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Les conséquences des changements de souveraineté

Chapitre premier – Entre rupture et continuité, les liens personnels et patrimoniaux unissant les débiteurs et les

Section 1- Les transformations de la notion de débiteur public

B. Des enjeux théoriques aux problèmes pratiques : la réception de la théorie des dettes de régime par le droit international

1. Les conséquences des changements de souveraineté

L’étude des successions d’État et des changements de souveraineté doit être guidée avec comme maxime que l’ancien article 2093 du Code civil promulgué le 29 mars 1804742 selon lequel « les biens du débiteur sont le gage commun de ses

737

Martin COLLET, Les finances publiques, op. cit., p. 29

738

Ibid., p. 29 et 30

739

Gaston JEZE, Cours de finances publiques 1929-1930 professé à la Faculté de droit de l’Université

de Paris pendant le deuxième semestre 1929-1930 : Théories générales sur les phénomènes financiers, les dépenses publiques, le crédit public, les taxes, l’impôt, op. cit., p. 300

740

Alexander Nahum SACK, Les effets des transformations des États sur leur dettes publiques et autres obligations financières, op. cit., p. 61

741

Louis Marie de La Haye CORMENIN, Droit administratif, op. cit., p. 45

742

Loi 1804-03-19 promulguée le 29 mars 1804 « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ».

créanciers » est inapplicable à l’État743. Les États ne font pas faillite et ne « déposent pas leur bilan » comme une entreprise privée pourrait le faire. Bien que cette idée soit un objet constant d’études et de réflexions, il n’en demeure pas moins que les conclusions fournies aujourd’hui sont les mêmes que celles déjà produites par Sir J. Fischer Williams pour qui « un État ne peut pas être mis en faillite comme un individu

et ses biens répartis entre ses créanciers… Un État ne peut pas être liquidé comme une société de commerce, et on ne peut pas mettre fin à son existence, simplement parce qu’il est insolvable »744. Dominique Carreau utilise lui la notion de « risque de

souveraineté »745 pour qualifier la situation dans laquelle un créancier doit savoir qu’il ne peut pas se saisir des biens d’un État débiteur.

Dans toute son amplitude, ce principe emporte des conséquences très importantes pour les créanciers. En effet, le changement de souveraineté « affecte d’une part

l’ordre juridique (l’État législateur), d’autre part la consistance du patrimoine étatique (l’État propriétaire) »746. Ainsi que le précise Julio Barberis, il « arrive qu'un

État, même si son territoire subit des modifications d'une importance radicale, garde son identité en tant que telle. Si le territoire est un élément constitutif de l'État, une modification fondamentale de celui-ci impliquerait également un changement de l'État en tant que tel »747. Pour le formuler autrement, un État, tout en gardant son unité juridique, peut voir son territoire s’enrichir ou s’appauvrir au gré de circonstances très différentes. Si politiquement, même parfois pour des raisons juridiques, les créanciers considèrent que le territoire et ses ressources (par exemple fiscales) sont une garantie pour lui d’être payé, ils doivent alors être attentifs à ce type d’évolution.

Ce sujet fait d’ailleurs l’objet de diverses conventions et accords internationaux, mais il est traité de manière différente selon les hypothèses soulevées.

Dans une première perspective, la « Convention de Vienne sur la succession d'États

en matière de biens, archives et dettes d'État » du 8 avril 1983 établit que les biens

meubles et immeubles situés sur le territoire de l’État prédécesseur sont transmis à

743

Voir par exemple Dominique CARREAU, « Dettes d’État », Répertoire de droit international, 2009.

744

Ibid.

745

Ibid. Pour l’auteur, « le risque encouru n’est pas de nature commerciale. Il s’agit purement et simplement d’un risque de souveraineté à l’encontre duquel les protections juridiques demeurent limitées ».

746

Brigitte STERN, « Succession d’Etats », Répertoire de droit international, 1998.

747

l’État successeur748. La convention pose donc le principe d’une stabilité. L’expression « bien d’État de l’État prédécesseur s’entend des biens, archives et intérêts qui, à la

date de la succession d’États et conformément au droit interne de l’État prédécesseur appartenaient à cet État »749. La convention écarte donc l’hypothèse pourtant très répandue des démembrements sur le long terme comme l’attribution de ressources naturelles à certains États créanciers, ou la vente de certains biens nationaux quand le droit le leur permet (par exemple le port grec du Pirée vendu à un armateur chinois750). En cas de successions dites spécifiques, la règle de principe est que la dette passe à l’État successeur « dans une proportion équitable, compte tenu,

notamment, des biens, droits, et intérêt qui passent à l’État successeur en relation avec cette dette d’État »751. Toutefois, la Convention de 1983 envisage une exception notable à son article 38 qui prévoit « qu’aucune dette de l’État prédécesseur ne passe

à l’État nouvellement indépendant ». Il s’agit d’une référence claire aux théories des

dettes odieuses et cette règle suscita d’ailleurs de nombreuses inquiétudes chez les pays occidentaux qui refusèrent « l’adoption du principe de la tabula rasa pour les

États nouvellement indépendants, nés de la décolonisation »752. Pour Brigitte Stern, cette règle explique d’ailleurs en grande partie la non-ratification de la Convention753. La « Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités » signée à Vienne le 23 août 1978 et entrée en vigueur le 6 novembre 1996 concerne elle l’ordre juridique de l’État. Là aussi, la perspective est double, oscillant entre « l’idée de

stabilité des relations juridiques internationales, et de protection des droits acquis des individus : autrement dit, il oscille entre l’idée de rupture et l’idée de

748

Pour un commentaire de convention, voir Brigitte STERN, « Succession d’Etats », op. cit.

