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Chapitre 1 : TELECOMMUNICATIONS ET GOUVERNANCE TERRITORIALE A L'ERE DU

1.1 Un concept central: la gouvernance

1.1.3 Vers une gouvernance territoriale des télécommunications

De nombreux travaux traitent de la gouvernance, qu’il s’agisse de la gouvernance urbaine (Jouve 2003) ou d’autres thématiques, et il serait fastidieux de vouloir en effectuer une synthèse complète. Ces travaux sont généralement axés soit sur les politiques publiques (Gaudin et Novarina 1997 ; Gaudin 1999 ; Duran 2001) mises en place par les États pour administrer les territoires, soit sur la fourniture des services sociaux de base comme l’eau (Richard et Rieu

25 Voir notre ‘’cadre conceptuel’’, pour les détails sur la socioanthropologie des espaces publics africains, notamment

2009), l’électricité, les services de santé (Jaffré et Olivier de Sardan 2003). D'autres travaux portent sur la participation populaire (Hamel et Jouve 2006 ; Bherer 2011) aux initiatives locales de développement (Eyebiyi 2010), la participation politique (Hamel 2001; Harding 2009), les biens communaux et la gestion des ressources naturelles (Harding 1968 ; Ostrom 1990) notamment forestières (Zougouri 2008 ; Venot et Narayanan 2009; Mbairamadji 2009). Quelques travaux interrogent pour leur part la gestion des déchets (Eyebiyi 2010) ou encore les transports urbains (Lombard et Ninot 2010).

En ce qui concerne spécifiquement la gouvernance des villes, le courant de l’Urban regime theory ou théorie des régimes politiques urbains examine la question dans une perspective comparative. Ce courant est animé notamment par Michael Keating (1991), Gerry Stoker et Karen Mossberger (1994), Stoker (1998) ou encore Alan Harding (1991 et 1994). Ces auteurs ont pour point commun d’insister sur les effets structurants du capitalisme et de l’État dans la formation des groupes sociaux, établissant une sorte de néo-pluralisme. Leur théorie repose sur le postulat que les acteurs privés exercent toujours un pouvoir au sein des villes, et ceci indépendamment du degré d’organisation ou des modes d’influence (indirecte, directe) (Le Galès 1995 et 1998). Cette perspective a amené certains tenants de ce courant à parler de régime politique urbain entendu comme étant l’ensemble des arrangements et relations formels et informels entre intérêts publics et intérêts privés soutenant les décisions qui gouvernent les villes (Stone 1989). Il faut aussi reconnaître que cette perspective analytique est davantage liée à l’analyse des villes américaines (Harding 1991) et a été critiquée par Le Galès (1995) en tenant compte des réalités des villes françaises (Le Galès 1998).

Si les analyses de la gouvernance sont multiples (Kooiman 1993; Le Galès 2004) dans la littérature scientifique, la question spécifique de la gouvernance des télécommunications en est un parent pauvre, en dépit de l’actualité certaine de cette thématique. Si les travaux se multiplient sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) et leurs usages en Afrique (Gabas 2004), de manière générale les sciences sociales et humaines sont assez silencieuses en ce qui concerne les télécommunications. Ce secteur reste un parent pauvre autant des études urbaines que des sciences sociales et humaines (notamment francophones) plus largement, en dépit de quelques rares travaux. Ainsi, Kane (2010) en sciences de l’information et de la communication décrit-il suffisamment les processus par lesquels le secteur des télécommunications en particulier s’est structuré au Sénégal; Dieng (2008) analyse les systèmes de télécommunications en mettant l’accent sur leur caractère territorial dans une région périphérique au Sénégal. Le travail de Sutherland (2011a) pour sa part s’est intéressé à

la corruption à travers le mode de gouvernance du secteur des télécommunications au Bénin tandis que Cohen (2003) questionne le cas de l’Afrique du Sud.

