• Aucun résultat trouvé

Même si le contraste est moins tranché, là aussi, le cycle hebdomadaire des homicides pardonnés en Castille s’apparente aux modèles étrangers par la prédominance du dimanche.

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 145-149)

Et il présente une singularité : le bas niveau de crimes commis le vendredi. On peut

rapprocher cette observation de celle qui a été faite à propos des rythmes mensuels : une

relative conformité aux modèles du fait de la prééminence du crime estival, une originalité

due au faible niveau des mois d’avril et de décembre. Le point commun à ces deux

observations, c’est la religiosité de la société castillane. Partant, on peut émettre l’hypothèse

suivante : le vendredi est à la semaine ce que les mois d’avril et de décembre sont à l’année.

17 P

ARESYS, Isabelle, Aux marges du royaume…op. cit. p. 59-60.

18 F

ARGE, Arlette, ZYSBERG, André, « Les théâtres de la violence à Paris au XVIIIe siècle », art. cit.

19 Nombreuses occurrences dans la presse mexicaine contemporaine (Internet). Dans le roman picaresque tardif

(1816) Perriquillo Sarniento, t. I, Madrid, 1976, p. 318, le Mexicain José Joaquín Fernández de Lizardi met en scène un ouvrier savetier qui refuse de travailler un lundi pour deux raisons : d’abord parce que c’est saint-lundi et ensuite parce qu’il s’est saoulé la veille et qu’il a besoin de se soigner. On aura deviné que le mal se guérit par le mal.

Graphique 10. — Répartition des homicides par jour de la semaine

1. FARGE, Arlette, ZYSBERG, André, « Les théâtres de la violence à Paris au

XVIIIesiècle », art. cit.

2. Nombreuses occurrences dans la presse mexicaine contemporaine (Internet). Dans le roman picaresque tardif (1816) Perriquillo Sarniento, t. I, Madrid, 1976, p. 318, le Mexicain José Joaquín Fernández de Lizardi met en scène un ouvrier save- tier qui refuse de travailler un lundi pour deux raisons : d’abord parce que c’est saint-lundi et ensuite parce qu’il s’est saoulé la veille et qu’il a besoin de se soigner. On aura deviné que le mal se guérit par le mal.

Même si le contraste est moins tranché, là aussi, le cycle hebdoma- daire des homicides pardonnés en Castille s’apparente aux modèles étrangers par la prédominance du dimanche. Et il présente une singu- larité : le bas niveau de crimes commis le vendredi. On peut rappro- cher cette observation de celle qui a été faite à propos des rythmes mensuels : une relative conformité aux modèles du fait de la préémi- nence du crime estival, une originalité due au faible niveau des mois d’avril et de décembre. Le point commun à ces deux observations, c’est la religiosité de la société castillane. Partant, on peut émettre l’hy- pothèse suivante : le vendredi est à la semaine ce que les mois d’avril et de décembre sont à l’année. Des moments de recueillement, de prière intenses, qui entraînent un ralentissement des autres activités, y compris de celles pouvant entraîner des comportements violents. Ces attitudes, à l’époque qui nous occupe, sont sans doute observables avec une acuité particulière en Espagne, siège de la nouvelle Inqui- sition (même si les spécialistes nous ont appris à ne pas surestimer son emprise sur les esprits), ardente militante de la Contre-Réforme, plutôt qu’en France. Dans ce pays, les guerres de religions et le com- promis institué par Henri IV et l’Édit de Nantes d’une part, la mon- tée d’une certaine distanciation du fait religieux (qu’on l’appelle liber- tinisme ou esprit des Lumières au XVIIIe siècle, cette évolution des mentalités plonge ses racines dans le siècle précédent) dans une par- tie de la société et pas seulement du côté de certaines élites éclairées (à tel point que certains peuvent parler de « désacralisation de l’An- cien Régime1» en France) d’autre part, ont fait prendre à ce pays un

virage radicalement différent, qui le conduira à renverser la monar- chie et à instituer une république laïque avant la fin duXVIIIesiècle2.

Loin de suivre son voisin, l’Espagne continuera, longtemps encore, d’afficher une intense religiosité dans toutes les strates de sa société. Tout cela n’empêche pas l’existence en Espagne d’un sentiment anti-

1. MUCHEMBLED, Robert, Société, cultures et mentalités... op. cit. p. 174-177. 2. Si Lucien Febvre pense que l’incroyance religieuse est impossible en France au

XVIesiècle, le fait anti-religieux peut être attesté dans ce pays dès la première moitié duXVIIesiècle. Tallemant des Réaux raconte l’anecdote suivante dans une de ces Historiettes (t. 1, Paris, 1960, p. 352) : « Un jour qu’on lui [Louis XIII] parlait de je ne sais quel béat qui avait un don tout particulier pour découvrir les corps saints et qui en marchant disait : “Fouillez-là, il y a un corps saint”, sans y manquer une seule fois, Nogent dit “Si je le tenais, je le mènerais avec moi en Bourgogne, il me trouverait bien des truffes”. Le Roi se mit en colère et lui cria : “Maraud, sortez d’ici !” ». Peut-on imaginer de tels propos à la cour de Philippe IV ?

clérical fort développé. Mais comme le signale Bartolomé Bennassar, il « n’est pas synonyme d’indifférence religieuse ou d’athéisme1».

