Chapitre premier – Entre rupture et continuité, les liens personnels et patrimoniaux unissant les débiteurs et les
Section 1- Les transformations de la notion de débiteur public
B. Le changement de nature de la dette publique
1. Vers une nouvelle conception du crédit public
Au commencement de la Révolution, la France « périssait par le désordre de ses
finances » 383. Le 17 juin 1789, le tiers état se constitue en Assemblée nationale et par un premier décret ouvre non seulement « la voie à un Nouveau Droit public »,384 mais fonde aussi les prémices « d'une nouvelle conception du crédit public »385. Dans ce décret, le tiers état choisit d’assurer le service de la dette publique et de ne pas répudier la dette de l’Ancien Régime386. Dans le même sens, il décide que « la dette
du roi devient la dette de la nation »387. Cette qualification dans les textes dès les premières heures de la Révolution n’est pas une transformation de la dette publique, au sens où elle ne changerait que d’aspect, mais bien une dénaturation car les modifications portent sur ses caractéristiques les plus profondes. L'Assemblée
383
Louis-Marie de Lahaye de CORMENIN, Questions de droit administratif, op. cit., Tome 2, p. 252
384
Marcel MORABITO, Histoire constitutionnelle de la France, 1789-1958, 10e éd., Paris, Montchrestien, coll. « Domat droit public », 2008, 431 p. p. 41-42
385
Norbert OLSZAK, « Aspects historiques de la dette publique en France : la doctrine classique et la rente », in La Dette publique en France, Paris, Economica, coll. « Collection Finances publiques », 1990, pp. 15‑33.
386
Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; recueil complet des débats législatifs & politiques des chambres françaises imprimé par ordre du Sénat et de la Chambre des députés, Paris, Librairie administrative de P. Dupont, 1862. Tome VIII p. 184.
387
Arthur YOUNG, Voyages en France, pendant les années 1787, 88, 89 et 90. Tome 1, traduit par
constituante veut raffermir les fondements ébranlés du crédit. Dans ses déclarations du 17 juin puis du 13 juillet 1789, elle proclame qu'elle met dès à présent les créanciers de l'État « sous la garde de l'honneur et de la loyauté française, et que,
dans aucun cas, et sous aucun prétexte », il ne peut être fait « aucune nouvelle retenue, ni réduction quelconque sur aucune des parties de la dette publique »388. Cette volonté d’acquitter « la dette nationale »389 est ensuite réaffirmée dans un arrêté du 27 juin 1789. Les Archives parlementaires offrent de nombreux exemples et de riches informations sur cette volonté de l’Assemblée nationale de garantir la dette publique : « mise sous la garde de l'honneur et de la loyauté française, et la Nation ne
se refusant pas d’en payer les intérêts, nul pouvoir n’a le droit de prononcer l'infâme mot de banqueroute, nul pouvoir n'a le droit de manquer à la foi publique sous quelque forme et dénomination que ce puisse être »390.
La construction d’un crédit public n’est pas étrangère à l’apparition d’un nouveau droit public. Les questions sont liées et les travaux des premiers professeurs de Droit administratif en témoignent391. Joseph-Marie de Gérando, premier enseignant du cours de droit administratif à la Faculté de droit de Paris en 1819392, s’intéresse à la nature de ce nouveau débiteur dans ses « Institutes »393 et souligne le rôle central des
dettes publiques « déclarées nationale »394 au moment de la Révolution. Dans leur travail sur « La fortune publique en France, et de son administration » paru en 1838, Louis-Antoine Macarel et Sébastien-Joseph Boulatignier relèvent eux aussi ce changement de nature de la dette publique395. Ces auteurs soulignent les
388
Louis-Marie de Lahaye de CORMENIN, Questions de droit administratif, op. cit., Tome 2, p. 252
389
Archives parlementaires de 1787 à 1860 ; recueil complet des débats législatifs & politiques des chambres françaises imprimé par ordre du Sénat et de la Chambre des députés, op. cit. Tome VIII p. 163.
390
Ibid. Tome VIII p. 230
391
Le regard porté est limité à la première moitié du XIXe siècle.
392
Ordonnance royale du 24 mars 1819 voir C. M. GALISSET, LEGE et DAVERNE, Corps du droit français, ou recueil complet des lois, décrets, arrêtés, ordonnances, sénatus-consultes, réglemens, avis du conseil d’état : 1789-1854, 1829., Volume 3, p. 645
393
Joseph-Marie de GÉRANDO, Institutes du droit administratif français ou éléments du code administratif réunis et mis en ordre, contenant l’exposé des principes fondamentaux de la matière, les textes des lois et ordonnances, et les dispositions pénales qui s’y rattachent, op. cit., Deuxième partie, Section III. Des Biens des communes et de leur Gestion., p. 368 et 369
394
Ibid., Deuxième partie, p. 389
395
« tous les biens meubles et immeubles, possédés par les anciennes corporations, à quelque titre que ce soit, ont été déclarés nationaux, et les dettes qui les grevaient ont du être acquittées par l'état, qui, de cette manière, a été complètement substitué aux corporations », voir Louis-Antoine MACAREL et Sébastien-Joseph BOULATIGNIER, De la fortune publique en France, et de son administration, Paris, Pourchet père, 1838., p. 250
transformations induites par dans la loi du 23 Messidor an II396 ou de celle du 14 avril 1793. Ils appuient notamment leur propos sur la nouvelle distinction entre le droit public et le droit privé ou encore la distinction entre le domaine privé et le domaine public. Ces approches représentent une rupture. Comme c’est le cas avec le qualificatif « royal » sous l’Ancien Régime, la Révolution crée ce substitut « la dette de la Nation ». Fermín Laferrière reprend les propos d’un rapporteur, M. Dupin, pour qui « jamais les dettes du roi ne seraient les dettes de l'État »397 et insiste sur une nouvelle réalité tendant à considérer que les biens des Princes et Rois ne sont pas ceux du domaine national. Ce changement de nature de la dette publique est réfléchi par les révolutionnaires et il est compris par les citoyens.
2. Le lien entre la renaissance politique de la Nation et le changement