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Vers une meilleure compréhension de l’interférométrie bolométrique

Il me semble rétrospectivement que le principal mérite du travail exposé dans ce chapitre est d’avoir bouleversé la vision que nous avions de l’interférométrie bolométrique : à la différence d’un radio-interféromètre où les images synthétiques sont obtenues par traitement numérique des données acquises, i.e. par transformée de Fourier spatiale du jeu de visibilités, le combineur de faisceaux effectue, dans notre cas, "optiquement" cette transformée de Fourier. Les matrices de cornets peuvent être vues comme des sélectionneurs de modes spatiaux ; dans le cas limite où on "enlèverait" ces cornets, l’instrument serait un simple imageur, et l’image obtenue sur le plan focal serait exactement l’image du ciel (incluant tous les modes de Fourier).

L’intérêt d’une telle sélection des modes appaîtra plus clairement au chapitre 10 : nous verrons que l’insertion d’interrupteurs entre cornets primaires et secondaires rend possible une puissante procédure d’auto-calibration. Celle-ci, intrinséquement liée à la nature interférométrique de notre instrument, permet de caractériser très "proprement" la manière dont les détecteurs mesure chaque mode.

Notons finalement que c’est parce que nous avons compris que chaque détecteur ne mesurait rien d’autre qu’une image synthétique du ciel (du moins dans les nouvelles architectures), que nous avons finalement pu lever ce postulat implicite selon lequel il était nécessaire de reconstruire les visibilités, et envisager l’approche très prometteuse exposée au chapitre 13.

Sensibilité d’un interféromètre

bolométrique dédié à l’observation du

CMB

N

ous étudions dans ce chapitre la sensibilité d’un interféromètre bolométrique aux spectres de puis- sance angulaire des anisotropies de température et de polarisation du CMB, puis nous la comparons à celles d’un imageur et d’un interféromètre hétérodyne de même dimensionnement instrumental (même nombre de cornets). Ce travail, effectué en collaboration avec Jean-Christophe Hamilton, Jean Kaplan, Michel Piat, Cyrille Rosset et Clément Cressiot, a donné lieu à une publication [2], reproduite en annexe. Si les résultats obtenus étaient qualitativement corrects (la sensibilité d’un interféromètre bolométrique est compétitive), nous nous sommes aperçus que cette question recelait de nombreuses subtilités qui nous avaient alors échappé ; leurs effets – qui se résument principalement à une amélioration ou une réduction des sensibilités des différents types d’instruments par une série de facteurs √2 – sont discutés ici en détail. Ce travail "correctif", qui résulte de fructueuses discussions avec Jean-Christophe Hamil- ton, Jean Kaplan, Ted Bunn, Sarah Church et Michel Piat, devrait sans doute donner lieu à une future publication.

Nous commencerons par introduire un estimateur non-biaisé de pseudo-spectre de puissance an- gulaire à partir du jeu de visibilités bruitées mesurés par un interféromètre. Le calcul de la variance d’un tel estimateur permet d’obtenir une formule analytique de la sensibilité d’un interféromètre bolométrique en fonction des paramètres instrumentaux (nombre et disposition des cornets, lobe primaire, temps d’observation, largeur de bande, etc.). Nous comparerons alors la sensibilité de l’instrument avec celles d’un imageur et d’un interféromètre hétérodyne de dimensionnement ins- trumental similaire (i.e. même nombre de cornets, même temps d’observation, même largeur de bande et donc par extension même ordre de coût). Nous discuterons enfin point par point les dif- férences spécifiques des trois instruments afin de déterminer l’origine des écarts de sensibilités constatés.

8.1

Définition d’un estimateur du spectre de puissance à partir du

jeu de visibilités

8.1.1 Couverture du plan-uv

Discutons d’abord la question de la couverture des visibiltés dans le plan-uv. Nous utilisons les mêmes définitions qu’aux chapitres 4 et 5, et considérons un interféromètre bolométrique muni de Nh cornets observant le ciel à travers le même lobe B(~n), normalisé par convention de telle sorte

que B(~0) = 1. Dans l’approximation de ciel plat, nous avons vu que les visibilités monochroma- tiques s’écrivent comme une convolution de la transformée de Fourier du champ observé par la transformée de Fourier du lobe (centrée sur la ligne de base correspondante),