Cela dit, il n’y a rien d’invraisemblable, donc, à ce que les pratiques religieuses d’ensemble influencent en partie certains comportements violents. Mais cette même religiosité peut avoir des effets opposés : la fête catholique peut prendre des formes où l’allégresse populaire n’est pas exclue. Alors, la violence n’y sera pas en recul, bien au contraire, mais favorisée. Sans procéder, dans ce chapitre, à une ana- lyse fine du calendrier festif de l’époque, un rapide coup d’œil sur nos éphémérides du crime (Annexe 2) montre des pointes en janvier, en juin, en juillet et en août, certainement liées aux fêtes religieuses. Ainsi, par exemple, le 25 juillet, fête de la Saint-Jacques-le-Majeur, patron de l’Espagne, est le jour où le plus d’homicides pardonnés ont été commis (six) soit environ cinq fois plus que la moyenne journa- lière. Le lien entre ces deux éléments ne peut être mis en doute.

4 Les heures

Robert Muchembled a relevé, pour les Artésiens de l’époque moderne, la dangerosité du moment où le soleil se couche, indiqué dans 55 % des cas qu’il a rencontrés (63 % de données inconnues). Cela ne semble pas être le cas dans la Picardie de la première moi- tié duXVIesiècle étudiée par Isabelle Paresys où les deux moments du crime les plus fréquents sont l’après-midi et la nuit (30,5 % de don- nées inconnues)2. En France à la fin de l’époque médiévale, Claude

Gauvard découvre 31 % de crimes ayant eu lieu à la jonction du jour et de la nuit3.

Pour ce qui nous concerne, le coucher du soleil n’est pas le moment de prédilection des homicides ayant demandé le pardon. Un sur deux sévit la nuit, un sur trois en plein jour, et un peu moins d’un sur six entre chien et loup. Même aussi peu représentée, il est vrai que cette dernière tranche de la journée est importante car elle correspond, comme l’a souligné Muchembled, au retour du travail ou au sortir de la taverne.

1. BENNASSAR, Bartolomé, L’Homme espagnol. Attitudes et mentalités duXVIe auXIXesiècle, Paris, 1992, p. 79-82 [1reédition en 1975]

2. PARESYS, Isabelle, Aux marges du royaume... op. cit. p. 54-59. 3. GAUVARD, Claude, « De grace especial »... op. cit. p. 481-483.

Cependant, l’importance de la nuit dans notre ensemble nous trans- porte vers d’autres coutumes que celles du nord de l’actuelle France. La vie urbaine y décale sensiblement l’horaire des activités humaines, même si le rythme de vie des Castillans du Siècle d’or n’a rien à voir avec celui, si déconcertant pour les étrangers, des Espagnols contem- porains. On se couche assez tôt : à Bahabón (actuelle province de Val- ladolid) un 18 septembre vers dix heures du soir, tous les villageois sont au lit1. Il est vrai que le travail de la terre est rude et qu’il faut

reprendre des forces pendant la nuit. À Peñaranda de Bracamonte, le 13 février, un témoin dit s’être couché entre huit heures et neuf heures du soir « parce qu’il est travailleur des champs2», mais au moins cinq

autres familles ont fait de même et un homme s’est mis au lit à sept heures. Sans doute parce que c’était jour de fête, certains sont allés passer la veillée chez des voisins et sont rentrés à onze heures. Ce sont pour la plupart des gens modestes mais même chez les élites, on ne veille guère. À Valladolid, le trente mai, un couple d’aristocrates s’alite à neuf heures, et pourtant, c’est le jour de la Fête-Dieu, si pri- sée des Espagnols3. En revanche, des rythmes de travail saisonniers

peuvent perturber les habitudes près de Villarejo de la Sierra (pro- vince de Ségovie), le sept juillet, à deux heures du matin, des paysans sont encore occupés à ramasser du foin et ont l’intention de passer la nuit à arroser leurs champs de lin4.

La violence est un dérèglement qui bouscule aussi les horaires. Plus d’un suppliant est mêlé à une affaire d’homicide alors qu’il a dîné à la maison et a quitté son domicile la nuit venue, se rendant à une rixe préméditée ou sans rien savoir encore du sort qui l’attendait dans la rue. Le graphique 11 page suivante montre nettement les trois temps de la violence dans notre collection d’homicides. Très faible entre une heure et dix heures du matin, elle prend un rythme moyen de onze heures à cinq heures du soir, puis à partir de six heures monte rapidement pour atteindre son climax vers dix heures du soir, puis redescend jusqu’à minuit.

Dans 70 % des procès, nous trouvons cette heure chiffrée avec laquelle les habitants de la Castille paraissent assez familiarisés. Au vu de nos documents, on ne peut guère être de l’avis de Bartolomé Ben-

1. A.G.S., CaCa, leg. 2630/11.

2. A.G.S., CaCa, leg. 2640/5.

3. A.G.S., CaCa, leg. 1694/sn.

PĹrĂeŊsŇsĂeŊŽ ĹuŠnĹiŠvČeĽrŇsĹiĹtĄaĹiĹrĂeŊŽ ĂdĂe ĎlĄaĞ MĂéĄdĹiĹtĄeĽrĹrĂaŠnĂéĄe— UŢnĂe ĂqĹuĂeŊsĹtĽiĂoŤn? UŢnĞ ŇpĹrĂoĘbĘlĄèŞmĂe? TĂéĚlĄéŊpŘhĂoŤnĂeĽz ĂaĹuĞ 04 99 63 69 23 ĂoŁuĞ 27. CĹrĹiŠmĂeŊsĹrĹiŻxĄeŊsĂeĽt — DĂéŊpĂaĹrĹt ĹiŠmŇpĹrĹiŠmĂeĽrĹiĂe — 2007-11-7 — 11 ŘhĞ 35 — ŇpĂaĂgĄe 148 (ŇpĂaĂgĽiŠnĂéĄe 148) ŇsĹuĹrĞ 480

Chapitre IV. — Le temps du crime

- 91 -

l’horaire des activités humaines, même si le rythme de vie des Castillans du Siècle d’or n’a

Dans le document Crime, Rixe et bruits d'épée (Page 145-149)