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DE MEHUN-SUR-YEVRE LA COLLEGIALE

2. Les vestiges d’une première église

Le plan de l’édifice révèle une légère variation d’axe entre les deux parties du vaisseau unique. La jonction entre les deux campagnes a été faite immédiatement à l’ouest du troisième contrefort dont les boutisses ont été démontées (fig. 233). Seules sont restées les pierres angulaires chaînant le contrefort, laissant ainsi une harpe régulière. A l’intérieur, au droit de ce contrefort, on constate une nette différence d’épaisseur des murs : 0,80 m à l’est contre 1 m à l’ouest (pl. 41, fig. 9). On peut donc interpréter ces éléments

660 DESHOULIERES 1931 : 332. 661 PLAT 1939 : 87. 662

DESHOULIERES 1931 : 332. CROZET 1932 : 82-84. Cette particularité ne semble cependant pas d’origine puisque des impostes chanfreinées avaient été restaurées dans les années 1870 : BUHOT DE KERSERS 1891 : 293. 663 CROZET 1932 : 82-84. 664 OTTAWAY 1986 : 248. 665

BUHOT DE KERSERS 1891 : 290. DESHOULIÈRES 1931 : 336. CROZET 1932 : 82-84. HEYWOOD 1996 : 114. PEVSNER, WILLSON 1997 : 193. GRÜNINGER 2005 : 284-285.

comme le démontage d’un contrefort occidental et la disparition d’une façade attenante aux trois travées orientales du mur sud de la nef (22 m de longueur) et située à l’est de l’actuel passage souterrain.

Sur le mur nord de la nef, en revanche, aucune trace de cette construction n’est visible. En raison de la différence de largeur très significative avec le chevet, on peut formuler l’hypothèse d’une première église plus étroite dont le mur nord se trouvait en retrait du mur actuel.

La question des dispositions originelles du sanctuaire se pose également : la régularité d’implantation des baies sur le mur sud permet assez difficilement d’envisager un chevet plat, éventuellement triparti intérieurement comme à Pérusson (fig. 234) ; de plus, le développement en fer à cheval du rond-point vers les piles cruciformes s’accorde assez mal avec la reprise d’une abside plus ancienne (pl. 41). On proposera donc simplement de restituer une courte travée droite ouverte à l’est d’un vaisseau unique plus large, le tout formant un édifice relativement modeste d’environ 25 x 11,50 m hors-œuvre.

Le choix d’une nef à vaisseau unique charpenté éclairée par de grandes baies situées assez haut permet certes d’envisager une chronologie haute mais l’argument demeure à lui seul assez fragile tant ce type architectural a été décliné entre le Xe et le XIIe siècle 667. L’examen des techniques de construction constitue en revanche une indication importante pour la datation de cette première église. Les murs, montés en appareil réglé de moellons ébauchés de calcaire blanc, sont très réguliers. Malgré la simplicité de l’appareillage, la réalisation a été faite avec soin, comme en témoignent la grande densité des têtes de moellons visibles sous l’enduit beurrant et l’impossibilité de repérer les trous de boulins. Un calcaire jaune a été employé pour le moyen appareil des contreforts 668 ainsi que pour les encadrements (carreaux et boutisses) et les claveaux trapus des baies, là encore d’une régularité apparente, ce qui vaut la peine d’être signalé 669.

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PEVSNER, WILLSON 1997 : 193. HEYWOOD 1996 : 114. 667

VERGNOLLE 1994 : 224. 668

On soulignera l’indépendance du rythme des contreforts par rapport à celui des baies. 669

PRIGENT 2004 : 110. « Cette première réflexion, toute provisoire qu’elle soit, suggère des différences sensibles en fonction des édifices plus qu’en fonction de l’époque de construction ».

