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Partie 1 - Le Vieillissement cognitif normal, attention et contrôle cognitif

2. Les ressources et mécanismes impliqués dans les anomalies cognitives observées chez les

2.1. Vieillissement et fonctions exécutives

2.1.4. Vieillissement et flexibilité cognitive

Concernant l‟effet de l‟âge sur la fonction de flexibilité cognitive, les données sont relativement divergentes. Elles diffèrent d‟ailleurs selon la composante mesurée, réactive ou spontanée.

2.1.4.1. Effet du vieillissement sur la flexibilité spontanée

Les études ayant évalué l‟effet du vieillissement sur la composante spontanée de la flexibilité cognitive avec des tâches de fluidité verbale n‟observent pas de résultats convergents. Un consensus relatif concerne néanmoins les tâches de fluidité sémantique puisque dans une majorité d‟études, les personnes âgées produisent moins de mot que les jeunes (Auriacombe Fabrigoule, Lafont, Amieva, Jacqmin-Gadda & Dartigues, 2001 ; Brickman, Paul, Cohen, Williams, MacGregor, Jefferson, Tate, Gunstad, Gordon, 2005 ; Troyer et al., 1997 ; pour un résultat contraire voir Mejia, Pineda, Alvarez et Ardila., 1998). Concernant les performances des personnes âgées aux tâches de fluence phonémique, les résultats sont plus divergents. Certains relèvent une différence de performances entre jeunes et âgés (Auriacombe et al., 2001 ; Brickman et al., 2005 ; la méta-analyse de Loonstra, Tarlow et Sellers, 2001), d‟autres non (Bryan et al., 19979 ; Mejia et al., 1998 ; Tomer et Levin, 1993 ; Troyer et al., 1997). Pour certains auteurs (Auriacombe et al., 2001 ; Loonstra et al., 2001), ces résultats contradictoires pourraient être expliqués par des facteurs liés à l‟échantillonnage, et à la

9 Notons que Bryan et al. (1997) observent un faible déclin de la performance sur une tâche de fluence littérale pour un groupe constitué d‟individus âgés de 72 à 95 ans. Ils interprètent ce résultat comme indiquant que la performance aux tâches de fluence phonémique est maintenue avec l‟âge, à l‟instar d‟autres aptitudes verbales.

variabilité interindividuelle observée chez les seniors au niveau de l‟aptitude verbale (Boone et al., 1999, cité par Loonstra et al., 2001).

Troyer et associés (1997) se sont intéressés à d‟autres critères que celui communément utilisé du nombre de mots produits et ont porté leur attention d‟une part, sur les groupes de mots issus d‟une même sous-catégorie sémantique ou phonémique, et d‟autre part, sur le nombre de changements de catégorie effectués. Ils ont ainsi identifié deux critères de stratégie dans la résolution de ces tâches : le « clustering » consistant à évoquer des éléments d‟une même catégorie et qui dépendrait du stock de mots disponibles, et le « switching » référant à un processus stratégique de recherche et de passage d‟un regroupement à un autre. L‟analyse des productions effectuée par Troyer et al. (1997) révèle que les productions effectuées dans les tâches de fluence sémantique sont fonction du « clustering » et du « switching » alors que celles de fluence phonémique sont reliées au « switching » seulement. Ils observent que les participants âgés produisent moins de mots et de changement de catégorie que les sujets jeunes sur la tâche de fluence sémantique10. Le fait que les performances sur la tâche de fluidité sémantique soient plus affectées que celles de fluence phonémique (Brickman et al., 2005) peut indiquer que les personnes âgées ont plus de difficulté à trouver de nouvelle catégorie (Bryan et Luszcz, 2000) et suggère donc un déclin de la capacité de recherche stratégique. Notons qu‟on a relevé un effet du niveau d‟éducation sur la performance des âgés dans les tâches de fluence verbale (Crossley et al., 1997 ; Brickman et al., 2005).

La relation entre le vieillissement et la flexibilité cognitive mesurée par des tâches de génération aléatoire est moins bien documentée. Sur ces tâches, les seniors présentent des performances amoindries comparativement aux sujets jeunes, ce qui laisse supposer un impact négatif de l‟âge (par exemple Heuer, Janczyk et Kunde, 2010 ; Van der Linden, Beerten, et Pesenti, 1998). Notons que davantage de réponses stéréotypées sont observées (Fisk et Warr, 1996 ; Heue et al., 2010 ; Van der Linden, Beerten et Pesenti, 1998) suggérant que les âgés présentent des troubles de l‟inhibition des réponses « dominantes » (Heuer et al., 2010).

2.1.4.2. Effet du vieillissement sur la flexibilité réactive

De nombreuses études ont rapporté un effet du vieillissement sur la composante réactive de la flexibilité cognitive mesurée par le TMT ou par les tâches de commutation.

Le Trail Making Test (TMT)

10 Dans la tâche de fluence phonétique, Troyer et al. (1997) observent que les personnes âgées produisent de plus larges regroupements (« clustering »).

