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SAINT-AIGNAN D’ORLEANS LA CRYPTE

2. Les sources du haut Moyen Age

La fondation du sanctuaire

La vita Ia Aniani 72, rédigée sans doute dans la seconde moitié du Ve siècle, indique que l’évêque d’Orléans Aignan, après dépose des toitures, exhaussa la cathédrale qu’un de ses prédécesseurs, Euverte 73, avait fait construire 74. Durant ces travaux, le maître d’ouvrage tomba d’un échafaudage 75.

La renommée de saint Aignan est surtout due à sa défense active d’Orléans devant Attila (v. 395-453) en 451. À l’annonce des ravages des Huns

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On peut notamment regretter que l’extension du Lycée Saint-Paul (rue Neuve-Saint-Aignan) par la construction d’un bâtiment de quatre étages à proximité immédiate de la collégiale n’ait pas donné lieu à une campagne de fouilles archéologiques.

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A.D. Loiret : sous-série 50 J 177. 70

Ce caveau était constitué d’une salle rectangulaire augmentée d’une abside voûtée en cul-de-four. On y accédait par un escalier en brique transversal à la construction dont les murs étaient recouverts par un enduit jaune orné d’une « raie noire ». Dans les remblais, on retrouva « quelques » monnaies de Constantin. JOLLOIS 1836 : 100-101, 132, pl. 21.BUZONNIERE 1877 : 56. BUZONNIERE 1849 : 11-13 ; LEPAGE 1901 : 15. PROVOST 1988b : 93.

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Société archéologique et historique de l’Orléanais, aquarelle de Thuiller réalisée en 1821. 72

KRUSCH 1896 : 104-117 (B.H.L. 473). RENAUD 1979. 73

Saint Euverte vécut dans la seconde moitié du IVe siècle. On en posséderait une signature au concile de Valence (374).

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sur le territoire gaulois, Aignan partit pour Arles afin d’avertir le gouverneur romain Aetius (v. 390-454) et lui demander sa protection. De retour à Orléans, Aignan attendit l’arrivée des Huns. Il rassembla ses fidèles dans la cathédrale et les exhorta à ne pas céder à la panique devant les envahisseurs 76. Quand ceux-ci arrivèrent à Orléans, les murailles de la cité leur résistèrent assez longtemps pour qu’Aignan puisse proposer à Attila de négocier. Le chef des Huns dut à ce moment comprendre que l’armée romaine était sur le point d’arriver. Il prit la fuite, le 14 juin 451. Ses troupes furent en partie anéanties aux Champs Catalauniques, en Champagne, quelques jours plus tard.

Aignan mourut deux ans après le siège, le 17 novembre 453 77. Rien n’est dit sur le lieu de son inhumation mais tout laisse croire qu’il fut enterré dans une des nécropoles orientales de la ville, conformément aux pratiques de l’Antiquité tardive. Sa réputation de sainteté entraîna de nombreux fidèles à venir sur son tombeau afin de rendre gloire à l’illustre évêque de la cité. Dès le VIe siècle, comme le relatent la Vita S. Genovefae 78, la Vita S. Germani episcopi Parisiaci 79 et l’Historia Francorum80, un édifice dédié au saint est attesté. Le terme même de basilica, employé par tous les auteurs, semble indiquer non seulement une construction sur le tombeau mais aussi une vénération populaire du corps.

75 KRUSCH 1896 : 109. 76 KRUSCH 1896 : 115. 77

Le Martyrologe hiéronymien composé vers 628, renvoie à deux dates pour le nom d’Aignan : le 17 novembre, jour de la déposition (Acta sanctorum, novembre, 2 : 603), et le 14 juin, jour de la translation, qui correspond à la libération de la ville (Acta sanctorum, novembre, 2 : 318). Il reste donc à savoir si cette translation implique qu’Aignan est mort loin d’Orléans et que son corps a été déplacé avant d’être inhumé ou s’il s’agit simplement d’un changement de lieu en vue de travaux.

78

KRUSCH 1896 : 332 (B.H.L. 3335). Le texte relate la venue de sainte Geneviève (v. 422-v. 502) à Orléans sur le tombeau de saint Aignan ; elle y accomplit, avec l’aide du saint, plusieurs miracles.

79

KRUSCH 1920 : 413 (B.H.L. 3468). Venance Fortunat (v. 530-v. 600) raconte la venue de saint Germain (v. 496-v. 576) qui pria pour la libération des prisonniers sur le corps de saint Aignan à Orléans.

80

Grégoire de Tours (v. 538-v. 594) consacra un chapitre de l’Histoire des Francs au siège d’Orléans en 451. L’évêque de Tours dut avoir connaissance des faits par la Vita Ia Aniani,

qu’il reprit partiellement. LATOUCHE 1996 : 87-90. Mais Grégoire mentionne également à un autre chapitre le décès de Namatius, évêque d’Orléans, mort en Anjou en 587, et dont la dépouille fut rapatriée et mise en terre dans la basilique de saint Aignan, confesseur. LATOUCHE 1996 : 203-204.