749

Ibid.

750

Le vendredi 8 avril 2016, la Grèce a scellé la vente du port du Pirée à l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation. Voir Le Monde.fr avec Reuters | 08.04.2016I Disponible en ligne.

751

SECTION 2. Dispositions relatives à des catégories spécifiques de succession d’Etats Article 37 (Transfert d’une partie du territoire d’un Etat), Article 40 (Séparation d’une partie ou de parties du territoire d’un Etat) et Article 41 (Dissolution d’un Etat)

752

Brigitte STERN, « Succession d’Etats », op. cit.

753

Ibid., voir l’article 38 « Etat nouvellement indépendant ».

1. Lorsque l’Etat successeur est un Etat nouvellement indépendant, aucune dette d’Etat de l’Etat prédécesseur ne passe à l’Etat nouvellement indépendant, à moins qu’un accord entre eux n’en dispose autrement au vu du lien entre la dette d’Etat de l’Etat prédécesseur liée à son activité dans le territoire auquel se rapporte la succession d’Etats et les biens, droits et intérêts qui passent à l’Etat nouvellement indépendant.

2. L’accord mentionné au paragraphe 1 ne doit pas porter atteinte au principe de la souveraineté permanente de chaque peuple sur ses richesses et ses ressources naturelles, ni son exécution mettre en péril les équilibres économiques fondamentaux de l’Etat nouvellement indépendant.

continuité » 754 . Le changement de souveraineté sur un territoire entraîne nécessairement des modifications dans un certain nombre de relations juridiques.

Alexander Sack propose un certain nombre de solutions à ces questions. Il relève deux séries d’arguments. Dans la première hypothèse, l’idée principale est qu’« à fin

de décider quels sont les territoires grevés de telle ou telle dette, il faut établir lesquels de ces territoires font partie de l'État débiteur au moment où cette dette est contractée. Il y a, par conséquent, deux dates à considérer : la date de la séparation du territoire en question de l'ancien État et celle de la conclusion de la dette en question »755. La succession des dettes en cas de transformations territoriales de l’État repose pour l’auteur « sur les mêmes principes qu’en cas de transformations

politiques. Les dettes d’État sont assurées par tout le patrimoine de l’État. Les dettes d’État grèvent le territoire de l’État. Quelles que soient donc les transformations territoriales éventuelles de l’Etat, les dettes d’État continuent d’être assurées par tout le patrimoine public du territoire grevé de la dette. La base juridique du crédit public réside précisément dans ce fait que les dettes publiques grèvent le territoire de l’État débiteur »756, car « les créanciers de la dette publique conservent leurs droits

nonobstant les transformations territoriales éventuelles de l’État débiteur »757. Le Conseil d’État considère par exemple dans un arrêt du 28 avril 1876 que la transmission de charges de l’État annexé à l’État annexant constitue une novation qui s’opère de plein droit758.

Dans la seconde hypothèse, celle de la « théorie négative », il est à l’inverse considéré que « les dettes d’État sont des dettes personnelles de l’État »759 et qu’elles sont donc liées à sa personnalité politique (le gain ou la perte territoriale n’importe pas). Ainsi, si la répartition des dettes d’État est basée sur le principe de leur

754

En cas de transfert d’un territoire « chaque État continue à s’appliquer sur son territoire, agrandi pour l’un, diminué pour l’autre, ce qui implique que dans la partie transférée les traités antérieurement en vigueur sont remplacés par de nouveaux traités » ; Cas d’un État nouvellement indépendant « c’est le nouvel État qui est maître du choix des traités qu’il entend continuer et de ceux qu’il entend terminer » ; Cas d’Unification d’États « les traités en vigueur dans chacun des États qui s’unissent continuent à s’appliquer sur le territoire sur lequel ils s’appliquaient antérieurement, voir Ibid.

755

Alexander Nahum SACK, Les effets des transformations des États sur leur dettes publiques et autres obligations financières, op. cit., p. 309

756

Ibid., p. 54

757

Ibid., p. 61

758

Recueil des arrêts du Conseil d’État, Paris, Delhomme, 1876., p. 397 et s.

759

Alexander Nahum SACK, Les effets des transformations des États sur leur dettes publiques et autres

succession, « c’est-à-dire sur une règle de droit sui generis relevant du droit public,

elle ne saurait être considérée comme une simple transaction du droit civil basée sur la novation (...) la novation objective est le changement d’objet ou de cause de la dette et la novation subjective le changement de débiteur »760.

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