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Faire son histoire de vie, c’est regarder le passé en face, le toiser et l’interroger, le transformer en problème existentiel et intellectuel qu’on tentera de résoudre pour ouvrir des voies à de nouvelles avenues.

Rugira (2005).

Selon Pineau et Le Grand (2019), la pratique des histoires de vie existe depuis les débuts de l’humanité. Ils définissent cette dernière comme une « recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels » (Pineau et Le Grand, 1993, p.3). Le Grand (2000) nous apprend que cette pratique s’enracine dans une perspective anthropologique et sociologique qui prend sa source dans l’École de Chicago, influencée par l’herméneutique philosophique et se développera ensuite dans le courant de l’éducation permanente menant à la création de l’Association internationale des histoires de vie en formation (ASIHVIF). Ainsi, s’enracinant dans la tradition phénoménologique et herméneutique, la recherche biographique réfléchit la pensée et l’action humaines situées dans le temps et dans une logique narrative.

Aujourd’hui, les méthodes biographiques sont pratiques communes dans le champ de l’éducation. Selon Balleux (2007, p.403) : « Ces méthodes donnent la parole aux acteurs et constituent ainsi pour eux-mêmes ou pour autrui des occasions uniques d’accéder à leurs dynamiques individuelles, à leurs aspirations, à leurs prises de conscience et à leurs évolutions. » Cet auteur nous rappelle que cette forme narrative reste une expérience transformée par l’interprétation qu’on en fait. Ainsi, il nous faudra distinguer l’histoire telle que vécue par le sujet et le récit qu’il ou elle pourra en faire, et c’est à cette perception singulière du récit que la recherche s’intéresse, non à une série de faits vérifiables. C’est dans ce sens que Gauthier (2007, p.92) à la suite de De Villers (1996) dira que :

Par l’entremise du travail autobiographique, le chercheur révèle à lui-même comme aux autres son système subjectif de construction de sens. Il ne peut en aucun cas

prétendre contenir dans son énonciation toute la réalité ni les points de vue des autres acteurs présents dans l’histoire racontée.

Ainsi, la posture en recherche biographique veut démontrer de quelle façon l’expérience singulière du sujet dans un temps et un contexte donnés influencera sa façon d’être au monde, de se percevoir et de construire son identité et sa vision du monde. C’est ce que Delory-Momberger (2010, p.2) exprime lorsqu’elle parle de l’appréhension des processus de la « genèse socio-individuelle », qui se veut un pont entre la psychologie et la sociologie, soit « l’étude des modes de constitution de l’individu en tant qu’être social singulier ».

Une recherche en première personne assume pleinement la subjectivité du chercheur et elle utilise une méthodologie définie de production et d’interprétation qualitative de données. Ce faisant, elle permet d’élargir la vision du spectre de nos humanités en saisissant pleinement – de l’intérieur, de quoi sont constituées les relations de soi à soi, de soi à l’autre et de soi au monde (Galvani, 2008, Pineau, 1991, Desroche, 1990, Pilon, 2005, Rondeau et Paillé, 2016). Pour Rugira (1999) entrer dans un processus autobiographique demande de consentir à devenir fils ou fille de son œuvre.

3.5.1 L’auto-ethnographie

J’ai choisi l’auto-ethnographie comme voie privilégiée de tissage des différentes données qui ont émergé de ma recherche. Pour Dubé, l’auto-ethnographie « peut être définie comme une narration de soi qui tient compte de la relation avec les autres dans des contextes culturels et sociaux » (Dubé, 2016, p. 66). Cette méthode d’inspiration biographique me permet de me situer ontologiquement dans le monde dans lequel je suis venue au monde et dans les différents courants culturels et contre-culturels qui m’ont façonnée. Ellis (2004) parle de l’auto-ethnographie comme d’une méthode d’écriture et de recherche qui relie l’autobiographie et le personnel, au culturel et au social. Selon cette auteure, cette méthode permet d’inclure d’une façon concrète l’action, la conscience de soi, l’expérience

émotionnelle et l’introspection au cœur des processus de recherche, comme dans le cas de l’autobiographie.

En ce qui me concerne, l’auto-ethnographie m’amènera à mettre en relation la vie de mes ancêtres européens, acadiens et mi’gmaq et le contexte socio-historique de ma venue au monde et de mon enfance. Puis, il me permettra de développer un autre regard sur ma vie dans la contre-culture moderne à partie de l’adolescence, ma quête de sens, ma professionnalisation ainsi que mes pratiques actuelles. Ceci pour tenter de comprendre mon chemin de vie à partir des courants culturels de l’histoire du Québec et du monde, dans l’intention d’intégrer les différents courants qui m’ont façonnée et de prendre une distance face à ma vie afin de pouvoir transformer encore plus profondément mon récit intérieur en lien avec cette dernière.

Pour Denzin (2006), l’auto-ethnographie nous permet d’étudier le monde social et de rendre compte d’une partie de l’histoire, à partir d’un point de vue singulier. D’après Rondeau (2011, p.49) cette méthode peut devenir « une manière singulière de présenter, de façon significative et consciente, le phénomène culturel vécu, questionné et recherché ». De plus, à l’instar d’Ellis et Bochner (2000), Dubé (2016) postule qu’un processus de réflexivité sur son positionnement en tant que chercheur-e peut inspirer une réflexion critique du lecteur ou de la lectrice sur son expérience de vie, sur la construction de sa personne et sur ses interactions, dans des contextes sociohistoriquement situés. Ainsi, pour Dubé (2016) :

ce dialogue se produit par le biais d’une comparaison des différences et des similitudes entre l’expérience du lecteur, ses pensées et ses émotions avec celles de l’auteur. En fait, le lecteur d’écrits autoethnographiques doit être non seulement touché émotionnellement et de façon critique, mais également transformé. (2016, p.68.)