VX(~u) = Z

˜

X(~u) ˜B(~u− ~v)d~v = ˜X(~u)⊗ ˜B(~u). (8.1) Il est possible de montrer que la correspondance entre la ligne de base et le multipôle de la décom- position en harmoniques sphériques est donné, dans l’approximation de ciel plat, par

ℓ≃ 2π|~u|. (8.2)

L’angle solide couvert par le lobe de chaque cornet est défini comme Ω =

Z

B(~n)d~n. (8.3)

Il est relié à la fraction de ciel observé par

fsky = Ω/4π. (8.4)

Lorsque nous considérons un lobe gaussien caractérisé par une variance σ2 (et donc de largeur

à mi-hauteur σ × 2√2ln2 ≃ 2.35σ), cet angle solide est donné par Ω = 2πσ2. Si nous faisons l’hypothèse d’une matrice carrée de cornets (figure 5.3), les lignes de base sont elles mêmes dis- posées sur une grille carrée. La séparation minimale entre deux cornets, obtenue en les collant deux à deux, est donnée par leur diamètre. Dans la limite de diffraction, nous pouvons écrire la relation suivante entre la surface des cornets, l’angle solide et la longueur d’onde considéré (cf. chapitre 5) :

SΩ = κ2λ2, (8.5)

avec κ ∼ 1. La séparation minimale est ainsi donnée par 2λ/√πΩ. L’espace entre les visibilités dans le plan-uv s’écrit alors

umin = 2 √ πΩ = 1 πpfsky . (8.6)

Dans le cas considéré d’un lobe gaussien, la transformée de Fourier du lobe est elle-même une gaussienne,

˜

B(~u) = Ω exp −πΩ~u2, (8.7)

de sorte que la résolution dans l’espace ce Fourier est donnée par σu =

1 √

Le rapport entre la résolution dans le plan-uv et la séparation des lignes de base vaut alors umin

σu

= 2√2≃ 3. (8.9)

Nous pouvons en conclure que des lignes de base différentes sont quasiment indépendantes (nous utiliserons cette approximation dans la suite de ce chapitre). En réalité, la distribution du champ électromagnétique s’annule aux bords des cornets et le lobe primaire n’est jamais exactement gaussien. Le lobe dans l’espace de Fourier est tronqué au delà d’un rayon de umin (figure 5.2).

Cela renforce la validité de notre approximation.

8.1.2 Effets de largeur de bande

Nous avons vu au chapitre 6 que l’effet de la largeur de bande est d’élargir le noyau de convo- lution dans le plan-uv, et donc de diminuer la fraction de ciel observée. Nous avons ainsi montré que les visibilités large bande s’écrivent,

VX(~u) = ˜X(~u)⊗ ˜β(~u), (8.10)

où ˜β(~u) est le noyau de convolution défini par l’équation 6.8. Le lobe primaire effectif s’écrit alors simplement

Ωs= β(~0) =

Ω κ1

, (8.11)

où κ1 est le paramètre de lissage, donné par l’équation 6.17. La fraction de ciel effectivement

observée est donc donnée par

˜

fsky = Ωs/4π. (8.12)

La valeur de κ1 restant raisonnable (1.6 pour 25% de largeur de bande et une réponse spectrale

uniforme), la validité de l’approximation faite en 8.1.1 n’est pas remise en cause.

8.1.3 Des visibilités de Stokes aux modes E et B

Dans l’approximation de ciel plat, les champs E et B de polarisation sont reliés aux paramètres de Stokes par une simple rotation de l’angle φ formé par la ligne de base ~u et le référentiel local dans lequel la polarisation est décomposée (cf. par exemple [118]). En terme de visibilités large bande, on peut écrire :

  

VQ(~u) = R hcos 2φ ˜E(~v)− sin 2φ ˜B(~v)iβ(~u˜ − ~v)d~v

VU(~u) = R hsin 2φ ˜E(~v) + cos 2φ ˜B(~v)iβ(~u˜ − ~v)d~v (8.13) La question de la séparation des modes E et B sera abordée au chapitre 9. Pour des raisons de simplicité, nous ferons ici l’hypothèse qu’il est possible d’obtenir un jeu pur de visibilités E et B à partir des visibilités de Stokes :



VE(~u) = R ˜E(~v) ˜β(~u− ~v)d~v

La matrice de covariance des visibilités B s’exprime donc en fonction du spectre de puissance angulaire BB, VB(~u)V⋆ B(~u′) = Z DB(~v) ˜˜ B⋆(~v′)Eβ(~u˜ − ~v) ˜β⋆(~u′− ~v′)d~vd~v′ (8.15) = Z CBB(~v) ˜β(~u− ~v) ˜β⋆(~u′− ~v)d~v (8.16) = δ(~u− ~u′)× Z CBB(~v) ˜β(~u− ~v) 2d~v, (8.17) où nous avons utilisé l’approximation de l’indépendance des lignes de base différentes pour établir la dernière équation. Les visibilités réellement mesurées sont nécessairement bruitées ; si nous faisons l’hypothèse d’une puissance suffisament stable dans l’intervalle de l considéré1,

VB(~u)V⋆ B(~u′) = δ(~u− ~u′)×CBBZ ˜β(~v) 2d~v | {z } =Ωs/2 +N (~u, ~u′), (8.18)

où nous avons fait l’hypothèse raisonnable d’un bruit de mesure non corrélé entre les visibilités2.

8.1.4 Un estimateur de pseudo-spectre non-biaisé et sa variance

L’estimateur non biaisé le plus simple du pseudo-spectre de puissance s’écrit alors (quel que soit le champ considéré T , E ou B) : ˆ Cℓ = 2 Ωs × 1 N6=(ℓ) X β  V(~uβ)V(~uβ)− σ2 V(β)  , (8.19)

où la somme porte sur les N6=(ℓ) lignes de base différentes correspondant à un multipôle ℓ et où les σ2

V(β)sont les éléments diagonaux de la matrice de covariance des visibilités mesurées, donnés

par l’équation 5.63 dans le cas d’un interféromètre bolométrique. La variance de cet estimateur vaut alors : Var( ˆCℓ) = D ˆ C2E− Cℓ2 (8.20) =  2 ΩsN6=(ℓ) 2* X β (V(~uβ)V⋆(~uβ)− σ2V(β))   2+ − Cℓ2 (8.21) = 1 N2 6=(ℓ) X β Cℓ+ 2σV(β)2 Ωs !2 , (8.22)

où nous avons utilisé le développement de corrélations gaussiennes à 4 points en terme de corré- lations à 2 points, ainsi que l’approximation des lignes de base indépendantes (les variances des N6=(ℓ) lignes de base s’ajoutent linéairement). Si l’on suppose pour simplifier que les visibilités

1En pratique, c’est la quantité ℓ(ℓ + 1)C

ℓqui est stable sur de larges intervalles : ce qui suit peut aisément être

modifié en conséquence.

2Les visibilités étant obtenues après inversion d’un système linéaire (chapitre 5), la validité de cette hypothèse

différentes associées au même ℓ sont mesurées avec la même variance σ2

V(β), l’erreur (i.e l’écart

type) faite sur l’estimation du spectre de puissance s’écrit simplement ∆Cℓ = s 1 N6=(ℓ) Cℓ+ 2σV(β)2 Ωs ! . (8.23)

Si l’on considère un intervalle dans le plan-uv de largeur ∆u = ∆ℓ/2π centré sur ~u, le nombre de modes N6=(ℓ) est le rapport entre la surface de la demi-couronne dans le plan-uv π|~u|∆u et la surface effective du lobe dans l’espace de Fourier 2πσ2

uκ1(le paramètre de lissage κ1nous permet

de tenir compte de la largeur de bande) :

N6=(ℓ) = π|~u|∆u 2πσ2 uκ1 = ℓ∆ℓfsky κ1 . (8.24)

Nous obtenons alors la formule analytique simple ∆Cℓ= s 2κ1 2ℓfsky∆ℓ Cℓ+ 2σ2 V(β) Ωs ! . (8.25)

Nous avons vu au chapitre 5 que si la sommation cohérente des lignes de base équivalentes est respectée, la matrice de covariance des visibilités reconstruites par un interféromètre bolométrique s’écrit : σV(β)2 = 2NET 22 sNh N2 eq(β) t . (8.26)

Nous définirons la température équivalente de bruit (NET) dans ce qui suit. L’équation 5.63 donne la variance sur la mesure des parties réelles ou imaginaires des visibilités de Stokes : de là l’origine du facteur 2 supplémentaire dans la variance sur les visibilités complexes que nous venons d’écrire (cf. section 8.2.2).

8.2

Comparaison des sensibilités en imagerie, interférométries hété-