare d’entendre, par exemple, désigner le 28 octobre par l’expression : « jour des glorieux bienheureux Saint Simon et Saint Jude » comme cela se produit néanmoins à Agreda (province de Soria) en 16171; ou

évoquer le 31 mai 1643 comme jour de la Sainte-Trinité. Il est vrai que le crime n’est évoqué qu’une semaine après son accomplissement. Le calendrier religieux permet, bien plus que le quantième, la mémorisa- tion de faits relativement éloignés dans le temps.

Pour ce qui est du nom du jour de la semaine, ces données ont été reconstituées pour la plupart, mais elles sont néanmoins direc- tement fournies par les acteurs du procès dans près d’un cas sur quatre. Ce qui montre une aisance relative dans leur maniement ; le graphique 10 page suivante permet de constater la prééminence du dimanche (19,5 % des homicides pardonnés). Viennent ensuite le mardi et le jeudi (environ 15 %). Cependant on constatera qu’à l’ex- ception du vendredi, où le nombre d’homicides est le plus faible, et de loin, les autres jours sont assez proches de la moyenne.

En Artois, entre leXVeet le XVIIesiècle, Muchembled montre, avec des réserves (75 % de données inconnues), la position dominante du dimanche (55 % des cas) suivi du lundi et du mardi (15 et 10 %)2. En

Picardie, sous François Ier, 29 % des homicides pardonnés ont eu lieu

un dimanche, 18,5 % un lundi, 13 % un mardi ; le taux le plus faible est celui du samedi (7,5 %)3. Dans les deux régions, les explications

avancées sont le repos dominical propice aux actes violents, les jours de fête et de foire correspondant aux jours les plus cités et la pour- suite, le lundi, des réjouissances du dimanche. On retrouve des résul- tats semblables à Paris auXVIIIeoù le dimanche, le lundi et le mardi regroupent plus de la moitié des actes de violences enregistrés. La « saint-lundi » chère aux ouvriers parisiens du siècle des Lumières

1. A.G.S., CaCa, leg. 1856/sn : « Día de los gloriosos bienaventurados san Simón y

san Judas. »

2. MUCHEMBLED, Robert, La violence au village... op. cit. p. 30-31. 3. PARESYS, Isabelle, Aux marges du royaume... op. cit. p. 59-60.

Chapitre IV. — Le temps du crime

car elle leur permet de prolonger les agapes de la veille1, ne semble

pas être connue en Castille au Siècle d’Or. Pourtant « san Lunes » existe dans le monde hispano-américain, lequel la tient sans doute de la métropole, mais nous n’en avons trouvé aucune trace en Espagne2.

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 140-145)