Par ailleurs, il y a à souligner que la notion de territoire est polysémique, bien que d’abord géographique. Selon Gumuchian et al 2003), le territoire est « au cœur des enjeux de société en tant que scène où se jouent des représentations en (plusieurs actes) ». L’espace des télécommunications est à rapprocher de la notion d’arène26 mobilisée pour figurer « l’espace

social où prennent place […] confrontations et affrontements » (Bierschenk et Olivier de Sardan 1994), et que les praticiens et théoriciens de la socioanthropologie des espaces publics africains ont repris à leur compte et amendés27. La société n’est pas qu’une scène avec en arrière-plan

un metteur en scène distribuant les rôles à des acteurs sans intentionnalité, sans inventivité. Dans cette perspective à laquelle nous souscrivons, le territoire apparaît comme un espace géographique politisé par l’action et les interactions des différents protagonistes, qui se mobilisent autour d’enjeux particulier et peuvent dans l’arène qui apparaît ainsi négocier leurs relations. Dans le domaine des télécommunications, le territoire répond à ces caractéristiques, en particulier en mettant en présence différents types d’acteurs mu par des logiques particulières, mais qui doivent négocier leurs interactions autour par exemple des infrastructures déjà déployer ou à déployer. Évoquer le principe de précaution au titre du phénomène NIMBY pour réclamer la non installation ou le déplacement d‘une infrastructure comme une antenne d’émission radioélectrique ou l’installation d‘un site de téléphonie mobile s’inscrit dans ce répertoire, tout comme évoquer la non obligation des recommandations de l’ICNIRP.

A notre sens, au-delà d’une « invention du territoire » (Aliès 1980), il s’agit dans le cas des télécommunications davantage d’une production du territoire, dans le sens où la gouvernance territoriale des télécommunications se donne à voir comme un processus à la fois supranational et national/local, combinant diverses échelles d’action, et qui intègre au spatial des dimensions économique, politique, ou même symbolique comme nous le montrons avec la constitution et l’expression d’un capitalisme cognitif autour du développement d’applications mobiles. Ces multiples dimensions, qui font de la gouvernance territoriale des télécommunications, un objet complexe, sont nécessaires à prendre en compte pour élucider les divers types d’enjeux mais aussi les formes d’action variées qui peuvent être mises au jour dans les pays étudiés, le Bénin et le Sénégal, et probablement ailleurs. Aussi, Moine (2006) propose-t-il de considérer le

26 On pourra lire pour une compréhension plus large de cette notion Swartz, Marvin J. (éd.), 1968. Local-level Politics,

Chicago : Aldine Publishing et Bailey, Frederick G. (éd.), 1969. Stratagems and Spoils, London : Blackwell.

27 Lire sur ce point Olivier de Sardan, Jean-Pierre 2011. « L’anthropologie peut-elle être un sport collectif ? ECRIS,

vingt ans après… », in Schareika, Spies, & Le Meur (eds.), 2011. Auf dem Boden der Tatsachen. Festschrift für Thomas Bierschenk, Köppe: Köln (Mainzer Beiträge zur Afrikaforschung, 28 : 31-44.

territoire comme « un système complexe dont la dynamique résulte de boucles de rétroaction qui lient un ensemble d'acteurs et l'espace géographique qu'ils utilisent, aménagent et gèrent ». Par ailleurs, les territoires sont des lieux privilégiés des transformations sociales et technologiques où peuvent s’observer de manière plus ou moins aisée des dynamiques concrètes de gouvernance de services publics divers, qu’ils soient urbains ou non, territorialisés, a-territorialisés ou empruntant aux deux. En témoigne la forte présence des technologies de l’information et de la communication dans la vie quotidienne des populations, mais aussi l’existence de pratiques protestataires (Adams 1996). La logique du marché et l’expansion du néo-libéralisme offrent à l’analyse plusieurs formes d’interrogation, notamment en ce qui concerne les télécommunications et leur insertion au sein des espaces territoriaux, urbains ou non, dans les sociétés postindustrielles ou même celles faiblement ou peu industrialisées. Il va sans dire que l’on se trouve en présence d’un objet par définition a-territorial mais dont la gouvernance internationale est toutefois fondée sur une segmentation territoriale (la régionalisation UIT28) tandis que la gouvernance nationale met en jeux des phénomènes

territoriaux de ségrégation (concentration des équipements dans les zones urbaines qui sont généralement le siège de tous les opérateurs et abritent leurs installations nodales (cœur de chaînes29 pour les réseaux de téléphonie fixe ou PSTN30, Core network31 pour les réseaux de