En dépit de relevés, il reste difficile de caractériser avec précision cette construction. On bute alors non seulement sur l’impression générale qui se dégage du bâti mais encore sur le caractère fluctuant des datations proposées selon les régions, les auteurs et le renouvellement d’études parfois déjà anciennes 670. On peut donc évoquer à titre de comparaisons des édifices présentant des techniques de construction a priori semblables comme la nef à vaisseau unique de Saint-Christophe de Suèvres ou le haut vaisseau des nefs de la Chapelle-Saint-Mesmin, de Saint-Vrain de Jargeau, de Saint-Georges de Mareau-aux-Bois, de Notre-Dame de Château-Landon ou de Notre-Dame de Melun (fig. 235, 236, 237, 238, 239, 240), communément datés de la première moitié du XIe siècle. La régularité apparente de la hauteur des claveaux se retrouve notamment sur une ancienne porte de Saint-Symphorien d’Andard ou sur la façade de Saint-Pierre-et-Saint-Romain de Savennières (fig. 241, 242), monuments attribuables au Xe siècle 671. Malheureusement, l’exposition au sud, l’altération des faces et les restaurations lourdes subies par les surfaces de moyen appareil à Mehun ne permettent pas de recourir à des mesures statistiques, l’échantillon étant dès le départ assez restreint. On doit d’ores et déjà souligner l’importance d’un suivi archéologique des restaurations futures du bâtiment.

En fonction de la chronologie relative de l’édifice, il semble donc possible d’attribuer ce premier état de l’église (pl. 41) au Xe ou au tout début du XIe siècle tout en tentant de l’inscrire dans son contexte topographique et monumental. On doit évoquer une nouvelle fois la singularité de la chapelle rayonnante nord : le dessin outrepassé de son corps principal, la très nette différence d’épaisseur des murs vis-à-vis du reste du chevet 672 et le traitement particulier de son élévation. La densité de moellons paraît en effet plus importante que dans les maçonneries du déambulatoire ou des absidioles et l’irrégularité du chaînage de la baie plein cintre laisse penser qu’elle a été percée après coup (fig. 243). Orné d’une corniche soutenue par des modillons à

670

Voir les travaux en cours depuis 2003 du Projet collectif de recherche (P.C.R.) coordonné par Christian Sapin sur le thème : Matériaux, techniques de construction et datation entre

Loire et Saône autour de l’an mil.

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PRIGENT 2004 : 84, 86. 672

figures (fig. 224) 673 et dominant l’absidiole secondaire (8 m), le corps principal de la chapelle (10 m) devait affecter la forme d’un fer à cheval d’environ 5 m de diamètre et ne garde pas de trace de quelconques ouvertures. Ces éléments confirment ainsi l’hypothèse d’une tour antérieure à la mise en place du chevet à déambulatoire 674. Il reste cependant difficile d’associer ce type de construction aux tours de plan circulaire bâties à l’initiative de Thibaud le Tricheur à Chartres, à Châteaudun et à Blois 675. Il semble plus probable que la tour devait s’inscrire dans un complexe défensif auquel l’église elle-même devait prendre part. S’agissait-il de l’enceinte du quartier canonial ou de celle du castellum désigné par les sources des années 1015-1018 ? 676

A environ 130 m au sud, au confluent de l’Yèvre et de l’Annain, d’autres aménagements ont été mis au jour dans les caves du château. Quatre états antérieurs à la forteresse actuelle ont été reconnus 677. Les trois premiers états sont caractérisés par des alignements de trous de poteaux évoquant des bâtiments en bois (logis, resserres) ou des palissades, parfois flanquées de tourelles quadrangulaires. L’état primitif, antérieur à l’an mil, a ensuite été renforcé (enchâssement dans des bases en pierre des poteaux supports du ou des étages) avant d’être emmotté 678. Selon Philippe Bon, ces deux états intermédiaires pourraient remonter, par l’évolution sociale dont témoignent des fragments de céramique « d’importation » et au moins une monnaie blésoise, aux années 1025, époque du mariage de Béatrix de Mehun et de Geoffroy de Vierzon 679. Dans le quatrième état, qui serait antérieur à la seconde moitié du XIe siècle, la motte a été découpée et tranchée par les fondations d’un édifice

que les maçonneries du chevet ont une épaisseur constante de 0,80 m.

