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3. Un discours normatif

4.1. Une veille du discours législatif

Par contre-culture nous entendons la definition de Keneth Westhues : « Une contre-culture constitue un ensemble de convictions et de valeurs en opposition aux normes, valeur et pratiques de la culture dominante.220 » Le but d’une contre-culture n’est pas de renverser le pouvoir en place,

218 Par sphères publiques nous entendons la definition retenue par Emma Goyette : « l’etendue des

institutions, groupes et medias formant les sphères publiques de leurs discours, actions, representations et critiques. » dans Emma GOYETTE, « L’invisibilite lesbienne dans la sphère publique (mediatique) : pratiques et enjeux d’un identite proto-politique » . (memoire), [En ligne] URL :

http://www.commposite.org/index.php/revue/article/view/195/162, consulte le 07 janvier 2015

219 Emma GOYETTE, Ibid.

220 Kenneth WESTHUES in Claude CHASTAGNER, Révoltes et utopies : Militantisme et contre-culture

mais de remettre en question l’autorite et « les contraintes imposees a l’epanouissement de l’individu221 ». En produisant notamment un discours en opposition avec les normes, Lesbia Magazine devient un porte-parole d’une critique de la societe. En d’autres termes, la revue place la culture populaire et l’espace politique en position d’accuses.

Selon Michel Foucault, ce serait une erreur de considerer que le contre-discours ne serait qu’une enonciation contraire au pouvoir en place. En verite, il existe une multitude de discours, des « elements discursifs222 » qui, selon les contextes, les rapports de forces, les enonciateurs etc, prennent une signification differente. Un discours peut donc être reutilise avec une nouvelle signification : il s’agit d’un « discours en retour »223.

L’apparition au XIXe siècle, dans la psychiatrie, la jurisprudence, la littérature aussi, de toute une série de discours sur les espèces et sous-espèces d’homosexualités, d’inversion, de pédérastie, d’hermaphrodisme psychique', a permis à coup sûr une très forte avancée des controles sociaux dans cette région de “perversité” . mais elle a permis aussi la construction d’un discours 'en retour' : l’homosexualité s’est mise à parler d’elle-même, à revendiquer sa légitimité ou sa “naturalité”, et souvent, dans le vocabulaire, avec les catégories par lesquelles elle était médicalement disqualifiée.224

Lesbia Magazine peut donc être perçu comme un espace où la parole des « contre-public subalternes225 » est liberee. La revue peut ainsi, soit produire des « contre-discours », soit en être le

relais. L’usage du terme lesbophobie226par les redactrices, a la fin des annees 1990, en est un bon

221 Kenneth WESTHUES ibid

222 Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, I, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p.133.

223 Michel FOUCAULT, Ibid p.134-135.

224 Michel FOUCAULT, Ibid p.134-135.

225 Nançy Fraser, « Repenser la sphère publique : une contribution a la critique de la democratie telle qu’elle existe reellement », in Crag CALHOUN (dir.), Habermas and the Public Sphere, Cambridge, MIT Press, 1992, p.109-142 .

226 Comme le definit SOS Homophobie, la lesbophobie est « (…)une forme de stigmatisation sociale a l’egard des lesbiennes ou des femmes considerees comme telles. Elle se traduit par des prejuges negatifs (…), des agressions verbales telles que des insultes, menaces, moqueries, des agressions physiques (coups,

blessures, viols, meurtres…) et de la violence psychologique. Elle se manifeste aussi par des

discriminations (refus de services, de RTT…) et ce, dans tous les domaines de la vie : espace public, famille, ami-e-s, travail, voisinage, sante…

Yohann ROSZEWITCH (dir.), enquête sur la visibilité des lesbiennes et la lesbophobie 2015 . Merculès, SOS homophobie, 2015, p.80.

exemple. Cet acte s’inscrit en effet dans un mouvement pour la reconnaissance des crimes caracterises en tant que « lesbophobes 227» (notamment dans la legislation française) et donc dans une forme de resistance au pouvoir qui nie les specificites liees aux actes et insultes envers les lesbiennes.