téléphonie mobile, nœuds de transmission pour tout type de réseau de télécommunications, centres de télédiffusion pour les opérateurs de radiodiffusion, etc.), relais, shelters32 et pylônes

en milieux ruraux). Il apparait donc nécessaire d’interroger de manière empirique cette dimension territoriale des télécommunications en tant que services publics a priori a-territoriaux mais nécessitant l’implantation d‘infrastructures critiques sur des territoires et devant faire face de plus en plus à des contestations notamment en matière de risque potentiel ou perçu des dites installations. Pour cause, l’implantation des infrastructures de télécommunications (téléphonie et Internet notamment), outre de générer la naissance d’activités économiques

28 Il s'agit du découpage du monde en régions pour une meilleure gestion par l'UIT. Voir la figure 1.1

29 Il s’agit généralement d’autocommutateurs centraux. Au Bénin, la plupart des autocommutateurs centraux (encore

appelés des cœurs de chaînes) du réseau téléphoniques fixe sont des autocommutateurs Alcatel de type OCB 283.

30 Public Switched Telecommunications Network ou réseau téléphonique commuté (en français)

31 Il s’agit d’autocommutateurs électroniques de forte capacité et puissance chargés de gérer des réseaux de

téléphonie mobile en assurant principalement les fonctions indispensables de signalisation, d’établissement, de gestion et de supervision des communications. Plusieurs équipementiers opèrent sur ce segment en Afrique. Les principaux dans le monde francophone africain sont le suédois Ericsson, le français Alcatel et les chinois ZTE et Huawei. Il faut ajouter également que les autocommutateurs assurant les fonctions de commutation au titre de nœuds de réseau sont depuis quelques années de plus en plus des softswitchs c’est-à-dire basés sur la technologie IP

(Internet Protocol) bien que leurs fonctions restent les mêmes. Ces derniers écoulent des trafics de plus en plus

élevés réduisant toujours davantage les temps de connexion et rendant davantage fluides les communications en améliorant leur qualité auditive.

informelles33 autour d’activités plus formelles (Loukou 2003), appelle à la responsabilité ou tout

au moins à l’implication des administrations territoriales au niveau local (mairies, communes ou régions). Et ceci, comme dans le modèle français où les collectivités territoriales jouent un important rôle dans la propriété ou la gestion des infrastructures sous la forme d’une régie (Musso 2008), ou alors en sont totalement absentes (cas du Bénin).

Apparu en 1904 dans le traité des télécommunications électriques d’Édouard Estaunié, le terme «télécommunications» a été repris et officiellement consacré par l’Union internationale des télécommunications (UIT) à la conférence de Madrid tenue en 1932, avant d’être inscrit dans la classification internationale des activités économiques des Nations-unies au cours de l’assemblée plénière de 1947 à Atlantic Beach (Musso 2008, 4). Musso (2008) rappelle également que le terme de télécommunications (Estaunié 1904) désigne :

Toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, d’écrits ou d’images, de sons ou de renseignements de toute nature, par fil, radioélectricité, optique ou autres systèmes électromagnétiques. (Musso 2008, 4)

Cette définition perdure encore dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 1997 selon lequel les télécommunications sont entendues comme étant « la transmission et la réception de signaux par tout moyen électromagnétique ».

Le rappel historique de Musso (2008) montre que le secteur des télécommunications est demeuré relativement stable jusqu’aux années 1980 durant lesquelles les politiques de dérégulation ont commencé à remodeler le paysage de leur gouvernance en supprimant le monopole des opérateurs historiques. Cette transformation est également intervenue en Afrique et a été mise en lumière notamment par Kane (2010) pour le Sénégal, Sutherland (2011a) pour le Bénin ou encore Cohen (2003) pour l’Afrique du Sud. Face à la profondeur de cette rupture affectant d’ailleurs la transformation d’un bien réputé public en bien privé pouvant faire l’objet de transactions commerciales et financières à un échelon plus élevé, la définition du secteur s’est brouillée à tel enseigne que l’on commence davantage à utiliser la terminologie de communications électroniques. Cette dernière ambitionne de rendre compte des bouleversements technologiques induits par la mobilisation de l’informatique et des technologies de l’information dans les réseaux traditionnels de télécommunications.