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Cette corniche semble être le résultat d’une reprise. 674

BUHOT DE KERSERS 1891 : 290. DESHOULIÈRES 1931 : 336. CROZET 1932 : 82-84. HEYWOOD 1996 : 114. PEVSNER, WILLSON 1997 : 193. GRÜNINGER 2005 : 284-285.

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Thibaud le Tricheur avait d’ailleurs développé un alignement de places-fortes à Pontlevoy, à Saint-Aignan et à Chaumont pour lui servir, ainsi qu’à ses successeurs, de base pour une extension territoriale vers Vierzon et même Sancerre en vue de contrebalancer les aménagements réalisés par Foulque Nerra à Montrichard et à Montrésor. OTTAWAY 1987d : 274. BUR 1987 : 75.

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Voir supra, p. 155 n. 568. « L’enquête textuelle est difficile car le château à motte est toujours appelé castellum ou castrum jusqu’au XIIe siècle, où apparaît sous la plume de Suger et d’Ordéric Vital le terme motta. Auparavant il semble bien que la désignation du tertre castral ait été celle, assez rare mais très significative, de dunio, domgio, domnio, c’est-à-dire de donjon au sens de support de la maison du dominus, à la fois son point fort et le symbole de sa domination. » BUR 1987 : 79. 677 BON 1992b : 12-17. 678 BON 2004 : 58-59. 679 Voir supra, p. 154-155.

de pierre 680.

En raison de l’étendue du site, aucun lien stratigraphique ou même typologique ne saurait être évoqué pour un quelconque rapprochement avec d’autres grands ensembles castraux du XIe siècle comme Loches, Châteaudun ou Chauvigny. Cependant, les éléments reconnus plaident en faveur d’un vaste espace enclos qui s’étendait du confluent des deux rivières à l’église et revenait en arc de cercle vers l’Annain 681. Comme ce fut le cas jusqu’au début du XIXe siècle, l’accès à la basse-cour devait se faire par une voie montante qui, à l’origine, longeait à l’ouest la façade primitive de l’église (fig. 159). On peut même émettre l’hypothèse que les irrégularités de la base du mur de la première travée sud de la nef (fig. 198) correspondent à une muraille reprise lors de l’agrandissement de la collégiale. Ainsi, l’axe de circulation, avant d’être couvert, aurait pu être protégé à l’ouest par une fortification aménagée sur le coteau surplombant l’Yèvre. Il reste impossible de préciser à quelle époque remontent les bâtiments divisant la surface en deux espaces distincts et s’ils correspondent à une bipartition plus ancienne de l’espace.

La collégiale de Mehun-sur-Yèvre conserve donc les traces d’un édifice primitif qui remonte, selon toute vraisemblance, au Xe ou à l’aube du XIe siècle. Cependant, sa stricte contemporanéité avec la tour de défense qui jouxtait son chevet ne saurait être affirmée. Certes, le développement de bâtiments en pierre indique clairement la mise en place de structures importantes et probablement complémentaires : faut-il alors en déduire que les trois premiers états du château sont antérieurs au chantier de l’église ? Doit-on plutôt penser que le château a été emmotté lors du creusement de fossés et la mise en place de fortifications mixtes (en bois et maçonnées) ? En définitive, le seul argument du changement technique dans la construction permet uniquement de conclure à une grande abondance de fonds directement liée à de puissants commanditaires. La seigneurie de Mehun apparaît dans les sources vers l’an mil. Il en va de même des premières mentions du castellum et, bien que les textes restent muets jusque vers 1150, on a désormais la preuve qu’il existait

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BON 2004 : 59. 681

BON 2003 : 13. Une tour d’enceinte du XIIIe siècle est d’ailleurs conservée derrière l’école mixte du Château.

bien une église dès le début du XIe siècle. On doit donc s’interroger sur le rôle joué par les seigneurs locaux et leur suzerain – l’archevêque de Bourges – dans le développement de Mehun. Les quelques traces conservées dans la collégiale sont nécessairement antérieures à la mise en place du chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes.