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Le modèle standard de la cosmologie est ainsi fondé sur des bases observationnelles particuliè- rement robustes, si bien qu’il semble difficile d’imaginer une révolution future aboutissant à un changement complet de paradigme. Disons que la description de l’énergie noire est la seule partie du modèle qui semble susceptible d’évoluer radicalement.

Les prochaines décennies pourraient toutefois être porteuses de découvertes majeures qui étof- feraient le paradigme de manière significative. En voici une liste, bien sûr non-exhaustive :

1. Détection directe de matière noire. Les expériences engagées dans cette quête commencent à atteindre les régions intéressantes en terme de masses et de sections efficaces des particules candidates prédites par les extensions du modèle standard de la physique des particules ; une telle détection marquerait un triomphe sans précédent de la cosmologie en ce qu’une de ses découvertes bouleverserait définitivement la physique des particules. Ajoutons que les ex- périences CDMS [81] et Edelweiss [82] ont récemment observé pour la première fois des évènements "candidats" : il est cependant trop tôt pour dire si ceux-ci sont la signature de particules de matière noire ou s’ils résultent de simples fluctuations statistiques du bruit de fond. Cette question devrait être tranchée dans les mois à venir, notamment grâce aux futurs

résultats de l’expérience XENON100 [83].

2. Détection des modes B de polarisation du CMB. Nous développerons évidemment ce point au chapitre 3.

3. Falsification de la constante cosmologique, w(z) 6= −1. Une telle découverte serait bien entendu plus excitante qu’une confirmation à la quatrième décimale de w(z) = −1. 4. Détection de non-gaussianités primordiales. Cette détection marquerait la présence de

processus non-linéaires lors de la génération des perturbations et placerait des contraintes fortes sur les modèles inflationnaires. Comme nous l’avons vu, une telle détection est extrê- mement délicate d’un point de vue expérimental.

5. Modification de la relativité générale à petite ou grande échelle. Il est remarquable qu’après un siècle si riche en observations de toute sorte, la relativité rénérale constitue toujours le socle théorique de la cosmologie. En plus des expériences dédiées à la "tester" à toutes les échelles, de nombreuses études sont constamment effectuées à partir du jeu de données cosmologiques en vue de sa falsification au profit d’extensions minimales paramé- trisées post-newtoniennes. Une récente agitation sur arXiv a mis en relief la subtilité de ce genre d’étude (un article [98] annonçant une falsification a finalement été retiré).

0.0 0.5 1.0 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 Flat BAO CMB SNe No Big Bang

fidence level contours of 68.3%, 95.4% and 99.7

FIG. 2.9: Régions compatibles à 68,3%, 95,4% et 99,7% dans le plan

ΩΛ − Ωmavec les données du CMB, des BAO et du jeu de données

Union SNe Ia, ainsi que leur combinaison (en supposantw =−1), en

2010. Figure extraite de [69].

La tendance est à la mise en place d’expériences de plus en plus coûteuses car de plus en plus complexes aussi bien du point de vue instrumental que de celui de l’analyse des données. Les efforts se portent d’un côté sur les mesures de polarisation du CMB (voir section 3.4.4), et de l’autre sur la détermination de l’équation d’état de l’énergie noire et de son éventuelle évolution (les sondes privilégiées étant supernovae, oscillations acoustiques des baryons et lentillage faible). Certaines voix discordantes s’élèvent pour dénoncer cette tendance "particuliste" de la commu- nauté à concentrer tous ses efforts sur des objectifs trop ciblés ; il faut en effet admettre que les retombées scientifiques des missions labellisées "modes B" ou "énergie noire", seraient, en cas d’échec (i.e. en cas de non détection des modes B ou de non falsification de la constante cos- mologique), assez faibles, pour user d’un euphémisme. C’est d’ailleurs pour ce genre de raison qu’un satellite post-Planck uniquement dédié à la polarisation ne sera probablement pas financé

par l’ESA ou la NASA tant qu’un signal n’aura pas été détecté par une mission sonde pionnière de coût raisonnable (du type de QUBIC par exemple...).

Un autre domaine sans doute amené à prendre une place considérable dans le paysage de la cosmologie observationnelle des trente prochaines années est celui des grands sondages radio de la ligne à 21 cm de l’hydrogène neutre. En raison de l’étroitesse de cette ligne, les interféromètres radios d’une extraordinaire sensibilité tel le SKA, pourront sonder les époques de réionisation par fines tranches de redshift, potentiellement jusqu’à z ∼ 20. Les retombées aussi bien astrophy- siques que cosmologiques (la distinction étant d’ailleurs un peu artificielle ici) sont potentiellement gigantesques. De nombreux problèmes expérimentaux devront d’abord être résolus, comme ceux liés au coût computationnel de telles expériences ou ceux liés à la synthèse d’image (nous discu- terons aux chapitres 4 et 10 des liens conceptuels existants entre l’interférométrie bolométrique dédiée au CMB et la radio-interférométrie).

Ajoutons, pour être complet, que des projets pharaoniques tels que le JWST, LISA ou le E- ELT pourraient apporter, en supplément de la moisson astrophysique pour laquelle ils auront été conçus, leurs lots de surprises cosmologiques.

Le Fond Diffus Cosmologique et sa

polarisation

La description moderne de la théorie du fond diffus cosmologique est basée sur la résolution de l’équation de Boltzmann relativiste dans un espace-temps en expansion. Il ne sera pas question ici de traiter de ce vaste problème aussi complexe d’un point de vue mathématique que d’un point de vue numérique. Nous aborderons plutôt la science du fond diffus par la face réservée aux expérimentateurs : ceux-ci estiment, à partir des cartes du fond, les spectres de puissance angulaire des anisotropies de température ou de polarisation (toute l’information physique y est contenue, en raison de la parfaite gaussianité des fluctuations). Ces spectres ont été théoriquement prédits dans les années 1980, par intégration numérique de l’équation de Boltzmann relativiste (cf. figure 3.4 et [112]). Un remarquable travail analytique [108, 109] a été effectué par Hu et Sugiyama au milieu des années 1990, permettant de séparer et d’appréhender intuitivement les empreintes laissées dans les spectres par chacun des processus affectant les photons du fond, de la génération des perturbations primordiales aux perturbations secondaires sur la ligne de visée, en passant par la physique du plasma primordial.

Nous essaierons ici de suivre cette approche qualitative et de décrire (dans les grandes lignes et sans équation) la physique sous-jacente à la forme des spectres de puissance de température et de polarisation, véritables codex de la cosmologie moderne.