33 Il s'agit par exemple des cabines téléphoniques privées que décrit Loukou (2003) mais aussi des vendeurs de

cartes SIM à la sauvette, des vendeurs de cartes de recharges téléphoniques dans des kiosques par divers «petits» commerçants. Il faut y ajouter les cybercafés et points d'accès privés à Internet lorsque ceux-ci ne sont pas légalement déclarés ou régulés.

Une approche économique et juridique de la question de la gouvernance des télécommunications permet alors de constater les transformations des modes de gestion du secteur, du fait d’une part de l’apport croissant de l’informatique et d’autre part de la mise en œuvre de politiques de dérégulation visant à introduire le secteur privé sur un terrain autrefois occupé exclusivement par l’État. Une autre lecture en examine les risques perçus par les populations, mais sans forcément interroger les mobilisations qui en découlent et qui s’expriment généralement par l’opposition d’associations de consommateurs ou de riverains à l’implantation des pylônes ou autres équipements. Une approche politique privilégie en particulier les questions de souveraineté et les grands enjeux qui existent entre États et industriels et se jouent parfois à l'ombre des règles de l’organisateur et arbitre international que constitue l’UIT.

Les télécommunications regroupent toute communication à distance se faisant par voie électromagnétique. Par ailleurs, au plan technique, les réseaux de télécommunications sont constitués d’équipements et de logiciels conçus par les industriels, de services commercialisés. Comme le soulignent Hughes (1983) étudiant les modern electric power systems, et Gras (1997), le secteur des télécommunications apparaît de manière globale comme un « macro système technique et technologique », un « énorme complexe composé d’institutions, de machines et de connaissances » (Gras 1997, 39). L’approche que propose Hughes (1983; 1986) et Gras (1997) illustre une double dimension. Elle postule d’une part que le secteur est mu par la technique et d’autre part que le pouvoir politico-économique en détermine la gestion. Il en vient, comme Musso (2008) le remarque, que le secteur des télécommunications est organisé autour de la triptyque technique-industrie-système de régulation, plongeant l’objet télécommunications au cœur de relations à la fois économiques, techniques mais aussi politiques, le tout organisé sur des territoires nationaux, transnationaux et mondiaux. La notion de distance, élément central dans les télécommunications, resitue d’ailleurs la place de l’espace pendant que celle des différents enjeux permet de convertir l’espace des télécommunications en des territoires, c’est-à-dire finalement des espaces mobilisés par des logiques d’acteurs variables et intéressées.

Bouvier (2007) éclaire la notion de gouvernance en lien avec celle au pluriel de gouvernances.« À force de mettre en évidence la multiplicité des acteurs, cette dernière ne tend-elle pas à escamoter les pouvoirs décisionnels d’acteurs clés? » (Bouvier 2007, 104) se demande-t-il au sujet de la notion de gouvernance. Or :

La complexité est une réalité sociale largement répandue, qui offre un enrichissement possible de situations; en revanche, elle constitue un frein puissant à l’action collective dans de nombreux cas. Elle appelle de nouvelles pratiques de «gouvernement » des politiques publiques, sociales, culturelles et économiques. La gouvernance se faufile là, en filigrane, comme une nécessité naturelle conséquence des évolutions sociétales. (Bouvier 2007, 105)

Tout comme Bouvier (2007), il semble indéniable que l’examen de la notion de gouvernance implique un détour obligatoire par la question du rôle de l’État. En effet, les interactions entre le local et le global, les décisions politiques et leurs impacts sur la vie quotidienne des cités et des citoyens, les imbrications entre réseaux marchands et industriels et réseaux d’acteurs sociaux politiques ou apolitiques, constituent d’innombrables situations qui impactent la fonction complexe de la gouvernance. Par ailleurs, il est quasiment impossible de ne pas intégrer dans l’analyse un fonctionnement multi-acteurs, supposant des logiques et rationalités complexes complémentaires ou en opposition, parfois parallèles parfois se croisant, lorsqu’on parle de gouvernance d’une organisation comme l’État. De plus, dans les territoires, la gouvernance de l’État se manifeste à au moins trois niveaux : l’impact des politiques globales, l’impact des politiques locales et l’impact des acteurs non institutionnels comme les groupes d’intérêt. Ces derniers n’appartiennent ni à la structure dirigeante de l’État central ni à celle de l’État local. À cette échelle également, il n’est pas exclu que différents niveaux d’acteurs existent au sein de chacune de ces catégorisations, sans oublier les groupes d’acteurs externes.

