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Chapitre 4 : TELECOMMUNICATIONS ET CONSTRUCTION DES «ESPACES

4.4 Le principe de précaution et les espaces de la peur

4.4.2 Aux politiques de précaution

Les politiques de précaution en matière de prévention ou de prise en charge des effets de proximité de type NIMBY peuvent être fondés sur quatre éléments : les limites d'exposition, le statu quo, les sommes investies et des objectifs non quantifiables. Parfois, les trajectoires réglementaires des États peuvent suivre tout ou partie de ces différentes formes de politiques de précaution. Le Bénin, comme la plupart des pays de la sous-région ouest-africaine, a d'abord engagé une politique de précaution fondée sur le statu quo avant d'évoluer progressivement vers une définition de limites d'exposition dans un cadre réglementaire encore inachevé.

Mis en œuvre notamment par les États-Unis dans un contexte fortement capitaliste et libéral, aucune limite nationale n'est établie en ce qui concerne l'exposition aux ondes électromagnétiques dans un cas de politique de précaution fondée sur le statu quo. Par contre, certains États adoptent librement des mesures limitant l'exposition aux abords des lignes électriques145. S'il est difficile d'affirmer que le statu quo relève d'une politique intentionnelle de

régulation des RNI, il n'en demeure pas moins que le statu quo prévaut dans nombre de pays de la sous-région, et n'a commencé à prendre fin que récemment, en particulier en 2015 avec le décret N°2015-490 portant sur les RNI au Bénin. Le basculement va s'opérer au cours des années 2010 avec une conjonction d'intérêts entre la montée des associations de consommateurs qui s’opposent à la multiplication des infrastructures dans le domaine des télécommunications et le désir de l'ATRPT de combler un vide réglementaire en la matière et de contrôler et discipliner les installations de sites radioélectriques des opérateurs. C'est donc une conjonction d'intérêts facilité par une volonté interventionniste et de contrôle du régulateur qui préside à la migration vers une politique de précaution fondée sur l'établissement de valeurs limites d'exposition.

Généralement dans ce type de politique de précaution, des niveaux différentiels d'exposition aux champs électromagnétiques peuvent être définis et ne pas du tout suivre les recommandations de l'ICNIRP146. La marge de manœuvre des États dans ces cas prend le pas sur les

145 Ces limites, établies par voie réglementaire dans certains États comme la Floride, et par des recommandations

informelles dans d’autres États comme le Minnesota, sont de l’ordre de 10 kV/m dans le couloir de la ligne, de 2 kV/m sur les bords du couloir pour les champs électriques et de 1 525 µT (sous certaines conditions de charge maximum) pour les champs magnétiques. Voir Kheifets et al (2006) pour davantage de détails.

146 Kheifets et al. (2006) rappellent qu'en 1999, la Suisse a limité par ordonnance l’exposition aux champs

magnétiques dus aux installations telles que les lignes aériennes et souterraines de transport d’électricité, les sous- stations, les postes, les transformateurs, les installations électriques domestiques, les chemins de fer, les installations de transmission et les radars. Voir aussi Swiss Federal Council, 1999. Ordinance relating to Protection from Non-

recommandations de l'ICNIRP. Ainsi, les crèches, garderies et lieux fréquentés par les enfants peuvent être soumis à des taux limites plus faibles, tel qu'illustré par la catégorisation entre les établissements (écoles maternelles, hôpitaux, clinique de santé, etc.) et les sources d'exposition qu'entérine le décret N° 2015-490 au Bénin. La législation au Bénin catégorise, quoique indirectement, les populations en mettant en avance leur degré de fragilité. Elle reproduit un ensemble dit de « bonnes pratiques » internationales collectées sur la base du benchmarking. Ces pratiques voudraient ainsi que systématiquement les lieux de vie fréquentés par des personnes dites sensibles soient protégées autant que possible du bain électromagnétique des télécommunications.

Ces différentes politiques ne traduisent pas forcément l'adoption d'une ligne claire des pouvoirs publics face à la question des RNI. Ainsi, peut-on retrouver les traces de plusieurs de ces politiques au même moment dans un pays. Par exemple, le Bénin a procédé à la catégorisation des populations avant de fixer ses valeurs limites, tout autant qu'il a adopté le statu quo sur les limites d'exposition en reproduisant des normes produites ailleurs, au motif du benchmarking. La cohabitation de règles multiples, et parfois antagonistes, n'est pas nouvelle dans l'élaboration des politiques publiques d'autant plus que l'absence de politique claire peut parfois être assimilée stratégiquement à une politique de l'absence comme énoncé précédemment.

Le modèle de précaution en œuvre de facto au Bénin tout comme au Sénégal relève à première vue d'une politique fondée sur l'établissement de valeurs limites d'exposition. En effet, le Bénin a entrepris sous l'impulsion de l'ARCEP, une réflexion destinée à établir des valeurs limites d'exposition, sur la base desquelles différents équipements peuvent être homologués. Comme souvent dans ce type d'activité, le recours à la consultance reste dans les pays ouest-africains (et probablement ailleurs) l'une des modalités principales d'initiation des réformes. Le benchmarking a été l'une des voies pour fixer ces valeurs-limites. En d'autres termes, dans des environnements où la recherche technologique est peu ou pas développée, comme au Bénin, de nouvelles études scientifiques n'ont pas été menées pour définir les valeurs seuils : le benchmarking a permis de figurer par comparaison de pratiques les valeurs à insérer dans le cadre réglementaire alors même que les valeurs seuils utilisées par différents pays connaissent parfois d’importants écarts. Avec sa généralisation, le benchmarking, est devenu un important outil de gouvernance aux mains des consultants divers, tout en évitant aux agences publiques comme les Autorités de régulation, d'investir massivement dans une recherche a priori onéreuse. Il apparaît qu'il est en l'espèce une copie de mesures appliquées dans d'autres contextes et ceci indifféremment de la nature du contexte de base. La différenciation des

contextes sociologiques et économiques, mais aussi technologiques et sanitaires reste peu prise en compte par les pratiques du benchmarking alors même que les missions de la plupart des Autorités de régulation incluent un volet recherche lié au développement du secteur. Dans tous les cas, le raccourci du benchmarking appliqué par des cabinets de consultance, a permis au projet de régulation des RNI au Bénin d'établir des normes servant de référence et de guide aux opérateurs de télécommunications et aux prestataires commercialisant des appareils pouvant potentiellement émettre des RNI, autrement dit tout appareil utilisant des fréquences relevant des domaines civil et militaire147.