• Aucun résultat trouvé

3.3 Anisotropies de polarisation

3.3.5 Contraintes cosmologiques

Confirmation du modèle cosmologique

Avant d’aborder leurs apports spécifiques, il faut préciser que les spectres TE et EE donnent à eux seuls des contraintes à peu près équivalentes à celles données par le spectre TT sur les pa- ramètres cosmologiques évoqués en section 3.2.5 ; ils ne permettent que marginalement de lever les dégénérescences précédemment décrites. La mesure détaillée récente du spectre EE n’a ainsi pas suscité autant d’excitation que celle qu’avait suscitée en son temps la mesure du spectre de température. Nous voulons pourtant ici insister sur le triomphe que représente pour le modèle cos- mologique standard l’accord si complet entre les mesures réalisées du spectre EE et les prédictions faites à partir du jeu de paramètres obtenu par ajustement sur le spectre TT ; en particulier, on ob- serve bien les anti-corrélations attendues entre les pics et les creux des deux spectres : ceux-ci s’expliquent aisément dans le cadre du modèle standard par le fait que les maximums ou mini- mums du champ de densité correspondent aux valeurs moyennes du champ de vitesse engendrant la polarisation ! Si la mesure des paramètres cosmologiques n’est ainsi pas significativement amé- liorée, le paradigme cosmologique se voit lui renforcé d’une manière incroyable par ces nouvelles mesures.

Rapport tenseur sur scalaire,r

Nous reviendrons sur la définition de cet observable en section 3.4.2. Sa mesure est l’objectif principal de QUBIC ainsi que de l’ensemble des expériences labellisées "modes B". r est défini comme le rapport des spectres générés par les perturbations tensorielles et scalaires, à ℓ = 2. Or, nous avons vu que si les modes de polarisation E peuvent être générés à la fois par les per- turbations scalaires et tensorielles, les modes B peuvent quant à eux seulement être générés par les perturbations tensorielles. Une détection des modes B signerait ainsi de manière directe la présence d’ondes gravitationnelles primordiales générées durant la phase d’inflation. Tant que les modes B n’auront pas été détecté, il ne sera possible que de placer des limites supérieures sur la valeur de r. Il faut préciser ici que la meilleure contrainte est pour le moment toujours donnée par la mesure du spectre de température : la contribution des perturbations tensorielles au spectre TT, très faible aux grand multipôles devient significative aux petits. La précision de mesure à ces échelles étant déjà limitée par la variance cosmique, la limite supérieure donnée par le spectre de température ne pourra pas être améliorée dans le futur.

Réionisation

Les grandes structures de l’univers se forment, après la recombinaison, par effondrement des ba- ryons dans les puits de potentiels de matière noire. Dans le modèle standard, les premières étoiles s’allument après quelques centaines de millions d’années ; leurs émissions ultra-violet réionisent alors les nuages d’hydrogène neutre. L’observation récente de l’effet Gunn-Peterson (figure 3.13) appuie ce scénario : la forêt Lyman-α caractéristique des spectres des quasars lointains, résultante de l’absorption des photons par les nuages d’hydrogène neutre rencontrés sur la ligne de visée, est remplacée pour les quasars lointains (z > 6) par un large creux, signature du fait que l’univers est complètement neutre à ces époques.

FIG. 3.13: Effet Gunn-Peterson. Compilation de 19 spectres de qua- sars mesurés par SDSS par redshifts croissants (de bas en haut), tiré de [96] ; la forêt d’absorbtion Lyman-α, à gauche du pic d’émission Lyman-α est progressivement remplacée par un large creux.

Une partie des photons du fond diffus interagissent de nouveau avec les électrons diffuseurs de la surface de réionisation. Cette diffusion Thomson n’aurait aucun effet si la distribution du fond était parfaitement isotrope, comme nous l’avons vu en 3.3.2 : la probabilité pour un photon d’être diffusé en-dehors de la ligne de visée est identique à la probabilité qu’un photon venant d’une autre direction soit diffusé vers la ligne de visée. L’anisotropie du fond de photons diffusant sur les électrons de la surface de réionisation imprime en fait deux effets notoires dans les spectres.

