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Accélération de l’expansion et remise en cause du Principe Cosmologique

L’équation d’Einstein est le fondement de notre modèle cosmologique ; elle exprime la manière dont la géométrie de l’Univers (décrite par le tenseur d’Einstein Gµν) est couplée à son contenu

énergétique (décrite par le tenseur énergie-impulsion Tµν),

Gµν = 8πGTµν (2.1)

où G est la constante de gravitation universelle. L’expansion accélérée de l’univers peut être expli- quée en ajoutant un terme −Λgµν dans la partie gauche de l’équation, on parle alors de constante

FIG. 2.5: Gauche : représentation de l’onde acoustique se propageant sous forme de coquille sphérique à partir d’un puit de potentiel gra- vitationnel dans le plasma primordial (crédit D. Eisenstein). Droite : fonction de corrélation attendue dans le régime linéaire pour trois va-

leurs différentes de la fraction de baryon du modèle,fb = Ωb/Ωmen

fonction du rapport de la distance comobiler sur le rayon de la co-

quille acoustique sphérique (s ≃ 150Mpc) ; pour une fraction de ba-

ryonfb = 0.17, on observe un pic à r = s (courbe bleue), alors qu’on

observe une cassure àr = 2s pour un modèle sans matière noire fb = 1

(courbe rouge) ; graphe tiré de [94].

cosmologique, ou en ajoutant un nouveau champ fondamental dans la partie droite, on parle alors d’énergie noire, caractérisée par son équation d’état w = P/ρ (dans le cas d’une constante cos- mologique, w = −1 à toute époque).

Il existe en fait une troisième éventualité qui consiste à changer de métrique ; la métrique du modèle standard est obtenue en simplifiant l’équation d’Einstein grâce au principe cosmologique (homogénéité et isotropie de l’Univers à grande échelle). Une violation du principe cosmolo- gique dans une univers inhomogène conduirait ainsi à une nouvelle métrique, qui dans certaines conditions permettrait de mimer une expansion accélérée. Si la mesure du rayonnement de fond cosmique prouve que l’Univers est isotrope, l’homogénéité du cosmos reste en effet assez hy- pothétique aux échelles plus grandes que celles des meilleurs relevés actuels tels que 2dFGR et SDSS. Pour être plus spécifique, une apparente accélération de l’expansion de l’univers serait ob- servée si nous nous trouvions très près du centre d’un grand vide (dont la taille plus petite que le rayon de Hubble, serait comprise entre 1 et 3 Gpc) : dans ce cas nous verrions les structures, s’effondrant vers les bords du vide, s’éloigner de nous de manière accélérée.

On peut acquérir l’intuition de la faculté qu’a ce genre de modèle à reproduire les observations cosmologiques en considérant la figure 2.6, représentant la dégénerescence entre la constante de Hubble et la courbure de l’univers dans la mesure du spectre des anisotropies de température du CMB ; dans le cas d’un univers fermé où nous aurions estimé à la hausse H0 (parce que nous

serions au centre de la sous-densité), nous aurions par exemple eu tort d’introduire une constante cosmologique.

La métrique Lemaître-Tolman-Bondi (imaginée dès 1933 par Lemaître puis reprise par Tolman et Bondi respectivement en 1934 et 1947), qui décrit un univers inhomogène en couches, est un des modèles simples de la cosmologie inhomogène. Dans un tel univers, les éléments du tenseur métrique dépendent non seulement du temps t, comme dans le cas d’un univers homogène, mais

FIG. 2.6: Modèles compatibles avec les données de WMAP-7 dans le

planΩΛ− Ωm(en supposantw =−1), pour différentes valeurs de la

constante de Hubble (le code de couleur est indiqué à droite du graphe).

La ligne pour un univers plat,ΩΛ+Ωm= 1, représentée en noir, coupe

le jeu de points pourH0≃ 71 km.s−1.Mpc−1. Graphe tiré de [164].

également de la coordonnée radiale r,

ds2 =−dt2+[∂R(t, r)/∂r]

2

1 + β(r) dr

2+ R2(t, r)dΩ (2.2)

La question de savoir si le modèle LTB (ou tout autre modèle d’univers inhomogène) est en mesure de mimer exactement l’accélération de l’expansion occupe à elle seule tout un champ de recherche de la cosmologie théorique contemporaine (les calculs sont autrement plus techniques que dans le cas de la métrique FLRW). Nous nous bornerons ici à considérer la crédibilité obser- vationnelle d’une telle alternative, en la supposant théoriquement possible.

Remarquons d’abord que le rayon rv du vide ne doit être ni trop petit ni trop grand (1 Gpc <

rv < 3 Gpc). La limite inférieure est donnée par les observations des grands relevés, ainsi que

par l’amplitude requise de l’effet. Caldwell et Stebbins [78] ont montré qu’un rayon supérieur conduirait à une distorsion de la distribution spectrale de corps noir du CMB (voir figure 2.7).

L’isotropie de la distribution des supernovae impose par ailleurs aux observateurs (i.e. nous, pauvres Terriens) d’être situés à moins de ∼ 0.15rv du centre du vide ! L’isotropie du CMB place

une contrainte encore plus forte de ∼ 0.02rv (cette mesure étant toutefois dégénérée avec notre

vitesse particulière), voir [80].

Nous constatons ainsi que pour le moment, les modèles d’inhomogénéité reposent sur ce que nous pourrions appeler l’hypothèse du « complot cosmique » :

1. Nous nous trouverions par hasard extrêmement près du centre d’une sous-densité parfaite- ment sphérique, dont le rayon serait justement compris entre la profondeur de nos grands relevés et la surface de dernière diffusion.

2. L’homogénéité et l’isotropie du fond diffus serait une malheureuse coïncidence : les inho- mogénéité à grandes échelles auraient malencontreusement épargné notre coquille de CMB, comme représenté sur la figure 2.7.

FIG. 2.7: L’univers sans constante cosmologique dans lequel nous se- rions situé au centre d’un immense vide (en bleu). Les photons du CMB (lignes jaunes) diffusent sur les points A et B. A, situé à l’intérieur du vide et s’effondrant vers son bord, est en mouvement relatif par rapport au référentiel du CMB, alors que B, situé à l’extérieur est immobile dans ce même référentiel. Caldwell et Stebbins ont montré que que l’aniso- tropie engendrée par effet Doppler dû au mouvement de A résulterait en une distorsion spectrale du corps noir du CMB. Notons au passage le "complot cosmique" : non seulement nous sommes au centre du vide, mais par miracle, aucun vide similaire au nôtre ne croise la surface de dernière diffusion ! Schéma tiré de [78].

Le premier point est souvent souligné, et désigné comme une remise en cause du principe coperni- cien; le second point – porté récemment à mon attention par Ted Bunn – me semble en fait encore plus difficile à admettre !

Le dernier mot sur ces questions pourraient être apporté par des observations de variations des redshifts au cours du temps (cet effet fut prédit par Sandage en 1962 [79]). On peut en effet montrer que le redshift d’une source zs varie durant une petite période ∆t0, d’une manière qui

dépend exclusivement de la métrique :

∆zs= H0∆t0  1 + zs− H(zs) H0  . (2.3)

Un téléscope pharaonique comme le E-ELT pourrait ainsi suivre pendant au moins une dizaine d’année la variation des redshifts, avec la précision suffisante pour trancher définitivement entre les modèles de vides et le modèle ΛCDM [80].