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CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

1.5 ORIGINALITÉ DE CETTE RECHERCHE

1.5.1 Créer un tissage des multiples influences

En 2018, nos sociétés sont mondialisées et métissées, pour le meilleur (échanges culturels) ou pour le pire (impacts coloniaux de la mondialisation). Que ce soit au niveau musical, alimentaire, social, religieux ou politique, nous subissons de multiples « influences ». Ce mot, selon Motte et Pirenne-Delforge (1994, p.12), « évoque très généralement l’action matérielle, morale ou intellectuelle qu’un agent ou un groupe exerce sur autrui, considéré individuellement ou collectivement, et qui entraîne chez lui une altération. ». En premier lieu, je viens d’une histoire complexe de migration, de métissage et de rencontres interculturelles (lignées juives, mi’gmaqs, italiennes, acadiennes, influences anglophones et francophones), fondues dans une socialisation radicalement québécoise.

En second lieu, j’ai emprunté de multiples chemins hors des sentiers battus, qui ont forgé mes façons d’être, de voir le monde et de vivre. Il est possible que, comme plusieurs autres personnes vivant les mêmes enjeux, ma problématique d’appartenance, de non- reliance et de marginalité a à voir avec le fait que je n’ai pas encore une forme qui pourrait contenir toutes mes influences. Cette recherche tente de m’offrir un contenant qui me permettra de faire un bilan et de mettre de la cohérence sur mon itinéraire plutôt éclectique. Si j’y arrive, ma démarche de formation et de recherche ainsi que mes résultats, pourraient inspirer des jeunes ou des moins jeunes, aux prises avec des enjeux et réalités similaires.

1.5.2 Appartenance mi’gmaq et chemin rouge

Les questions d’appropriation culturelle sont, avec raison, au cœur des réflexions de nos sociétés actuelles (Hamidi, Leroux & Ross-Tremblay, 2018, Aldred, 2000). Ces réflexions, qu’on peut notamment palper dans les textes de la revue Liberté « Premiers Peuples : cartographie d’une libération » (2018) et dans plusieurs articles de revues et forums autochtones, se sont approfondies lors de ma formation en ligne sur le colonialisme « Before we were white », m’amenant à vivre une remise en question de mon droit à suivre et vivre des enseignements issus de la sagesse des Premières Nations et à offrir à mes communautés des espaces issus de ces pratiques, tout comme le fait de me faire appeler « femme-médecine » par les personnes de mes communautés. Étant métissée Mi’gmaq mais de socialisation euro-centrée, j’ai voulu faire de ma recherche une occasion de réfléchir à la légitimité de mes pratiques, ouvertement. En questionnant les ancien-ne-s de quelques nations et des auteur-e-s des Premières Nations pour accompagner ma réflexion, j’ai tenté de faire avancer un tant soit peu la recherche sur ces questions. Au départ, ma recherche m’a amenée sur les pistes de mon appartenance mi’gmaq. J’aimerais faire état de mon parcours et de mes questionnements ici.

Je me suis engagée dans la voie de la Danse de la Lune en 2009, dans la loge de danse Ollintlahuimeztli, à Teotihuacan, au Mexique. La Danse de la Lune serait la renaissance d’anciennes pratiques spirituelles du peuple aztèque. Elle utilise principalement, comme voies de relation à soi, à la communauté et à l’Esprit, le jeûne, la suerie, la danse, le chant, la prière et les plantes sacrées comme le tabac. Au fil des quatre premières années de mon engagement dans la danse, j’ai reçu des enseignements, réappris l’art de la prière, dansé pour toutes mes relations et été initiée aux « Temascal8  » de la tradition mexica, par les grands-

mères présentes. J’ai reçu la permission, à ma quatrième année de danse, de verser l’eau sur les pierres, par ma grand-mère Malinali, puis au fil des années, reçu des bénédictions d’autres

grands-mères. Dans la danse de la lune, lorsqu’on termine nos quatre ans, l’on devient, en accordance avec la bénédiction des grands-mères et si l’on s’y sent prête, porteuse de pipe sacrée. Avec cette pipe, l’on devra prier pour toutes nos relations de façon régulière et lorsqu’on nous le demande. Par le fait même, selon cette tradition, l’on s’engage également à offrir nos médecines pour nos communautés et à dévouer notre vie au service des autres. Depuis ce temps, je continue sur ce « chemin de la lune » tissé de prières, de chants et de danses et mon engagement s’approfondit d’année en année. Je marche mon chemin de pèlerine du chemin rouge, pas après pas, parfois maladroitement, mais en tentant du mieux que je peux d’offrir mes médecines au service de la Terre et de ses habitant-e-s. Il m’est important de préciser ici que j’ai la bénédiction de plusieurs grands-mères pour faire mon travail et je n’ai jamais demandé d’argent personnel pour des cérémonies.

Ceci étant dit, je vis une dualité entre le travail que je fais dans mes communautés ainsi que dans la cérémonie de la Danse de la Lune qui est en accord avec mon ressenti, et la conscience de l’importance des enjeux politiques et humains des Premières Nations. Je souhaite sincèrement faire ce qui est le plus éthique pour la paix, le changement de conscience et la protection de la Terre, tout en suivant mon propre chemin de pèlerine. Mes ancêtres mi’gmaq, les Benoît (Benwah), viennent de ce qui est aujourd’hui appelé Terre- Neuve. La Vie n’a pas cessé de mettre sur mon chemin des pierres de gué me menant à mes racines autochtones et je me suis engagée consciemment dans le chemin rouge9 il y a plus de dix ans maintenant. Ceci dit, il reste que je suis blanche de peau et de socialisation. Je suis née chez les « Blancs », j’ai grandi chez les Blancs, j’ai été élevée à la manière des Blancs. Et si ma communauté spirituelle est celle de la danse de la lune, je n’ai pas encore, même si je la rêve, de communauté d’appartenance mi’gmaq affiliée à mes ancêtres. En ce sens, je me sens apatride, doublement orpheline et séparée entre le désir de suivre les élans de mon cœur et celui de ne pas empirer les choses au niveau de l’appropriation culturelle. Je souhaite dans

9 Nom pour les voies spirituelles autochtones qui, par des pratiques semblables à celles décrites ici, relient le

cette recherche avoir la clarté afin de marcher le chemin qui est le plus juste pour moi et pour toutes mes relations.

Si plusieurs auteur-e-s (Green, 1988, Aldred, 2000, Wallis, 2003, Clifton et al, 2017) font état des « plastic chaman » et des « wannabe Indians » et de leur nuisance pour les communautés autochtones, je ne crois pas qu’une situation similaire à la mienne ait été traitée ouvertement dans des recherches sociales. Ainsi, j’espère humblement contribuer à la fois à la recherche et aux personnes qui vivent les mêmes questionnements, ainsi qu’instaurer un dialogue interculturel autour de ces questions.