Le premier est un amortissement de la puissance aux petites échelles. Considérons une ligne de visée dans laquelle la température serait T0+ ∆T en l’absence de réionisation. Après diffusion sur

la surface de réionisation, la température observée est égale à la température initiale, à laquelle on soustrait la température de la fraction de photon diffusée dans une autre direction, et à laquelle on ajoute la température moyenne de la fraction des photons diffusés provenant d’autres directions

(i.e. T0),

T0+ ∆T → (T0+ ∆T )− (T0+ ∆T )(1− e−τ) + T0(1− e−τ) (3.52)

→ T0+ ∆T e−τ, (3.53)

où τ est l’épaisseur optique de la réionisation et (1 − e−τ) est la probabilité pour un photon d’être

diffusé. La réionisation a ainsi tendance à gommer les petites échelles des spectres de puissance, d’une manière très similaire à l’amortissement de Silk.

Zaldarriaga a montré en 1997 [117] qu’un motif très caractéristique (un pic élargi) devait éga- lement être imprimé dans le spectre de polarisation EE aux grandes échelles. Celui-ci provient du fait que les électrons diffuseurs voient un quadrupole de température de fond diffus, exactement de la même manière que nous, observateurs du présent, en voyons un (toutefois, les échelles como- biles responsables du quadrupole observé dépendent de la distance séparant la surface de dernière diffusion de l’observateur). Ce quadrupole engendre, par le mécanisme décrit en 3.3.2, un signal de polarisation additionnel durant l’époque de réionisation. Insistons sur le fait que ce processus de génération de la polarisation est très différent ce celui de la recombinaison, puisque les qua- drupôles ne sont alors pas induits par des perturbations scalaires (c’est à dire par les gradients de vitesse des flux d’électrons tombant dans les puits de potentiels), mais sont littéralement ceux des anistropies du fond diffus cosmologique "observés" à l’époque de la recombinaison.

La position centrale du pic imprimé aux grandes échelles dans les spectres de polarisation, est approximativement donnée par [117] :

lp ≃ 2(√zr+ 1− 1) (3.54)

où zr est le redshift de la réionisation. Ce pic a bien été observé par WMAP, et après quelques

fluctuations, l’estimation du redshift de réionisation est en bon accord avec celle obtenue grâce à l’observation de l’effet Gunn-Peterson.

3.3.6 Contexte expérimental

Le principe des expériences dédiées à la polarisation est très similaire à celui des expériences dédiées à la température. L’objectif est de mesurer les cartes des paramètres de Stokes Q et U, puis d’en déduire les cartes de champs E et B, afin d’estimer les spectres de puissance polarisés. La difficulté supplémentaire réside évidemment dans la faiblesse relative de la puissance des spectres polarisés par rapport à celle du spectre de température.

L’interféromètre hétérodyne DASI fut la première expérience à détecter en 2002 la polarisation de mode E [146]. Le satellite WMAP, et les expériences au sol BICEP [95] et QUAD [138] donnent actuellement les meilleurs estimations de EE et TE à respectivement grandes, moyennes et petites échelles (voir figure 3.14). Le satellite Planck devrait permettre d’obtenir très prochainement un spectre EE limité par la variance cosmique au moins jusqu’à ℓ ∼ 800.

Nous voyons sur la figure 3.14, les limites supérieures placées par les mêmes expériences sur le spectre des modes B. Soulignons qu’à la différence des spectres EE et TE dont le niveau et la forme étaient complètement prédits par le modèle standard et la mesure du spectre TT, l’existence d’éventuels modes B, qui plus est à un niveau détéctable expérimentalement, n’est absolument pas

FIG. 3.14: Combinaisons des mesures des spectres de polarisation (les meilleures contraintes sont notamment données par BICEP, WMAP, et

QUAD). Les spectres théoriques pour un modèleΛCDM avec r = 0.1

sont superposés. Graphe tiré de [95].

garantie par le paradigme actuel3. Un important effort expérimental est actuellement consacré à la

détection des modes B ; nous y revenons dans la section 3.4.4.