Concernant Le TMT classiquement utilisé pour les évaluations cliniques en neuropsychologie, les adultes âgés ont un temps de réalisation plus long que les adultes jeunes dans la condition d‟alternance (forme B) du TMT (Hamdam et Hamdam, 2009 ; Periáñez, Ríos-Lago, Rodríguez-Sánchez, Adrover-Roig, Sánchez-Cubillo, Crespo-Facorro, Quemada et Barceló, 2007 ; Salthouse et Fristoe, 1995 ; Salthouse, Fristoe et Rhee, 1996 ; Tombaugh, 2004 ; Wecker, Kramer, Wisniewski, Delis et Kaplan, 2000). Cependant pour certains auteurs, l‟effet du vieillissement sur certaines composantes non exécutives pourrait être la cause des différences de performances observées (i.e. Salthouse et al., 2000 ; Wecker et al., 2000), et non les processus de contrôle exécutif. Plusieurs chercheurs ont avec différentes méthodes11 essayé de contrôler les facteurs non-exécutifs (vitesse visuelle, vitesse motrice, etc.) impliqués dans la réalisation de la forme B, afin d‟extraire la part liée aux processus de contrôle exécutif. Avec la prise en compte de ces facteurs, l‟effet du vieillissement observé disparaît (Salthouse et al., 2000 ;Wecker et al., 2000 ; mais Periáñez et al., 2007 ; Salthouse, Fristoe et Rhee, 1996). Notons qu‟un autre facteur semble également influencer la performance des individus : il s‟agit du niveau d‟éducation (Hamdam et Hamdam, 2009 ; Tombaugh, 2004). Wecker et ses collègues (2000) se sont intéressés non plus au temps de réponse obtenu mais aux erreurs commises au test. Ces auteurs ont observé un accroissement du taux d‟erreur chez les seniors comparés à des adultes jeunes, dans la forme B du TMT. Cependant ce résultat présente une pertinence relative étant donné le faible nombre d‟erreurs individuelles commises (rarement supérieur à 1). D‟autres études ont comparé l‟effet des différences d‟âge sur la performance au TMT seulement entre individus âgés (Hashimoto, Meguro, Lee, Kasai, Ishii et Yamaguchi, 2006 ; Rasmusson, Zonderman, Kawas, and Resnick, 1998). Ces études indiquent un déclin des performances chez les plus âgés par rapport à celles des moins âgés, dans une étude transversale (Hashimoto et al., 2006) et dans une étude longitudinale (Rasmusson et al., 1998).

La tâche de commutation

La tâche de commutation est un paradigme couramment utilisé pour mesurer les effets de l‟âge sur les processus de flexibilité cognitive. Un nombre important de recherches a été effectué sur ce sujet. Dans ces études un coût de commutation, correspondant au ratio ou à la différence de performance entre tous les essais de l‟épreuve de commutation (AABBAA) et ceux des épreuves simples (AAAAA), est calculé. Généralement les coûts de commutation

11 Les méthodes employées pour contrôler les facteurs non-exécutifs sont le calcul de la différence de latence entre les deux conditions (TMT B – TMT A) (Arbuthnott& Frank, 2000), leur ratio (B/A) (Periáñez et al., 2007), l‟analyse régressive (Wecker et al., 2000) ou l‟analyse structurale (Salthouse et al., 2000).

(coût de mixage ou « mixingcosts » pour Los, 1999) relevés chez les personnes âgées sont plus importants que ceux observés chez des adultes jeunes (Cepeda, Kramer et Gonzalez de Sather 2001 ; Kramer et al, 1999, Kray, Eber et Lindenberger, 2004 ; Kray, Li et Lindenberger, 2002 ; Kray et Lindenberger, 2000 ; Mayr 2001 ; Sorel et Pennequin, 2008). Cette différence liée à l‟âge a été interprétée comme reflétant le déclin du contrôle exécutif avec le vieillissement (Cepeda et al,. 2001) ou des difficultés spécifiques chez les personnes âgées pour inhiber un schéma de réponse non pertinent précédemment exécuté (Hasher et Zacks, 1999). Cependant dans le calcul de ce coût de mixage, différents effets sont confondus. Pour remédier à cette confusion, un certain nombre d‟études ont porté leur attention sur des coûts d‟alternance distincts et plus facilement interprétables (par exemple, Mayr 2001). Deux coûts, le coût local (spécifique) et le coût global (général), ont été différenciés du coût de mixage usuel. Le premier réfère au coût de commutation proprement dit, il réfère à la capacité d‟alternance de plan (ou de schéma) mental. Il est calculé par différence entre les performances des essais de commutation (AABBAA) et celles de répétition (AABBAA) en condition mixée c‟est-à-dire, dans l‟épreuve de commutation. Le deuxième, le coût global12

est défini comme étant associé à une situation impliquant une potentielle commutation. Il correspond à la différence de performance entre les essais répétés de l‟épreuve de commutation (AABBAA) et ceux des épreuves simples (AAAAA). Ce dernier serait lié à la capacité de maintien actif des représentations des tâches en MT.