À la fin des annees 1990, le terme « lesbophobie » est employe dans un rapport realise par la CLF (Coordination des lesbiennes en France) : Rapport détaillé sur la Lesbophobie dans le monde. Cette action vise a souligner, et donc reconnaître, l’existence d’une stigmatisation sociale specifique aux lesbiennes, a la fois en tant qu’individu femme, mais egalement en raison de leur homosexualite. En nommant le stigmate, la CLF a permis d’investir les debats et de relayer une parole sur une realite jusque-la englobee dans le terme « homophobie ». Lorsque les redactrices de Lesbia Magazine utilisent le terme « Lesbophobie », elles prennent part au mouvement pour sa reconnaissance legislative228 et fournissent un contre-discours dans lequel cette forme distincte d’homophobie est admise et reconnue. L’usage de lesbophobie est un exemple (parmi une multitude) de critiques envers le discours legislatif, critiques que l’on retrouve egalement avec des rubriques telle que la « Revue de presse » :

États-Unis, Enfin un juge compréhensif !229 Un juge de Miami a estimé récemment qu’un couple d’homosexuel avait le droit d’adopter deux enfants dont il avait la garde depuis quatre ans, une décision qui défie la législation de Floride. Libération.230

Islande, Un grand bravo !231 La nouvelle Première ministre islandaise, la sociale- démocrate Johanna Sigurdardottir, 66 ans, est la première femme à diriger un gouvernement en Islande et la première dirigeante au monde à afficher son homosexualité. En Islande, son homosexualité n’est absolument pas un sujet de discussions. Son équipe est la première à respecter le principe de la parité hommes-femmes et quelque 73 % des Islandais lui font confiance. Les élections anticipées ont été fixées au 25 avril 2009.

227 Ce dit d’actions ou encore d’insultes relevant de la lesbophobie. Cf note de bas de page n°130.

228 Notons par ailleurs que si le terme homophobie est inscrit dans la legislation ce n’est pas le cas des termes plus specifiques tel que « lesbophobie » ou encore « transphobie » malgre plusieurs propositions de lois sur le sujet portes notamment par le CLF.

229 En gras dans le texte.

230 Anne Rohmer, « Infos revue de presse », Lesbia Magazine, n°288, janvier 2009, p.12. 231 En gras dans le texte.

Libération, Le Figaro, Courrier International…232

Espagne. La loi ne peut venir à bout de tous les maux. Au moins 70 femmes ont été tuées par leur ex-conjoint en 2008. La part des étrangères touchées augmente. Les tribunaux sont débordés. La chronique des violences faites aux femmes est quasi quotidienne dans la presse espagnole depuis que le pays s’est doté, en décembre 2004, d’un loi contre la violence conjugale (…) Le Monde/Libération.233

Certains mois la « Revue de Presse » peut atteindre jusqu’a six pages doubles, elle n’est donc pas limitee dans l’espace et augmente en fonction de l’actualite du moment. De plus, en 2009, les redactrices precisent sous chaque encart dans quel media generaliste l’information peut être retrouvee. Parfois, l’actualite est relayee dans differents journaux (l’annonce des elections en Islande234 par exemple) et dans la plupart des cas, l’information ne provient que d’un seul quotidien. Ces renseignements informent non seulement du type de journaux dans lequel les nouvelles L.G.B.T. ont le plus de chance d’être relayees (Libération, Courrier international et Le Monde sont les plus cites), mais aussi du peu de couverture mediatique generaliste que reçoit l’actualite feministe et lesbienne.

Une telle vigilance accordee a l’actualite legislative et politique souligne l’histoire des penalisations qui marquent le cheminement des communautes homosexuelles, et la fonction contestataire qu’occupe notre mensuel. En critiquant ouvertement tel ou tel projet de loi ou en soulignant les manquements politiques concernant les minorites sexuelles, mais aussi le respect des droits des femmes, Lesbia Magazine tente de façonner peu a peu la societe par son rôle non- conformiste.

232 Anne Rohmer, « Infos revue de presse », Lesbia Magazine, n°288, mars 2009, p.12.

233 Anne Rohmer Ibid.