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Chapitre 4 : TELECOMMUNICATIONS ET CONSTRUCTION DES «ESPACES

4.1 Déploiement d'infrastructures et rayonnements non ionisants : controverses et mesures

4.1.1 Les rayonnements non ionisants et l'ouverture des controverses

4.1.1.1 Les rayonnements non ionisants

Les rayonnements non ionisants sont des ondes électromagnétiques caractérisées par une bande de fréquence porteuse123 allant de 0,1 MHz à 300 GHz. Ce type de rayonnement est dit

non ionisant (f < 3.1015Hz) (Brillaud et de Sèze 2006, 107-108) notamment en raison de son

incapacité supposée à nuire manifestement aux tissus humains. Ils sont générés par la plupart des objets modernes dont notamment les téléphones mobiles et tout type d'appareil électromagnétique, exposant l'humain à un bain électromagnétique permanent. Cependant, les RNI ne dégagent pas d'énergie suffisante pour modifier la structure d'un atome ou d'une molécule par éjection d'un électron, contrairement aux rayonnements ionisants, dont l'énergie est suffisante pour ioniser les atomes ou molécules (Encyclopedia Universalis 2000 ; Marzouk 2007).

L'évaluation de l'exposition au champ électromagnétique s'effectue en mesurant le champ électrique à l'aide de sondes spécifiques à la dosimétrie124 des systèmes à exposition. Or, cette

mesure ne permet pas d'exprimer la puissance réelle absorbée par le sujet (Goeury et al. 2006). Aussi, utilise-t-on le débit d'absorption spécifique (DAS)125 [en Watts/Kg], soit « le débit avec

lequel l'énergie rayonnée sur l'ensemble du corps ou sur une partie quelconque du corps est absorbée par unité de masse du tissu du corps » (ARCEP, Décret 2015). Dans les réseaux mobiles (notamment les réseaux cellulaires), le DAS d'un appareil mobile est une fonction de la distance à laquelle se situe de l’antenne, l’appareil mobile, et des caractéristiques électriques de l'antenne (notamment la fréquence, l'intensité et la polarisation)126. Dans les économies

suffisamment régulées, le DAS figure sur les appareils électromagnétiques et équipements

123 En télécommunications, la porteuse est une onde généralement de forme sinusoïdale qui transmet l'information.

Elle est caractérisée notamment par une fréquence plus élevée que le signal d'entrée.

124 Il s'agit des procédés permettant de déterminer l'énergie reçue par unité de masse, par un corps ou un organisme

suite à son exposition à des rayonnements non ionisants.

125 Exprimé en watts par kilogramme de tissu (W/Kg)

126 On y ajoute par ailleurs la position du sujet absorbant, la forme des corps, les propriétés électriques du corps, etc.

Des détails utiles et accessibles aux non spécialistes sont disponibles ici: http://www.ilocis.org/fr/documents/ilo049.htm

potentiellement émetteurs de RNI, et ceci après des mesures effectuées en laboratoire. Ceci permet aux consommateurs de pouvoir d'un point de vue à tout le moins déclaratif, apprécier le niveau potentiel d'exposition auquel ils pourraient être soumis en utilisant le matériel concerné, en l'occurrence le téléphone portable dans le cas des réseaux mobiles. Au Bénin, la régulation n'a pas encore atteint ce niveau d'exigence légale ni de raffinement quand bien même l'Autorité de Régulation a commencé depuis quelques années à en faire cas dans l'étude des dossiers d'agréments d'équipements.

4.1.1.2 Les controverses

L'intérêt des Autorités de régulation, des utilisateurs du téléphone mobile et plus largement des associations de consommateurs pour les RNI relève d'une question de santé publique. Autrement dit, l'exposition humaine (prolongée) aux RNI, même à de faibles puissances, pourrait-elle avoir une incidence notable, pour une durée plus ou moins longue, sur les organes et tissus humains? La controverse née de ces suspicions va s'ancrer sur des études (et des contre études) menées au niveau international. Parmi les plus connues figurent l'étude Interphone (Cardis et al 2007; Interphone Study Group 2010) et l'étude Mobikids127. Elles sont

toutefois marquées par diverses polémiques entre ceux qui soutiennent l'existence d'un effet néfaste sur la santé humaine et ceux qui défendent au contraire l'innocuité des RNI. Après dix ans d'attente, l'étude Interphone ne permettait pas clairement de trancher la question. Le sentiment de certains consommateurs est résumé par Cécile Dumas de Sciences et avenir.fr : «La plus importante étude épidémiologique jamais menée sur l’usage du téléphone portable et la santé ne montre pas de risque accru de cancers mais ne permet pas de dire que ce risque n'existe pas » (Cécile Dumas, 18/05/2010)128.

