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Musique et physique

Dans le document Musique, propriétés expressives et émotions (Page 169-173)

La théorie physique de la musique consiste à dépasser le statut abstrait des nombres pour y faire correspondre une réalité physique. Le degré de consonance du son musical s’explique par des causes concrètes physiques et non abstraites, mathématiques. La théorie dite de la « coïncidence des corps », initiée par Mersenne290, est en cela exemplaire : l’accord de deux sons est d’autant plus agréable que leurs vibrations viennent frapper le tympan simultanément.

Un fondement physique est assigné aux rapports numériques. Le son musical est un évènement physique dont la spécificité vient du nombre de battements, de coups : « par exemple, l’octave n’est autre chose que deux battements d’air comparés à un battement

289 Charrak, Musique et philosophie à l’âge classique, p.15. 290 Mersenne, Harmonie universelle.

d’air »291. La musicalité d’un son se réduit aux propriétés physiques de ce son. L’ensemble des consonances simples sont comprises et expliquées par la comparaison numérique de leurs battements physiques : l’unisson reçue comme un seul son, est la plus puissante des consonances ; l’octave est, après l’unisson, la plus douce des consonances ; la quinte est la troisième des consonances, mais lorsqu’elle est multipliée, elle devient dissonance.

Cette explication physique du son musical est développée par Helmholtz292 : « on s’est proposé dans cet ouvrage de rapprocher, sur leurs frontières communes, des sciences qui, malgré les nombreux rapports naturels qui les unissent, malgré leur voisinage mutuel, sont restées jusqu’ici trop isolées les unes des autres. Il s’agit, d’une part, de l’acoustique physique et physiologique, et d’autre part, de la science musicale et de l’esthétique »293. L’acoustique physique étudie les mouvements des corps sonores solides, liquides et gazeux. L’acoustique physiologique quant à elle, porte son attention sur les phénomènes qui se produisent dans l’oreille, et analyse par là, le cheminement parcouru par la vibration sonore depuis l’oreille externe jusqu’aux nerfs de l’oreille interne. L’acoustique physiologique comprend elle-même trois analyses, physique – comment le son pénètre jusqu’aux nerfs ? –, physiologique – quelles excitations nerveuses correspondent aux sensations auditives ? –, et psychologique – quelles sont les lois d’après lesquelles ces sensations se transforment en images d’objets extérieurs ?

Les impressions auditives diffèrent suivant la nature de ce qui est perçu – les bruits comme le sifflement du vent se distinguent des sons musicaux – : alors qu’une sensation musicale est saisie par l’oreille comme un son calme, uniforme, invariable, du fait de l’ébranlement régulier du corps sonore et de la masse d’air, une sensation de bruit correspond à des sensations multiples irrégulièrement confondues, étant donné l’ébranlement variable de la masse d’air ambiante. La distinction entre le bruit et le son musical repose donc sur la nature des ébranlements de la masse d’air : « la sensation du son musical est causée par des

mouvements rapides et périodiques294 du corps sonore ; la sensation du bruit, par des

mouvements non périodiques »295.

291 Mersenne, Harmonie universelle, vol.2, I, p.6. 292 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique. 293 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, p.1.

294 Un mouvement périodique repasse, dans des périodes égales, par les mêmes états. 295 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, p.11.

La discrimination des sons musicaux est fonction de trois variables : l’intensité, la hauteur et le timbre. L’intensité varie selon l’amplitude des vibrations du corps sonore. La hauteur résulte du nombre de vibrations exécutées par le corps sonore pendant une seconde : l’augmentation du nombre des vibrations implique une plus grande hauteur du son. Deux sons forment une octave lorsque le plus aigu fait deux vibrations pendant que le plus grave en fait une ; une quinte lorsque le plus aigu fait trois vibrations pendant que le plus grave en fait deux ; une quarte lorsque le plus aigu fait quatre vibrations pendant que le plus grave en fait trois ; une tierce majeure lorsque le plus aigu fait cinq vibrations pendant que le plus grave en fait quatre ; une tierce mineure lorsque le plus aigu fait six vibrations pendant que le plus grave en fait cinq ; une sixte mineure (ou tierce majeure renversée – on élève le son fondamental de l’intervalle à l’octave –) lorsque le plus aigu fait huit vibrations pendant que le plus grave en fait cinq ; une sixte majeure (ou tierce mineure renversée) lorsque le plus aigu fait cinq (ou dix) vibrations pendant que le plus grave en fait trois (ou six). Ainsi, l’ensemble des intervalles consonants compris dans une octave correspond à certains rapports de nombres entiers lesquels renvoient aux rapports de vibrations.

