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La variation est-ouest : une réponse à la géographie et aux glaciations

Dans le document L'Arctique en mutation (Page 83-88)

Afin de comprendre la variation est-ouest qui affecte la végétation, il faut interroger l’his- toire de l’Arctique qui nous apprend que les pôles sont, climatiquement, les parties les plus dynamiques de la Terre. Les alternances entre des climats chauds et froids durant les temps géologiques ont été, dans les régions polaires, amplifiées pour deux raisons principales : d’abord à cause des régimes de circulation atmosphérique qui transfèrent la chaleur vers le nord et ensuite à cause des effets de rétroaction liés à l’albédo de la neige et de la glace (Ruddiman, 2001). L’Arctique a connu des périodes très chaudes (avec des forêts luxuriantes et des dinosaures il y a 100 millions d’années) et des périodes très froides au cours desquelles il était couvert de glace en presque totalité. Pour les quelques derniers millions d’années, les cycles climatiques glaciaires se sont produits environ tous les 100 000 ans. Ces cycles gla- ciaires originaires de l’Arctique étaient suffisamment puissants pour modifier complètement la végétation, jusque dans des zones non directement touchées par les glaciers (Lozhkin et al., 2007). Ainsi les communautés végétales climaciques de l’arctique ne sont pas stables. La vé- gétation que nous connaissons aujourd’hui est le résultat de populations floristiques répon- dant à des conditions climatiques qui ont fluctué sur plusieurs échelles de temps différentes (Brochmann et al., 2007) : le réchauffement depuis le dernier maximum glaciaire (-21000 ans), le réchauffement depuis le Petit Âge Glaciaire (-400 à -200 ans), et plus récemment, le réchauffement d’origine anthropique.

Suite à de multiples évolutions, la flore arctique est aujourd’hui un dérivé relativement jeune de la flore boréale (Bliss et al., 1980, Yurtsev, 2004). Les conditions que nous reconnaissons maintenant comme arctiques se sont développées il y a 3 à 5 millions d’années quand le dé- troit de Béring s’est ouvert (Marincovich et Gladenkov, 2001). Les plantes qui ont colonisé le nouvel Arctique étaient des espèces, telles les plantes alpines, pré-adaptées au climat froid. Ces plantes, adaptées aux courtes saisons de croissance, poussent dans des endroits exposés, balayés par le vent, sans neige, sur des sites généralement pierreux ou humides, propices aux accumulations de neige sous forme de congères (Yurtsev, 2004). Les plantes qui se sont im- plantées avec succès dans ce type de climat étaient suffisamment réduites en taille pour leur permettre de tirer profit de la couche située près de la surface du sol qui est la plus chaude en été et qui est généralement recouverte de neige en hiver. Leur croissance était lente, elles toléraient des stress répétitifs et étaient capables de pousser dans des conditions limitées en ressources (particulièrement avec des températures estivales froides). Beaucoup étaient persistantes, et les parties mortes de la plupart d’entre elles subsistaient pour de nombreuses années conjointement avec les parties vivantes, isolant et protégeant les tissus neufs des conditions climatiques difficiles.

La répartition circumpolaire des plantes a été répétitivement fragmentée par les glaciations quaternaires. Certaines plantes se retirèrent dans les régions alpines les plus méridionales, comme les montagnes de Tchoukotka dans l’Oural, les Alpes et les montagnes Rocheuses, au cours des maxima glaciaires. Le Nord-Est de l’Asie, avec les nombreuses chaînes de

montagnes de Sibérie, est le foyer majeur de diversité pour les plantes. Là se situe l’origine de nombreuses espèces et cette région possède la plus grande réserve potentielle pour la florogenèse et l’évolution adaptative dans l’Arctique et subarctique (Chernov et al., 1997 ; Yurtsev, 2004).

Certains chercheurs avaient pensé que, puisque les plantes grandissent et se reproduisent lentement, la végétation existante avait dû se propager à partir de «refuges» locaux situés dans les régions septentrionales exemptes de glace tout au long du dernier maximum gla- ciaire (Love, 1974 ; Serebryanny, 1997). Cependant, la perception qu’en Arctique, la colo- nisation par les plantes et la constitution de communautés de plantes sont lentes, prenant des millénaires, s’est avérée être fausse. Des recherches récentes ont montré que la recolo- nisation s’est produite ici assez rapidement. Au Svalbard, certaines zones déglacées au cours des cent cinquante dernières années ont rapidement été recouvertes d’une végétation quasi continue (Hodkinson et al., 2003 ; Moreau et al., 2009). La colonisation se poursuit sur ces sites, avec des changements dans la composition des espèces mesurables au cours des trente dernières années (Moreau et al., 2003). La preuve génétique montre que le Svalbard, en dépit de sa situation extrêmement isolée, a été maintes fois colonisé par des plantes de plusieurs régions sources (Alsos et al., 2007). L’examen des fossiles et des enregistrements génétiques de plantes vasculaires dans l’Atlantique Nord soutient l’hypothèse d’une redistribution végé- tale en fonction d’un rythme de migration et de recolonisation rapide plutôt que sur l’hypo- thèse des refuges (Brochmann et al., 2007).

