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3.4 Inflation et modes B de polarisation

3.4.4 La course expérimentale aux modes B

Un important effort expérimental en vue de la détection des modes B est en cours au sein de la communauté des cosmologistes. L’objectif scientifique des différentes expériences labellisées "modes B" n’est pas toujours le même (modes B de lentillage ou modes B primordiaux). La com- munauté a identifié trois difficultés majeures auxquelles celles-ci devront faire face :

1. L’augmentation de la sensibilité statistique. Les détecteurs (bolomètres pour la grande majorité des expériences) ayant déjà atteint la limite fondamentale du bruit de photons, le seul moyen d’augmenter la sensibilité statistique est d’augmenter le nombre de canaux de détection. Dans l’hypothèse la plus optimiste, des gains d’un facteur 10 et d’un fac- teur 100 seront nécessaires respectivement pour détecter un signal et pour en tirer toute la science. Les canaux de détections (typiquement une chaine cornets-filtres-bolomètres) étaient jusqu’à récemment fabriqués à l’unité. Les instrumentalistes tentent de développer des procédures moins coûteuses de production en série (matrice d’antennes, de cornets, de bolomètres, etc.).

2. La contamination des avants-plans. Les avants-plans n’ont jusqu’à présent pas constitué un problème insurmontable pour les expériences dédiées aux anisotropies de température ou aux modes E, car le CMB restait, aux fréquences d’observation, le signal dominant. Le niveau de polarisation des avants-plans est très mal connu, mais nous pourrions bien nous approcher de la zone critique où ceux-ci domineraient le signal à toutes les fréquences. Il

conviendra alors de les soustraire par des techniques de séparation de composantes ; il y au- rait peut-être ainsi une limite minimale du rapport tenseur sur scalaire mesurable, estimée à r ≃ 0.003 par [159]. Les expériences visant la détection d’un signal aux moyennes échelles – comme QUBIC – ont l’avantage de pouvoir se concentrer sur une zone du ciel où le signal des avants-plans est connu pour être plus faible qu’ailleurs.

3. Le contrôle des effets systématiques. Ce vaste sujet pourrait être à lui seul l’objet d’une thèse. Nous l’aborderons au chapitre 10, où nous proposerons une méthode prometteuse de contrôle/réduction des effets systématiques, très spécifique à l’interférométrie.

Nous donnons à présent une liste non exhaustive des expériences dédiées aux modes B ; certaines sont au stade de projets, d’autres sont déjà financées, d’autres encore sont en phase de prise de données.

Projets au sol

BICEP [160] BICEP utilise 96 bolomètres PSB4 à 100 et 150 GHz avec un design optique constitué de lentille sur axe. L’instrument est installé à la station américaine du Pôle Sud. Il est dédié à la recherche des modes B primordiaux avec une résolution angulaire de 45 arcminutes (30 < ℓ < 300). Il donne actuellement les meilleurs contraintes à ces échelles. Une mise à jour de l’instrument dénomée BICEP2 est en train d’ête mise en place. Cette nouvelle version disposera d’une matrice de 512 bolomètres à 150 GHz, basés sur la nouvelle technologie des matrices d’antennes couplées aux TES5 développée par Caltech. Chacun de ces 512 bolomètres

est constitué d’une paire de deux réseaux d’antennes phasées (un pour chaque polarisation). Le bon lobe synthétique formé par ces réseaux permettrait d’éviter l’utilisation de cornets.

CℓOVER [145] Les fonds de ce projet britannique ont malheureusement été récemment coupés,

alors que la construction de l’instrument était presque achevée. Il devait observer en trois bandes de fréquence (97, 150 et 225 GHz) depuis le désert d’Atacama au Chili et utlisait en tout 576 TES avec une résolution angulaire de 5.5 arcminutes (à 150 GHz) permettant de couvrir la gamme 25 < ℓ < 2000. Une modulation de la polarisation devait être obtenue avec une lame demi-onde rotative.

QUIET [143] Il s’agit d’un instrument original puisque sa technologie de détection n’est pas bolométrique mais cohérente, basée sur les HEMTs (High Electron Mobility Transistors). Ces composants électroniques très rapides permettent une amplification à des fréquences allant jusqu’à quelques dizaines de GHz, et ont été utilisés dans de nombreuses expériences CMB durant les années 1990 (en particulier COBE et WMAP), avant d’être progressivement supplantés par les bolomètres, dont les performances sont intrinsèquement meilleurs à des fréquences supérieures à la centaine de GHz. Au sol toutefois, la différence ne s’avère pas si importante, et la très bonne efficacité optique des systèmes à détection cohérente pourrait compenser la perte de sensibilité

4Les Polarisation Sensitive Bolometers (PSB) sont des bolomètres dont la grille n’est métalisée que dans une seule

direction. Une paire de PSB orientés à 90◦ l’un de l’autre permet ainsi de mesurer le paramètre de Stokes Q par

différence. Ils sont (ou furent) utilisés pour des expériences comme BOOMERANG, QUAD et Planck entre autres.

5Les Transition-Edge-Sensors (TES) sont des bolomètres dont la température est mesurée via la variation de la

résistance dans la zone de la transition Normal-Supraconducteur (la pente y est très raide, ce qui conduit à une grande sensibilité en température).

des HEMTs (en tout cas pour des HEMTs poussés à leur limite de sensibilité théorique). Pour en revenir à QUIET, un pseudo-corrélateur rend possible la reconstruction simultanée des paramètres de Stokes Q et U dans chaque voie. QUIET utilisera la monture de CBI au Chili et sera composé de 1000 récepteurs observant à 40 et 90 GHz. La sensibilité visée est r = 0.01.

Polar Bear L’instrument installé sur la White Mountain en Californie sera constitué au total de 600 TES, observant dans trois bandes de fréquences (90, 150 et 220 GHz). Une modulation de la polarisation est prévue via une lame demi-onde rotative. La résolution de 4 arcminutes permettra de courvir une large gamme de multipôles. L’objectif visé est de contraindre un rapport tenseur sur scalaire de r = 0.015.

QUBIC, voir chapitre 4

Projets en ballon

EBEX [142] L’instrument embarqué sur un ballon sera constitué au total de 1320 TES, observant dans quatre bandes de fréquences (150, 220, 350 et 450 GHz). Une modulation de la polarisation est prévue via une lame demi-onde rotative. La résolution de 2 à 8 arcminutes permettra à EBEX de couvrir les multipoles 20 < ℓ < 2000. Grâce à sa large couverture en fréquence et en multipôles, EBEX devrait être bien placé pour la soustraction des avants-plans et la détection des modes B de lentillage. L’objectif est de contraindre un rapport tenseur sur scalaire de r = 0.02.

SPIDER [144] L’instrument embarqué sur un ballon sera constitué au total de 3000 TES obser- vant dans quatre bandes de fréquences (96, 145, 225 et 275 GHz). Une modulation de la polari- sation est également prévue via une lame demi-onde rotative. La résolution de 40 arcmin environ permettra de couvrir les multipoles 20 < ℓ < 300. Le vol prévu en 2010 visera une contrainte du rapport tenseur sur scalaire de r = 0.01.

Projets satellites

Planck Le satellite de l’ESA a été lancé en avril 2009. Il devrait fournir une nouvelle mesure des spectres de puissance angulaire TT, TE, et EE limités par la variance cosmique au moins jusqu’à ℓ∼ 2000 dans le cas de TT, et ℓ ∼ 800 dans le cas de EE. La durée de la mission nominale est de 14 mois, soit deux couvertures totales du ciel. Planck devrait par ailleurs fournir un catalogue inté- ressant d’amas lointains détectés par effet Sunyaev-Zeldovitch. Les cartes obtenues devraient enfin permettre d’améliorer d’un facteur 10 les contraintes sur les écarts à la gaussianité des fluctuations du fond. Le plan focal du téléscope contient deux instruments : LFI (Low Frequency Instrument) couvrant 3 bandes de fréquence de 30 à 70 GHz et HFI (High Frequency Instrument) couvrant 6 bandes de 100 à 857 GHz. Les détecteurs de HFI sont des bolomètres semi-conducteurs (pour certains des PSB) refroidis à 100 mK par un cryostat à dilution3He4He.

En ce qui concerne les modes B, Planck ne devrait pas être compétitif avec les expériences sol dédiées aux moyennes et petites échelles. Aux grandes échelles, cependant, il atteindra une sensibilité sans équivalent et pourrait ainsi détecter le pic imprimé par la réionisation dans le

spectre des modes B (situé autour de ℓ ∼ 7). Insistons sur le fait que ce pic aurait été imprimé suite à la diffusion des quadrupôles du spectre B dans le référentiel des électrons diffuseurs de la réionisation, et qu’il correspondrait donc bien à un signal de mode B primordial. Dans l’hypothèse optimiste d’une mission étendue de 28 mois permettant quatre couvertures totales du ciel et non limitée par un quelconque effet systématique, un niveau de signal en mode B correspondant à r = 0.03 pourrait être ainsi exclu à 95% de niveau de confiance [149].

CMBPol [63] et BPol [161] Il s’agit d’études préliminaires menées des deux côtés de l’Atlan- tique, sur la faisabilité de lancer un satellite dédié aux modes B (CMBPol a été soumis à la NASA, BPol à l’ESA). Dans les deux cas, les agences spatiales se sont montrées réticentes à la mise en oeuvre de tels projets dans dans un futur immédiat. Le risque d’échec est la principale critique formulée à leur égard ; il faut honnêtement reconnaître que les retombées scientifiques en cas de non détection des modes B seraient particulièrement faibles. Cela laisse donc de la place aux ex- périences sondes plus modestes (sol ou ballon) dédiées à la détection du signal. Une fois ce signal détecté, il ne fait guère de doute que les agences spatiales donneront un caractère prioritaire à l’envoi d’un satellite dédié à une mesure extrêmement précise du spectre BB.

Discussion

La similitude de tous ces instruments sondes dédiés aux modes B (nous n’incluons pas Planck sous cette bannière) est ainsi particulièrement frappante : à l’exception de QUIET, ce sont tous des imageurs s’appuyant sur des matrices de TES, et se reposant, pour le contrôle des effets sys- tématiques, sur une astucieuse stratégie de balayage et une modulation de la polarisation par lame demi-onde en rotation. Il nous semble ainsi qu’une architecture de détection alternative comme celle de QUBIC a toute sa place dans ce paysage expérimental : l’approche originale de contrôle des effets systématiques que nous proposerons au chapitre 10 nous paraît par exemple déjà justifier l’effort de recherche nécessaire au développement d’un tel instrument. Remarquons, pour finir sur une note plus politique, que depuis l’arrêt de CℓOVER, QUBIC reste le seul projet post-Planck

Vers l’interférométrie bolométrique

N

ous voulons dans ce chapitre reconstituer le cheminement historique qui mène de l’expérience de Young au concept d’interférométrie bolométrique et mettre en évidence les liens existants entre les différents types d’interférométrie (optique, radio, hétérodyne et bolométrique dédiée au CMB) ; ces liens, qui ne nous apparaissaient pas si clairement au commencement de cette thèse, jettent un éclairage complémentaire sur l’approche plus formelle qui sera suivie dans les chapitres suivants.

4.1

Interférométrie et astronomie

Le principal intérêt de l’interférométrie en astronomie, que ce soit dans le domaine optique ou radio, est de permettre une résolution équivalente à celle d’un miroir (ou radio-télescope) de dia- mètre équivalent à l’écart entre les instruments combinés. Nous verrons que de ce point de vue, le cas de l’interférométrie dédiée au CMB est particulier, puisque son objectif n’est pas d’obte- nir de meilleures résolutions angulaires que celles permises par les techniques d’imagerie, mais plutôt de profiter de modulations supplémentaires en vue d’obtenir un meilleur contrôle des effets systématiques.