Si les conclusions de l'étude Interphone constituent parfois des références pour certaines autorités politiques, elles ont toutefois été, comme la plupart des autres études, sujettes à de nombreuses critiques dans le monde scientifique, notamment pour des questions méthodologiques. Les conditions de leur réalisation, les conditions de rédaction des rapports et les pressions éventuelles sur certains scientifiques dont les avis n'auraient pas été pris en compte font également partie des bémols que certaines voix discordantes n'hésitent pas à

127 Voir les détails dans le paragraphe réservé à l'étude Mobikids, dans les pages suivantes.

128 Pour davantage de détails concernant l'analyse de Cécile Dumas, se référer au site

http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20100518.OBS4128/conclusions-rassurantes-et-decevantes-pour-l-etude- interphone.html

soulever. S'il est trop tôt pour évoquer une certaine théorie du complot, il va sans dire que les positons restent assez campées : les opérateurs et les Autorités de régulation s'arcboutent sur la difficulté des institutions internationales à affirmer ou infirmer le caractère nocif des RNI alors même que le principe de précaution (Sand 2000; Kheifets et al 2001) demeure parfois assez exacerbé dans les pays occidentaux. Dans le même temps, la société civile ne cesse d'affirmer cette nocivité, sans pour autant en apporter la preuve, criant à un alignement des institutions internationales sur les intérêts financiers colossaux des multinationales.

Le projet Mobikids129, financé par l'Union européenne de 2009 à 2014 et conduit par le Centre

for Research in Environmental Epidemiology (CREAL) de Barcelone a étudié les risques de tumeurs cérébrales liés à l'utilisation du téléphone portable durant l'enfance et l'adolescence. Il s'agit d'une enquête épidémiologique multi pays et prospective destinée à évaluer, sur la base de cas/témoins, le risque potentiel de tumeur cérébrale chez l’enfant et l’adolescent lié à l’exposition aux champs électromagnétiques générés par les téléphones mobiles et par d’autres sources d’exposition dans leur environnement (Rémen, Delmas, Hours et Lacour 2014). Similaire à Interphone, l'étude MobiKids est partie du constat de la modification des usages du téléphone mobile avec notamment une forte population de jeunes et d'adolescents devenus usagers de cet outil technologique. Les jeunes n'étaient pas couverts par l'étude Interphone. L'appui de l'Union européenne souligne la montée des préoccupations liées aux RNI dans la sphère politique et communautaire européenne. Cette préoccupation est d'ailleurs renforcée par le fait que le Bureau International du Travail (BIT) ait dédié sur un portail en ligne un chapitre entier à la question des rayonnements ionisants dans son « Encyclopédie de sécurité et de santé au travail du BIT ». 130

Par ailleurs, les travaux de Hug, Röösli et Rapp (2006), basés sur huit études parues entre 2000 et 2005, affirment l'existence d'un risque élevé de maladies neurodégénératives. En d'autres termes, il y a un risque de démence à en croire ces études « oubliées ». Pour ces auteurs, les huit études examinées n'ont pas été incluses dans le rapport de l'International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP)131. Le filtrage supposé des informations par l'ICNIRP

est ainsi présenté par différentes sources comme une volonté de ne pas bousculer le consensus implicite existant entre les opérateurs et les institutions étatiques. Les premiers profiteraient de la zone grise existante pour continuer à maximiser leurs profits tandis que les seconds en tireraient des taxes, impôts et autres avantages pouvant inclure des pots-de-vin provenant des

129 D'amples détails peuvent être obtenus sur www.mbkds.com/ 130 Voir le chapitre 49 sur http://www.ilocis.org/fr/contilo6.html 131 Davantage de détails sur www.icnirp.org/

opérateurs. Ceci n'est pas sans rappeler la corruption évoquée dans le secteur par Sutherland (2011a).