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Version historique

Selon la conception historique, la définition de l’art doit, au lieu de prendre appui sur des relations purement procédurales et sociales, renvoyer plutôt aux relations intentionnelles et historiques : « la relation (intentionnellement provoquée ou forgée) qui existe entre un objet qui se présente comme une objet d’art et les objets d’art qui le précèdent est tout ce qui reste (…) de la notion descriptive de l’art »50. Autrement dit, le fonctionnement effectif du concept d’art implique logiquement l’histoire concrète de l’art51 et une orientation intentionnelle d’une ou de plusieurs personnes par rapport aux produits et aux activités artistiques. La mise en évidence d’une notion univoque de l’art est donc possible. Il s’agit de proposer une condition minimale pour que quelque chose soit de l’art : ce qui est essentiel, c’est d’avoir une relation intentionnelle aux prédécesseurs artistiques ; le contexte requis n’est pas nécessairement institutionnel.

Dans son article intitulé « Pour une définition historique de l’art », Levinson considère successivement quatre définitions complémentaires de l’art, définitions qui rendent compte de l’irréductible historicité des œuvres d’art.

(I) « X est une œuvre d’art ═ df X est un objet qu’une personne ou des personnes qui possèdent un droit de propriété légitime sur X, destine à être perçu durablement comme une œuvre d’art, c’est-à-dire d’une façon (ou de façons) qui le place en relation avec la façon dont les œuvres d’art antérieures52 sont correctement (ou normalement) perçues »53.

49 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.18. 50 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.10.

51 « Les options afin de faire de l’art à des moments ultérieurs sont nécessairement conditionnées ou affectées par les options pour faire de l’art à des moments antérieurs » Levinson, Music, Art And Metaphysics, p.40. 52 Les italiques ont été ajoutées par rapport au texte original.

(It) « X est une œuvre d’art en t = df X est un objet dont il est vrai en t

qu’une personne ou des personnes ayant sur X un droit de propriété légitime le destinent (ou l’ont destiné) durablement à être perçu-comme-une-œuvre-d’art c’est-à-dire à être perçu sur un mode (ou des modes) conforme à celui (ou à ceux) sur lequel les œuvres d’art antérieures à t sont ou étaient correctement (ou normalement) perçues »54.

(I’t) « X est une œuvre d’art à t = df X est un objet dont il est vrai en t qu’une personne ou certaines personnes, possédant un droit de propriété légitime sur X, conçoit durablement (ou a conçu) X en vue d’être perçu-comme-une-œuvre-d’art c’est-à-dire perçu d’une façon (ou de façons) conforme à celle dont sont ou étaient correctement (ou normalement) perçus les objets qui font partie de l’extension d’ « œuvre d’art » avant t »55.

(II) « Stade initial : les objets des arts premiers sont des œuvres d’art à to (et par la suite). Stade récursif : si X est une œuvre d’art antérieure à t, alors Y est une œuvre d’art à t s’il est vrai qu’à t une ou des personnes ayant un droit de propriété légitime sur Y, conçoivent durablement (ou ont conçu) Y en vue d’être perçu sur un mode (ou des modes) selon lesquels X est ou était correctement perçu »56.

Une analyse comparative de ces définitions révèle plusieurs caractéristiques importantes de ce qu’est une définition historique de l’art. La définition de base (I) met en évidence l’idée selon laquelle les propriétés relationnelles déterminantes pour qu’un objet soit une œuvre d’art sont historico-intentionnelles plutôt que procédurales et sociales. L’intervention d’un individu liée à l’histoire de l’art est tout ce qui est requis pour faire de l’art. Cette relation intentionnelle peut prendre deux formes : la première, non consciente, est dite intrinsèque, et la deuxième, consciente en tant qu’elle relie une chose donnée intentionnellement à d’autres choses – lesquelles sont invoquées de manière indexicale –, est dite relationnelle. La définition historique de l’art basée sur cette relation intentionnelle diffère de trois autres approches historiques57 : l’une basée sur l’influence causale des arts

54 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.26. 55 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.30. 56 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.35.

57 Ces trois approches font l’objet d’une discussion critique par Levinson dans The Pleasures Of Æsthetics, p.164-167.

antérieurs, l’autre basée sur le compte rendu narratif de la position de telle œuvre d’art par rapport aux œuvres d’art, la dernière basée sur l’unité et l’évolution stylistique.

La définition (It) introduit explicitement le statut d’être une œuvre d’art à un moment donné, et rend compte de la possibilité d’une absence de coïncidence entre le temps de la création physique d’un objet (tp) et le temps du devenir-art (ta). La définition (It’) rend manifeste la signification du concept d’art : « le concept d’art ne possède pas communément de contenu au-delà de ce que l’art a été »58. L’analyse du sens du terme “art” se fait en fonction de l’extension du concept d’œuvre d’art à des moments antérieurs à t.

La quatrième caractéristique mise en évidence dans (II) est l’unité de l’art dans le temps ainsi que son évolution permanente. L’art se distingue d’autres activités comme la philosophie, la science, en tant qu’activité constituée purement de manière historique d’où l’historicité interne du concept d’art59. Le problème posé par la définition (II) est que les arts premiers (ou ur-arts) ne sont précédés d’aucune œuvre d’art par définition : les ur-arts sont l’origine de l’art, le point ultime de l’histoire de l’art. « On en arrive à un ensemble d’objets, Ao, tels que les objets qui leur succèdent sont conçus en vue d’être perçus comme le sont généralement ceux qui appartiennent à Ao, mais il n’existe pas d’objets X précédant Ao tels que ceux qui appartiennent à Ao auraient été conçus de manière à être perçus comme l’étaient généralement, en fait, ceux de X. Ao est donc bien un ensemble d’œuvres appartenant à l’art premier »60. Ainsi, le statut d’œuvre d’art des ur-arts et des œuvres d’art ultérieures est accordé de manière différente : les seconds et non les premiers, sont définis de manière récursive, en référence à l’origine de l’art. La résolution du problème du statut des arts premiers consiste soit à affirmer l’idée selon laquelle les ur-arts ont le statut d’art en un sens différent, soit à reconnaître que les premiers arts qui suivent les ur-arts sont de l’art en tant qu’ils sont destinés à être perçu-comme-un-ur-art.

L’une des objections majeures faite à l’encontre de cette définition historique de l’art est que cette dernière est trop large, en tant qu’elle ne comprend pas seulement le défini : la condition minimale qu’est la relation intentionnelle au regard normé porté sur les œuvres d’art antérieures ne constitue pas une condition suffisante.

58 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.20. 59 Levinson, The Pleasures Of Æsthetics, p.152. 60 Levinson, L’art, la musique et l’histoire, p.36.