Le vocable du sanctuaire au VIe siècle ne fait donc aucun doute : saint Aignan était vénéré dans une église qui lui était dédiée. Aucune ambiguïté ne semble non plus décelable d’après les sources datant du VIIe siècle.

En 626-627, Clotaire II (584-629) fait prêter serment à Godinus, fils du maire du palais Warnacharius, à Saint-Médard de Soissons, à Saint-Denis, à Saint-Aignan d’Orléans et à Saint-Martin de Tours 81. Comme l’a fait remarquer Jean-Charles Picard, on peut donc en déduire que dès cette époque, Saint-Aignan d'Orléans faisait partie des grands sanctuaires de la Gaule 82.

Une communauté de religieux vint s’implanter à proximité du corps de saint Aignan à une date qui ne peut être clairement définie. On sait seulement que Leodebodus († 651), abbé de Saint-Aignan, fit plusieurs donations dans son Testamentum : devaient en bénéficier la basilique et les moines de Saint-Aignan 83, ainsi que l’église de Notre-Dame à Fleury ; Leodebodus demanda également qu’une église Saint-Pierre soit fondée en ce même lieu 84. La suite du texte comporte quant à elle une interpolation : une incise affirme que le corps de saint Aignan se trouve à Fleury. Il s’agit plus probablement d’une erreur ou d’une corruption de l’original, la source conservée n’étant qu’une copie du XIe siècle, et Leodebodus n’ayant certainement pas eu le projet de transférer le corps de saint Aignan 85.

Dans la deuxième moitié du VIIe siècle, Saint-Aignan figurait sur une liste de communautés que la reine Bathilde († v. 680) voulait voir suivre la règle monastique mixte de saint Colomban et saint Benoît 86. On ne sait cependant pas si ce souhait fut concrétisé 87.

81

KRUSCH 1888b : 147 (Chronique de Frédégaire). 82

PICARD 1992 : 91-92. 83

PROU, VIDIER 1900 : 1-19. 84

Ces deux églises Notre-Dame et Saint-Pierre sont les deux sanctuaires de la nouvelle abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire).

85

PICARD 1992 : 91-92. On a parfois pensé que Leodebodus avait pour projet de déposer le corps de saint Aignan à Fleury mais qu’il dut se résigner à le laisser à Orléans devant la réticence de la communauté : LAPORTE 1971.

86

KRUSCH 1888a : 482-508 (B.H.L. 905). 87

HUBERT 1661 : 60. Le chanoine Hubert précise que le dessein de la reine Bathilde ne se réalisa pas à Saint-Aignan d’Orléans. Peut-on lui faire confiance sur des événements remontant à dix siècles auparavant ?

Les IXe-Xe siècles

Après les conciles d’Aix (816-817), les moines de Saint-Aignan furent réformés en chanoines, comme l’attestent le Testament d’Anségise, abbé de Fontenelle († 833) 88 et la Charte d’Agius, évêque d’Orléans (843-862 ?), datée de 854 89. Cette charte est d’ailleurs intéressante à plus d’un titre : en effet, l’évêque accorda aux chanoines de Saint-Aignan d’Orléans la permission de construire une chapelle (chapelle Saint-Aignan, plus tard Notre-Dame-du-Chemin) dans un nouveau cimetière situé plus à l’est, en raison d’un espace saturé par les sépultures à proximité immédiate de la collégiale. Par ailleurs, on sait par une confirmation de biens que les chanoines disposaient d’un hôpital 90.

Les raids normands, dans les années 850-865, obligèrent les moines et les chanoines des sanctuaires ligériens à la fuite, pour protéger leurs reliques. Ainsi, les reliques de saint Martin auraient été apportées de Tours à Orléans dès 853 91, la tradition locale voulant qu’elles aient été déposées à Saint-Aignan. Il en fut de même en 865 pour les reliques de saint Benoît 92 que les moines de Fleury auraient récupérées avec quelque réticence de la part des chanoines de Saint-Aignan 93. Les liens qui unissaient le collège orléanais à l’abbaye bénédictine entraînèrent d’ailleurs une certaine jalousie entre les deux communautés, encore perceptible dans le courant du XIe siècle 94. En 865, un incendie de la ville 95 laisse souvent supposer une reconstruction de Saint-Aignan, généralement attribuée à Charles le Chauve (840-877) 96.

Deux vitae de saint Aignan furent réécrites entre la seconde moitié du IXe siècle et le début du Xe siècle : il s’agit des vitae IIa et IIIa Aniani 97. Si la véracité de ces deux récits semble contestable, force est de constater leur

88

LOHIER, LAPORTE 1936 : 113. L’histoire locale prétend souvent que cette réforme fut bien plus précoce, à savoir sous le règne de Pépin le Bref (751-768).

