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M ETHODE D’INTERPRETATION DES DONNEES QUALITATIVES

On n’analyse pas nos données pour en déduire des conclusions, mais pour être inspiré dans la construction d’une compréhension nouvelle, originale et pleine de sens.

Boutet, 2016

Selon Rondeau et Paillé (2016), le fait de nommer, explorer et analyser notre expérience constitue un premier résultat d’enquête, qui devra être édité pour en extraire l’essentiel. L’analyse de mes données s’est effectuée dans un continuum fécond avec la collecte de nouvelles données : « l’analyse commence dès que le chercheur recueille des données : en même temps qu’il les organise, il les traite et les analyse » (Deslauriers et Kérisit, 1997, p.93). De plus, selon ces auteurs, la question de recherche elle-même s’élaborera progressivement, se trouvant au point de rencontre entre la cueillette des données et leur analyse. L’intersubjectivité, qu’elle soit vécue par la rencontre avec des pairs ou dans un dialogue avec des auteur-e-s, est au cœur de ces méthodes d’interprétation.

3.8.1 Analyse thématique et intersubjectivité

L’analyse est un travail d’artisan qui porte la marque du chercheur ; l’intuition

s’y mêle au savoir-faire et à la touche personnelle.

Deslauriers, 1991

Pour commencer un défrichage de mes données et tenter d’en dégager un sens nouveau, j’ai en premier lieu, procédé par analyse thématique. Cette dernière constitue un procédé de réduction des données qui, selon Paillé et Muchielli (2012), permet de traiter son corpus, de l’organiser et de le synthétiser dans des dénominations appelées « thèmes » ou « thématisations », qui peuvent être par la suite décomposés en « sous-thèmes ». Cette méthode à la fois intuitive et systématique de recoupage et de comparaison nous permet d’avoir accès à ce qui est réellement l’objet de la recherche, de répondre à la question : « qu’y a-t-il de fondamental dans ce propos, dans ce texte, de quoi y traite-t-on ? » (Paillé et Mucchielli, 2012, p.231). Ainsi, j’ai, de façon solo ou avec mes allié-e-s, repéré des mots- clefs ou des thèmes en lien avec mes questions de recherche, d’ordre plus concret ou plus symbolique. Ensuite, lors de ma lecture sur l’ordinateur, je soulignais chaque mot-clef relié au thème d’une couleur particulière, pour annoter ce dernier dans la marge de mon journal d’itinérance. Puis j’ai créé des documents titrés de chacun de ces thèmes où je regroupais les passages en question.

Dans une intention de laisser une plus grande place à l’intuition, j’ai par la suite imprimé l’ensemble de mes données pour pouvoir travailler « artisanalement », annotant et soulignant directement sur le papier. J’ai relu ces dernières à différentes reprises dans des plages horaires diversifiées, dans le but de me laisser surprendre, de voir les choses différemment. D’après Deslauriers (1991), Morin (1973) parle ainsi de l’importance des relectures successives : « Ce n’est que par approches répétées que le matériel se met progressivement à parler, révélant ainsi peu à peu différents niveaux de significations dont on n’aurait même pas eu idée au début de l’analyse ». (Deslauriers, 1991, p.81)

Si ce travail de nonne a été essentiel pour arriver au cœur de ma recherche, la plupart de mes grandes révélations ont émergé lors de discussions avec des collègues, d’espaces réflexifs communs. Rondeau et Paillé (2016) en parlent ainsi :

C’est un travail qui est réalisé dans l’interaction et à travers de multiples rencontres : avec soi, en soi, avec l’autre et le monde. Ces rencontres sont génératrices de tensions entre ce qui résiste et ce qui pousse vers l’avant, entre le rejet et l’attraction, entre ce qui est, dans la réalité, et ce qui est souhaité pour l’à-venir. Ces tensions deviennent le point d’appui d’un balancier d’ambivalences qui amène la personne à se questionner et à se remettre en question pour trouver le sens de son existence et de son expérience. (Rondeau et Paillé, 2016, p.9)

Ainsi, mes données ont été maintes fois lues et commentées par des collègues pour une lecture intercompréhensive, me permettant d’en dégager un sens nouveau. Mes « Eurêka » de recherche sont la plupart du temps venus à la suite d’échanges avec la communauté de chercheurs ou avec mes allié-e-s.

Vers la fin de ma recherche, j’ai repris mes thèmes et sous-thèmes laissés en jachère pour m’inspirer dans mon chapitre de compréhension : en premier lieu m’inspirant des thèmes pour l’interprétation des données et en second lieu pour structurer mon chapitre.

3.8.2 Interprétation en mode écriture

L’explication s’impose à notre conscience de façon fulgurante et tout s’éclaire tout à coup : d’eux-mêmes, les morceaux du casse-tête tombent en place.

Jean-Pierre Deslauriers, 1991

Lors de la dernière année de la recherche, j’ai laissé en jachère quelques temps mon analyse thématique, pour privilégier l’interprétation en mode écriture. Paillé et Muchielli (2008, p.123) définissent cette dernière comme « un travail délibéré d’écriture et de réécriture, sans autre moyen technique, qui [tient] lieu de reformulation, d’explicitation, d’interprétation ou de théorisation du matériau à l’étude ». Comme l’explique Berger, (Berger et Paillé, 2011), je constate que cette méthode permet plus de liberté dans une rédaction interprétative, surtout lorsqu’elle est auparavant structurée par une analyse thématique ou en catégories. Ainsi, à l’instar de cette auteure, « je me suis “laissée écrire”, à partir d’une mise en écho, fondée sur le mode de la résonance, avec la reconstitution de

l’expérience ; jouant pleinement la carte de la démarche interprétative qualitative » (Berger et Paillé, 2011, p.78). L’interprétation en mode écriture se déroule en plusieurs temps et en suivant différents types de logiques, tels que logique de précision (repréciser telle donnée, contexte, analyse), logique de résonance (ce qui me vient intuitivement en me relisant) et logique de développement théorique, vers une systématisation et une théorisation des données (Berger et Paillé, 2011). De concert avec l’interprétation, j’ai entretenu une pratique active de lecture de différent-e-s auteur-e-s en lien avec ma recherche, dans le but de créer un dialogue entre la pensée de ces dernier-e-s et l’interprétation de mes données.

Dans l’intention d’analyser mes pratiques actuelles à la lumière de ma question de recherche, j’ai ainsi relu et réécrit plusieurs fois un chapitre « analyse de recherche », créant de nombreux agencements dans l’intention de créer une cohérence entre mon auto- ethnographie et ce qui m’était révélé dans l’observation de mes pratiques. Ces relectures et réécritures successives m’ont amenée à plonger encore plus profondément dans la spirale itérative de ma recherche, d’avoir accès à des hypothèses émergentes, à des inspirations qui m’amenaient à me poser de nouvelles questions et à créer de nouvelles données, toujours plus proches de mon thème de recherche, de ma véritable quête. Malgré la difficulté et les doutes que peut amener cette démarche d’inspiration heuristique, Berger et Paillé (2011) parlent de l’interprétation en mode écriture comme du type d’analyse le plus fécond.

Malgré que j’aie dû retrancher des centaines de pages d’analyse par souci d’épurer un mémoire déjà trop long, je peux mesurer l’impact de cette interprétation à l’effet transformateur qu’elle a eu en moi et sur mes pratiques.

Boutet (2016, p.96) le formulera ainsi :

La valeur de cette compréhension ne se mesure pas à la logique de la conclusion, mais à l’effet d’agrandissement intérieur et de transformation des agirs qu’elle induit en nous et chez les personnes qui suivent le développement de notre recherche et liront notre mémoire.

CHAPITRE 4 - AUTO-ETHNOGRAPHIE : LA LONGUE MARCHE DU