Les études qui se sont intéressées aux effets du vieillissement sur la réalisation de tâches de commutation attentionnelle ont généralement relevé peu ou pas d‟impact du vieillissement sur le coût de commutation local (Kramer, Hahn, et Gopher, 1999 ; Kray et Lindenberger, 2000 ; Mayr, 2001 ; Mayr et Kliegl, 2000 ; Salthouse, Fristoe, McGuthry, et Hambrick, 1998 ; van Asselen et Ridderinkhof, 2000 ; coût local inférieur chez les personnes âgées voir Kray, 2006). En revanche, une augmentation du coût de commutation global (ou général) chez les adultes âgés comparativement aux adultes jeunes est observé au niveau des latences et de la précision (Cepeda et al. 2001 ; Kray et Lindenberger, 2000 ; Lien et al. 2008 ; Mayr 2001 ; Verhaeghen et al. 2005 ; pour revue voir Verhaeghen et Cerella 2002 ; mais Kray, Li et Lindenberger 2002). De plus, ce coût est proportionnellement supérieur à celui attendu par le ralentissement général (Verhaeghen et al., 2005) et demeure significatif après plusieurs sessions d‟entraînement (Kray et Lindenberger, 2000 ; mais Kramer et al., 1999). Ce coût de commutation global supérieur chez les personnes âgées est relativement robuste dans la

12 Le coût global diffère du coût de mixage puisqu‟il exclut du calcul les performances aux essais alternés de la tâche de commutation (AABBAA).

littérature et est associé par certains auteurs au coût de « coordination » supérieur observé chez les individus âgés dans les tâches duelles (Verhaeghen et Cerella, 2002).

Néanmoins, la performance des seniors en comparaison à celle d‟individus jeunes semble être différemment affectée selon les paradigmes. Ces résultats doivent donc être interprétés avec prudence. Parmi les facteurs avancés, le chevauchement entre les tâches (Mayr, 2001), la prédictibilité de l‟alternance et la présence d‟un indice (Kray et al., 2002), ou encore le temps de préparation à l‟alternance (Cepeda et al,. 2001) sont autant de variables semblant affecter de manière disproportionnée les personnes âgées. Le recouvrement entre les tâches (i.e. quand les tâches présentent des traitements, des stimuli ou des réponses en commun) semble les mettre particulièrement en difficulté. Mayr (2001) a été l‟un des premiers à étudier l‟effet du chevauchement des stimuli entre les tâches. Le paradigme employé distingue deux types de condition en fonction des propriétés du stimulus : dans une première condition, le stimulus présenté n‟est pertinent que pour l‟une des deux tâches (stimulus univalent), alors que dans la seconde, les stimuli sont bivalents (i.e. ils sont aussi adaptés aux deux tâches, et donc n‟informent pas le sujet du traitement devant être réalisé). Mayr manipule également le recouvrement des réponses par l‟utilisation d‟un mode de réponse bivalent (i.e. les mêmes réponses sont utilisées dans les deux tâches) vs celle d‟un mode de réponse distinct pour chaque tâche (réponse univalente). Les observations effectuées montrent que le coût global est très largement supérieur chez les adultes âgés comparativement aux adultes plus jeunes en situation d‟item bivalent et de chevauchement des réponses (et cela malgré la présence d‟un indice permettant une certaine préparation). Plusieurs études ont également observé des coûts d‟alternance plus importants quand les stimuli sont associés aux deux tâches (stimuli bivalents) en comparaison aux situations dans lesquelles le stimulus est univalent (Lien, Ruthruff et Kuhns, 2006 ; Lien, Ruthruff et Kuhns, 2008 ; Ruthruff, Remington et Johnston, 2001).

La prédictibilité de l‟alternance (i.e. l‟incertitude quant à la tâche à suivre) semble aussi affecter positivement la performance des personnes âgées. Certaines études indiquent que lorsque la tâche est fortement prévisible, les différences de performance entre jeunes et âgés peuvent disparaître (Kray et al., 2002 ; Verhaeghen et Hoyer, 2007). Kray (2006) constate que la manipulation de la prévisibilité de l‟alternance par la présence ou non d‟indice, influence le coût d‟alternance. Cet auteur observe qu‟en situation non indicée, les âgés présentent des coûts d‟alternance supérieurs à ceux observés en situation indicée. Selon Kray (2006), l‟imprédictibilité de l‟alternance (i.e. sans indice) rendrait les individus âgés plus

conservateurs, dans le sens où ils auraient moins tendance à totalement s‟engager dans la nouvelle tâche. Ainsi, quand l‟alternance est incertaine, les âgés mettraient un biais moins important entre les tâches que les jeunes13.

La performance des personnes âgées est aussi influencée par la durée du temps de préparation. Une réduction des coûts d‟alternance des adultes âgés est observée avec l‟augmentation du temps de préparation pour les tâches indicées et non indicées (Cepeda et al., 2001 ; Kramer et al., 1999 ; Mayr and Liebscher, 2001 ; Meiran et al., 2001 ; Kray, 2006 ; De Jong, 2001 ; Kray and Lindenberger, 2000). Notons que Kramer (1999) manipule parallèlement la prévisibilité et la présence d‟indice, et observe une réduction du coût d‟alternance chez les adultes âgés en condition prévisible-indicée mais pas en condition prévisible-non indicée.