Au terme des études de cas menées pour interroger le concept de gouvernance, Rouillard et Burlone (2011) estiment en conclusion que l’État et la société civile se retrouvent « sous le joug de la gouvernance ». Cette perspective semble dénier toute possibilité d’action à l’État et à la société civile, comme si ces deux entités se laissaient passivement structurer par des acteurs d’une échelle supérieure. Cette hypothèse semble peu plausible si on tente de la transplanter dans un environnement d’intérêts lucratifs et sociaux comme celui des télécommunications. Et ceci, en particulier dans les contextes politiques des Suds, où les pressions externes submergent parfois l’État, sans occulter la présence de dynamiques nationales propres. S’il n’est pas exclu que des dispositifs supra nationaux et même nationaux « enserrent » dans le cadre d’une approche processuelle, institutionnelle et organisationnelle les modes d’expression de la gouvernance dans différents domaines, il semble aussi productif de postuler qu’une nécessaire marge de manœuvre peut naître des interactions entre les acteurs et favoriser une redéfinition des positions.

Si les travaux empiriques, disons par fragments, sont de plus en plus prisés dans la recherche scientifique pour permettre une appréhension fine de la complexité, il va sans dire que ces auteurs semblent suggérer (involontairement?) que l’État et la société civile seraient comme des forces subissant la loi de la gouvernance, peut-être de la gouvernance économique relevant purement des forces du marché. Or, il est évident que les groupes sociaux ne se laissent pas structurer sans tenter de réagir. Les analyses de Crozier et Friedberg (1977) ont d’ailleurs permis de fonder, sous réserves des critiques formulées à l’encontre du modèle crozierien de l’acteur et du système, l'idée que l’acteur dispose toujours d’une certaine marge de manœuvre. Cette marge de manœuvre lui permet d’influer (ou de tenter au minimum d’influer) sur la situation qui se présente à lui dans un cadre organisationnel.

Par hypothèse, il est possible évidemment de penser que les différents acteurs en présence dans un cadre de gouvernance des télécommunications ne se laissent pas dicter toutes les lois par le marché. Nous postulons que le poids de l’un ou l’autre des acteurs en présence tend à être stratégiquement contrebalancé par tout ou une partie des autres acteurs. Certes, l'hypothèse de fond dans ce projet suggère que l’État et le marché s’associeraient pour minorer le rôle de la société civile ou même l’expulser du modèle établi de gouvernance. Mais ceci ne veut pas signifier que nous adoptons une posture antithétique à celle de Rouillard et Burlone (2011). Au contraire, ceci voudrait montrer que, en matière de télécommunications mobiles, la nature des enjeux fait que si la société civile est passablement en situation de faiblesse elle tente justement de revenir dans le modèle soit à des fins de représentation politique, soit à des fins tout à fait culturelles et sociales. Ceci permet de renforcer notre approche de la construction de la gouvernance territoriale, élaborée essentiellement à partir de l’analyse des télécommunications mobiles. Pour cause, la production de contenus numériques, œuvre de développeurs pour la plupart, pour l’heure ne semble relever d’aucune politique publique établie dans le secteur, mais plutôt d’initiatives libres véritablement issues de groupes d’intérêt divers parfois appuyés par des forces du marché, parfois évoluant seuls.

Au plan de la construction théorique, la gouvernance territoriale des télécommunications, en tant qu’objet de recherche, peut donc être un concept opératoire. Ce concept permet d’intégrer dans le débat entre État, marché et groupes d’intérêt, autour des télécommunications mobiles, une dimension tout à fait nouvelle : l’action autonome mais volontariste/volontaire d’acteurs sociaux non étatiques et non membres commerciaux dans le cadre d’interactions plus larges. Ces interactions qui définissent un espace propre de régulation entre les différents acteurs

pourraient alors être examinées au moyen d’une part des groupes d’intérêt et d’autre part grâce aux mobilisations citoyennes qui prennent corps dans le secteur des télécommunications.