89

BOUCHER DE MOLANDON 1868.GUYOTJEANNIN 2004. 90

BOUQUET, DELISLE 1869-1880 : vol. 9, 351-352. 91

BOUQUET, DELISLE 1869-1880 : vol. 7, 70. 92 CERTAIN 1858 : l. 1, § 34 et 36. 93 VIDIER 1965 : 177-178. 94 HEAD 1990 : 155-156. 95

BOUQUET, DELISLE 1869-1880 : vol. 7, 89. 96

HUBERT 1661 : 28. 97

caractère éminemment politique face à un sanctuaire s’émancipant du joug épiscopal.

La Vita IIa (fin IXe siècle) reprit l’épisode du siège d’Orléans mais donna deux nouveaux éléments : le premier est la succession épiscopale d’Euverte et d’Aignan ; le second est que saint Aignan fut inhumé à Saint-Laurent-des-Orgerils avant qu’on ne transfère son corps, à une date indéterminée, dans un temple magnifique, que les auteurs ont souvent reconnu dans la légendaire église orléanaise Saint-Pierre-aux-Bœufs 98, qui se serait trouvée à l’emplacement actuel de l’église Saint-Aignan.

La Vita IIIa (début Xe siècle) fut tournée vers la jeunesse d’Aignan, ne rappelant pas le siège d’Orléans, jugé déjà assez connu pour ne pas être une nouvelle fois raconté. On apprend donc qu’Aignan était issu d’une famille noble et qu’il était né à Vienne, en Dauphiné. Dès son adolescence, sur le modèle de son frère saint Léonien, il se construisit une cellule à l’écart de la ville et y passa quelques années en ermite. Ayant entendu parler du saint évêque d’Orléans Euverte, il décida de se rendre à ses côtés. Celui-ci le nomma abbé de Saint-Laurent-des-Orgerils. Le récit fut arrêté à la mort d’Euverte et la Vita IIIa ne fit aucune mention de l’épiscopat de saint Aignan.

Pour saisir tout l’intérêt de ces deux réécritures, il faut impérativement les réinscrire dans leur contexte historique : l’évêque d’Orléans Jonas demanda entre 840 et 843 une confirmation des biens de la cathédrale Sainte-Croix au nouveau souverain, Charles le Chauve, et aucun document antérieur ne fut conservé. Ce diplôme permettait ainsi au pouvoir épiscopal de se voir rattacher sans conteste des églises et des territoires (l’église Saint-Laurent-des-Orgerils y est d’ailleurs mentionnée pour la première fois comme dépendance de la cathédrale). De même, deux vitae de saint Euverte furent écrites coup sur coup à cette époque et insistaient, tout comme les Vitae IIa et IIIa S. Aniani, sur la succession de ces deux illustres évêques de la ville. Cette démarche avait très probablement pour but de rapprocher ces deux pères du diocèse 99 tout en

98

Le vocable de cette église n’est pas précisé. Sur Saint-Pierre-aux-Bœufs, voir BERLAND 1979.

99

HEAD 1990 : 20-100. Euverte, dont on ne connaît rien, se trouve ainsi élevé à la dignité de saint Aignan, libérateur de la cité.

essayant de revendiquer l’autorité de la cathédrale sur une collégiale qui jouissait de nombreux privilèges, dont l’immunité 100.

A partir du IXe siècle, il apparaît donc clairement qu’on cherchait à mettre en évidence des liens directs de succession entre saint Euverte et saint Aignan. On instaura alors l’idée d’un déplacement du corps de ce dernier depuis Saint-Laurent-des-Orgerils vers l’église Saint-Pierre-aux-Bœufs qui changea alors de vocable. Dès lors, l’histoire locale reprit toujours ces informations sans jamais vraiment les remettre en cause 101. Cependant, on constate objectivement que tout contredit cette théorie, bien peu conforme par ailleurs aux pratiques funéraires des Ve et VIe siècles 102.

Durant le IXe siècle, la montée en puissance de propriétaires fonciers permit aux Robertiens de s’imposer peu à peu, en tant que ducs des Francs, maires du palais ou même rois 103. Leur politique reposait en partie sur un régime d’abbatiats laïcs dans les grandes villes de leur domaine, tels Saint-Martin de Tours et Saint-Aignan d’Orléans. Ce chapitre, qui resta longtemps assujetti au pouvoir épiscopal, gagna alors son indépendance. Le Xe siècle joua progressivement en faveur des Robertiens qui accrurent considérablement leurs domaines et leur zone d’influence, notamment durant le règne d’Hugues le Grand († 956). La mort de Lothaire, en 987, porta le coup de grâce à la dynastie carolingienne. Hugues Capet († 996) fut élu puis sacré roi et il associa immédiatement au trône son fils Robert, palliant ainsi toute difficulté de succession et tout morcellement du duché de France, somme toute assez restreint lors de leur accession au pouvoir. Robert, abbé laïc de Saint-Aignan d’Orléans, accorda tout particulièrement ses faveurs au sanctuaire et le fit reconstruire durant son règne.

100

NEWMAN 1935 : n° 136 (faux acte). 101

La translation avait pourtant été mise en doute à plusieurs reprises dans le courant du

XVIIIe siècle. Méd. Orléans : ms 1017. 102

PICARD 1992 : 91-92. 103