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L’approche juridique : le territoire comme assise du pouvoir normatif de l’État

Chapitre premier – Entre rupture et continuité, les liens personnels et patrimoniaux unissant les débiteurs et les

Section 1- Les transformations de la notion de débiteur public

A. Les problèmes théoriques : la « bonne mesure » du territoire

1. L’approche juridique : le territoire comme assise du pouvoir normatif de l’État

pouvoir s’armer trop fortement face à eux.

1. L’approche juridique : le territoire comme assise du pouvoir normatif de l’État

Selon la conception classique, l'État exerce « son empire par rapport à ses

ressortissants dans un espace donné, lequel serait précisément son territoire »703. Cette approche est contestée, car elle serait trop insistante sur certains éléments, certes constitutifs, mais ignorerait d’autres attributs tout aussi importants tels que la souveraineté qui constitue pourtant son support704. La souveraineté se manifeste pour un gouvernement par le fait de disposer du pouvoir et apparaît comme le déterminant essentiel de l’analyse consistant à mobiliser les ressources de l’État. En effet, comme l’écrit Gerard Radnitzky, « le concept de territoire ne doit pas être recherché dans le

monde réel, mais sur le plan normatif, car il s'agit du domaine spatial du pouvoir de l'État »705. Il s’agit du domaine où s’exerce le pouvoir d’un État capable de mobiliser les sols et les habitants, mais cela suffit-il à permettre à un gouvernement de mettre son territoire au service de la dette publique ? Le principe de la souveraineté suffit-il à justifier la création de recettes par la mobilisation des habitants qui l’occupent, à permettre à un État de le vendre ou à accepter qu’il soit saisi par ses créanciers ? Ces interrogations reviennent à poser la question des limites de la souveraineté de l’État qui sont de deux ordres, à la fois extérieur (a), mais aussi intérieur (b).

703

Julio BARBERIS, « Les liens juridiques entre l’Etat et son territoire : perspectives théoriques et

évolution du droit international », Annuaire français de droit international, vol. 45, no 1, 1999, pp. 132‑147., p. 137

704

Par exemple, Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, op. cit., p. 78 et suivantes.

705

a. Les limites extérieures de la souveraineté

Les limites extérieures de la souveraineté ne posent pas de difficultés, car le territoire représente l’« assise spatiale »706 sur laquelle l’État exerce son autorité. Le territoire a donc une dimension physique et est circonscrit. Cette acception se retrouve par exemple chez Hans Kelsen dans la « Théorie pure du droit » où il envisage le territoire de l'État comme un espace qui exclut tout autre, car il ne peut pas être simultanément le territoire de plus d'un État707. Cette analyse fait écrire à Julio Barberis qui « empruntant la terminologie de la physique, Hans Kelsen parle de

l'impénétrabilité (Undurchdringlichkeit) de l'État » 708. Cette caractéristique « n'est

pas fonction du territoire, mais résulte de la souveraineté de l'État »709.

La position selon laquelle chaque État est souverain pour déterminer les lois applicables sur son territoire n’est pas contestée. La souveraineté des États peut être malmenée politiquement, mais elle est juridiquement garantie par le droit international. En droit, le traitement de la dette publique relève donc de la seule autorité de l’État en ce qui concerne son territoire.

b. Les limites intérieures de la souveraineté

Les limites intérieures de la souveraineté invitent à questionner le rapport créé par la dette publique au sein de l’État. Deux thèses sont envisageables et chacune se retrouve en partie dans le droit positif. La première voudrait que l’État (le gouvernement à travers lui) dispose d’un droit personnel sur le territoire. Elle est parfois nommée « approche géopolitique » du territoire ou « théorie du territoire

sujet » par Maurice Hauriou. Cette théorie « suppose la personnalité morale de l'État et envisage le territoire comme un élément de la volonté subjective de cette personnalité »710. Il s’agit alors de considérer que le territoire est un « immeuble par

nature » et dans les hypothèses où la souveraineté appartient à la Nation, il est alors la

706

Florence POIRAT, « Territoire », in Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Lamy Presses universitaires de France, coll. « Quadrige Dicos poche », 2003, pp. 1474‑1478.

