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CHAPITRE 4 AUTO-ETHNOGRAPHIE : LA LONGUE MARCHE DU TEMPS

4.3 J E SUIS CELLE QUI SAIT PARLER AU VENT

4.3.3 Quand la vie change : la crise du PQ

Je parlerai maintenant de la crise qui a secoué le PQ et de son impact dans la vie de ma famille. Lorsqu’on lit distraitement les nouvelles, l’on ne se doute pas toujours de ce qui se joue dans la vie personnelle des gens qui ont décidé de dévouer leur vie à la politique. J’ai une vision très critique des grands partis politiques. Par contre, je tente de garder à l’esprit l’humanité de ces hommes et de ces femmes qui, chacun et chacune à leur façon, tentent de changer les choses en cohérence avec leurs valeurs et j’ai du cœur pour l’impact que leur vie politique peut avoir dans leur vie personnelle et familiale. En 1983, René Lévesque amorce le virage du Beau risque, qui aura des conséquences sur la vie de mes parents jusqu’à leur décès et par conséquent sur la mienne, ainsi que pour tous les Québécois et Québécoises.

Le Beau risque

Ce qu’on appelle au Québec la politique du Beau Risque fait référence à un changement de positionnement de René Lévesque, le chef du Parti québécois, après la défaite référendaire de 1980 et le rapatriement de la constitution canadienne sans l’accord du Québec par le gouvernement libéral. Lévesque, parlant d’un « fédéralisme renouvelé », accepte une proposition de Mulroney, le premier ministre du Canada, de faire entrer le Québec dans la constitution canadienne – s’il soutient ce dernier dans les élections. Ce faisant, il fait fi d’une

partie importante de son parti qui est en désaccord. Dans des rencontres secrètes organisées par ma mère Denise LeBlanc, plusieurs députés et ministres importants du PQ, dont Parizeau, Laurin, Léonard et Paquette s’organisent. Ils affronteront leur chef sur cette question, dans une rencontre en novembre 1984. Mais Lévesque ne cédera pas sur le Beau risque, ce qui créera une suite de démissions en quelques jours : sept membres importants du gouvernement péquiste, dont ma mère, quitteront le parti par conviction indépendantiste, se dissociant de ceux qu’on appellera les « révisionnistes ». Moins d’un an après, affaibli par cette importante crise, Lévesque démissionnera comme chef du Parti québécois. (Lemieux, 2007, Lévesque, 1986, Payette, 1982).

Ma mère démissionne du PQ en 1984 avec plusieurs collègues lors du virage du Beau risque. Elle siègera un an comme indépendante et ne sera pas réélue en 1985, ce qui constituera pour elle une grande peine d’amour avec « ses » Madelinots et Madeliniennes. Je crois aujourd’hui que c’est là que commencera sa lente descente vers la dépression et la mort. Selon Lapointe (2015, p.199-200), elle « est l’archétype d’une élue qui se dévoue sans compter pour un idéal politique “national” dont elle se révèle l’indéniable victime. »

Cette crise appelée par certain-e-s « le détournement », aura marqué à jamais le paysage politique québécois. En effet, le chef des troupes souverainistes, adulé par tant de Québécois, jette l’éponge et se range au fédéralisme. Quelle désillusion, me semble-t-il, pour tous ceux et toutes celles qui croyaient au rêve fou de créer un pays ! Mais aussi, pour ceux et celles qui voyaient des hommes et des femmes politiques se tenir debout, porter les idéaux d’un peuple à l’intérieur d’un parti au pouvoir. Ces derniers seront contraints à quitter les rangs du parti pour continuer à se tenir debout.

Figure 10 - Journaux francophones étrangers lors de la crise du P.Q.

Ce moment du Parti québécois met également en relief les dissensions qui ont toujours été présentes entre deux franges du parti et qui sont encore bien visibles aujourd’hui. Ceux qui ont quitté le parti se feront appeler « les purs et durs » et formeront, avec ma mère comme présidente, le Rassemblement Démocratique pour l’Indépendance (RDI). Le discours de cette dernière fait preuve de tout l’espoir dont mes parents sont encore porteurs, à ce moment-là : « Dites-moi : est-ce radical de placer les intérêts des Québécoises et des Québécois avant nos propres ambitions ? Est-ce radical d’insister pour que le devoir passe avant le goût du pouvoir ?65».

Je suis interpellée encore une fois dans mes enjeux d’appartenance, en lien avec l’assumance de sa singularité. Le fait que ma mère ait décidé de rester fidèle à ses valeurs, coûte que coûte, l’a finalement isolée du monde politique, des Madelinots et des Madeliniennes. Elle en a souffert jusqu’à la fin de sa vie. Selon son point de vue, son peuple des Iles n’a jamais compris son choix. Elle s’est sentie abandonnée par eux, comme ils se sont eux aussi probablement, sentis abandonnés par elle. Comme si le fait d’assumer ses

65

BAnQ-Q, Fonds Denise Leblanc-Bantey, P458/31, dossier 2.5.1, Denise Leblanc-Bantey, [Discours d’acceptation de la présidence du RDI], « Congrès R.D.I.30 mars 1985 », p.6

valeurs profondes avait constitué une brisure, une blessure, dans les relations « face à ses Iles ».

Quoi qu’il en soit, mes parents ne sont certainement pas les seules personnalités publiques impliquées dans le rêve de la souveraineté qui ont senti le douloureux impact du « détournement ». Si plusieurs d’entre eux ont relevé leurs manches et comme Parizeau, retenté d’accoucher du rêve de l’indépendance, il semble que ma mère n’ait pas réussi cet exploit, comme nous le verrons plus tard. C’est à la suite de ces chambardements que mes parents quitteront Québec et les nombreux allers-retours aux Iles, pour s’enraciner dans la vie montréalaise. J’ai fait ici état de l’impact du Beau Risque sur mes parents et du possible lien avec mes propres enjeux. Dans le prochain sous-chapitre, nous verrons les débuts de ma vie à Montréal, jusqu’à l’adolescence.