Enfin, le timbre des sons musicaux « dépend de l’espèce et de la nature du mouvement dans l’intervalle de la période de chaque vibration isolée »296 : à chaque timbre différent est associée une forme différente de vibration ; mais des formes différentes peuvent être rapportées à des timbres identiques. Un autre point important caractéristique des différences entre les timbres musicaux, consiste dans la présence et l’intensité des sons partiels ou harmoniques. Les sons harmoniques sont distincts du son fondamental, et constituent une série ordonnée d’intervalles : l’octave supérieur du son fondamental (deux fois plus de vibrations), la quinte de cette octave (trois fois plus de vibrations), la seconde octave au dessus (quatre fois de vibrations), la tierce majeure de cette octave (cinq fois plus de vibrations), la quinte de cette octave (six fois plus de vibrations).

Mais quelles sont les causes véritables et suffisantes de la consonance et de la dissonance des sons musicaux ? Il ne suffit pas de dire que la quinte s’avère plus consonante que la quarte, du fait de la plus grande simplicité du rapport numérique 3/2 relativement à 4/3 : il faut tenir compte des battements entre les sons fondamentaux ainsi que des battements de leurs harmoniques respectifs.

Une première loi est dégagée afin de mesurer le rapport entre les sons simultanés et les mouvements vibratoires : « le mouvement vibratoire de l’air ou des autres corps élastiques, déterminé par l’action simultanée de deux sources sonores, est toujours exactement égal à la somme des mouvements que produirait chaque source sonore si elle était seule »297. Et qu’en est-il des battements ? « Le nombre des battements, dans un temps donné, se trouve (...) égal à la différence entre les nombres de vibrations exécutées pendant le même temps par les deux sons considérés »298.

Le degré de consonance des sons musicaux varie suivant le nombre des battements et la grandeur de l’intervalle : une tierce majeure par exemple, peut être considérée comme consonance dans une région médiane, et comme dissonance dans les régions graves. Toute consonance est par ailleurs altérée par les consonances voisines : « dans tout intervalle consonant, les harmoniques qui coïncident dans les intervalles consonants voisins, forment une dissonance » ; « si deux sons musicaux résonnent simultanément, l’accord qu’ils forment est en général, troublé par les battements que produisent entre eux les harmoniques respectifs des deux sons, en sorte qu’une plus ou moins grande portion de la masse sonore se divise en secousses discontinues, et l’accord devient dur »299. La dissonance peut donc être définie comme une sensation auditive discontinue qui résulte d’une influence perturbatrice des sons.

À l’inverse, la consonance consiste en une sensation auditive continue : aucun battement ne se produit, ou s’ils se forment, ils sont suffisamment faibles pour ne pas altérer l’impression. Quatre types de consonance sont par là distingués : les consonances absolues (le son fondamental de l’une des notes coïncide avec l’un des harmoniques de l’autre) que sont l’octave, la double octave, les consonances parfaites (elles conservent leur statut de consonance dans l’espace sonore) comme la quinte et la quarte ; les consonances majeures (altération sensible de l’harmonie dans le grave) comme la sixte majeure et la tierce majeure ; les consonances imparfaites comme la sixte mineure et la tierce mineure. Considérons le degré de consonance de deux intervalles : l’intervalle de quinte juste do-sol, et l’intervalle de tierce mineure do-mib. L’intervalle de quinte juste comprend seulement trois harmoniques pouvant générer une dissonance : le 4ème harmonique de do avec le 3ème de sol, entre lesquels il y a une relation d’un ton, et le 7ème et le 8ème de do avec le 5ème de sol, entre lesquels il y a

297 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, p.191. 298 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, p.207. 299 Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, p.241.

une relation d’un demi ton. L’intervalle de tierce mineure comprend, quant à lui, pas moins de sept harmoniques pouvant générer une dissonance. La comparaison entre ces deux intervalles d’après les calculs de frottement entre les harmoniques, donne une explication physique des degrés de dissonance et de consonance des accords.

En bref, la théorie physique de la musique défend l'idée selon laquelle la musicalité d'une structure sonore est réductible à ses propriétés physiques. Autrement dit, la spécificité d'une structure musicale par rapport à n'importe quelle autre structure sonore repose sur la spécificité physique de cette structure et non pas simplement mathématique.

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