707

Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit., p. 63 708

Julio BARBERIS, « Les liens juridiques entre l’Etat et son territoire », op. cit., p. 141

709

Ibid., p. 141

710

propriété de la Nation. Sur ce point, il est intéressant de relever que la reconnaissance d’une personnalité morale de l’État a longtemps fait débat et était d’ailleurs rejetée par Léon Duguit711, ce qui le conduit à écarter l’idée selon laquelle le terme « dette

d’État » serait approprié (il rejette le terme de créances dans le même sens 712).

Aujourd’hui, les textes, à commencer par la Constitution du 4 octobre 1958, encadrent la capacité des gouvernants à utiliser pleinement le territoire national, par exemple en écartant l’hypothèse d’une cession forcée713 ou en offrant au Président de la République le rôle de garant de l'intégrité du territoire714. Dans le même sens d’une protection du territoire, l’article L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques prévoit que le territoire est inaliénable et imprescriptible715. L’inaliénabilité est elle même un principe ancien posé par l’édit de Moulins qui envisage déjà en 1566 que le domaine national est indivisible. Le territoire est donc historiquement pensé d’une manière personnelle comme étant le sol sacré de la patrie716. Toutefois, cette approche doit-elle être prolongée au point de considérer que l’État dispose et/ou d’un droit réel sur son territoire ? La thèse qui soutient que l’État dispose d’un droit réel sur son territoire est parfois nommée de théorie « de l'objet »717 ou « théorie de l’État patrimoniale »718. Elle repose sur des arguments aussi forts et procède d’une analogie avec le droit privé. Selon cette idée « l'État exerce sur le

territoire un droit réel similaire à celui du propriétaire sur une chose. Il ne s'agirait pas d'une proprietas, mais d'un imperium de même nature que celle-ci, avec les caractéristiques d'un droit réel »719. Ici, le territoire de l’État est une ressource directe

711

Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. Tome 3, 2e éd., Paris, E. de Boccard, 1921, p. 385 et s. pour la dette publique.

712

Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. Tome 3, 2e éd., Paris, E. de Boccard, 1921, p. 376

713

Constitution du 4 octobre 1958, Titre VI - Des traités et accords internationaux, Article 53. « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées » ou Article 89. « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ».

714

Constitution du 4 octobre 1958, article 5.

715

Art. L. 3111-1

716

Walther SCHOENBORN, « La Nature juridique du territoire », Recueil des cours de l’Académie de droit International, 1929, pp. 85‑189.

717

Maurice HAURIOU, Précis élémentaire de droit constitutionnel, op. cit., p. 8. Pour l’auteur la « théorie du territoire objet se place au point de vue juridique des droits de 1'Elat, le territoire est alors l'objet d'une sorte de domaine éminent de l'Etat qui est un des aspects de la souveraineté »

718

Walther SCHOENBORN, « La Nature juridique du territoire », op. cit.

719

de financement car il a une « utilité économique »720. Cette analyse se retrouve chez Cormenin qui défend le « principe que le domaine est la propriété de l'État, et que,

dès lors, l'État peut, comme tout autre propriétaire, disposer librement et pleinement de sa chose, il suit : Que les domaines nationaux peuvent être vendus et aliénés, à titre perpétuel et irrévocable ! »721. Il faut aussi relever la position de Walther Schoenborn pour qui « il n’est pas douteux un seul instant que la souveraineté

territoriale a été conçue et interprétée à la façon d'un droit réel »722. Comme nuance, il convient de souligner la remarque du même Walther Schoenborn qui met en garde contre l’idée selon laquelle il existerait une certaine évidence de la propriété. Le concept ne signifie pas la même chose selon les contextes dans lesquels il est utilisé. Dans le même sens, la notion de souveraineté est remise en question d’abord sur son ancrage « naturel », mais aussi, car elle ne s’exerce pas de manière uniforme comme un « modèle achevé »723.

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