Ces résultats de recherche ont conduit à la position actuelle selon laquelle la végétation arctique doit être considérée comme un groupe dynamique d’espèces bien adaptées à la dispersion et à la colonisation des régions froides. Les variations perçues dans les commu- nautés végétales sont parfois dues à des obstacles faisant barrière à la dispersion comme la glaciation récente ou les chaînes de montagnes orientées selon un axe nord-sud telles que les montagnes de l’Oural et de Verkhoïansk. Par exemple, les saules rampants sont fréquents dans la toundra de la sous-zone bioclimatique C, mais les espèces dominantes varient de Salix nummularia en péninsule de Yamal à S. sphenophylla en Yakoutie, S. glauca sur l’île Wran- gel, S. rotundifolia et S. phlebophylla en Béringie, et S. arctica au Canada (Yurtsev, 2004). En Russie, un système de provinces floristiques a été décrit sur la base de la variation de la flore locale (Alexandrova et al., 1980). Ce système a ensuite été étendu à l’espace circumpolaire (fig. 5.3), prenant en compte des nuances telles que la flore de Béringie (Yurtsev, 1994, Elve- bakk et al., 1999).

Les limites floristiques des provinces correspondent bien avec les âges des différents pay- sages de l’Arctique (fig. 5.4). Les zones où la flore est la plus riche correspondent aux plus anciens paysages de la Béringie. Pendant les périodes glaciaires, alors que l’eau s’accumulait dans les calottes glaciaires, le niveau de la mer s’est graduellement abaissé, découvrant les grandes plates-formes continentales de la Tchoukotka et de l’Alaska et créant un climat sec et continental en Béringie. Dès que l’Océan arctique a commencé à geler en permanence, ces domaines se sont trouvés loin de toute source d’humidité, de sorte que, même si elles ont connu des climats froids, de grandes calottes glaciaires n’ont pas pu s’y constituer et les gla- ciers ont été limités aux montagnes isolées. Cette longue histoire sans glaciation a sauvegardé les sols qui, par contraste, avaient disparu de la plus grande partie de l’Arctique nord-améri- cain. Elle a également permis aux plantes de coloniser progressivement de nouveaux espaces sans rencontrer de barrières de glace.

Figure 5.5 : Distribution de la biomasse de la partie aérienne des plantes en Arctique [issu de Raynolds, 2012].

Pays Surface

(1000 km²) région (kg/mBiomasse par 2)

Biomasse totale (kg * 109) Pourcentage du total de la biomasse Canada 2553 0,31 799 35,7 Groenland 2137 0,10 206 9,2 Russie 1872 0,51 948 42,4 États-Unis 491 0,56 273 12,2 Norvège 63 0,13 8 0,4 Islande 7 0,44 3 0,1 Total 7122 2237 100 Sous-zone

bioclimatique (La calotte glaciaire du Groenland et les régions non-Arctiques ne sont pas inclues)

A 195 0,10 19 0,9 B 512 0,15 76 3,4 C 1301 0,24 314 14,0 D 1576 0,40 633 28,3 E 1842 0,56 1036 46,3 Région floristique Iles septentrionales de la Béringie 5 0,41 2 0,1 Béringie, Alaska 295 0,57 169 7,5 Nord Alaska 215 0,57 124 5,5 Canada central 992 0,36 355 15,9 Hudson occidental 733 0,35 256 11,5 Baffin - Labrador 533 0,27 145 6,5 Ellesmere - nord Groenland 399 0,10 40 1,8 Nord-Ouest Groenland 37 0,16 6 0,3 Sud-Ouest Groenland 35 0,28 10 0,4 Central-Ouest Groenland 43 0,32 14 0,6 Sud Groenland 22 0,24 5 0,2 Sud-Est Groenland 48 0,08 4 0,2 Central-Est Groenland 90 0,12 11 0,5 Nord-Est Groenland 44 0,11 5 0,2

Nord Islande - Jan

Mayen 7 0,51 4 0,2 N. Fennoscandie 3 0,48 1 0,1 Svalbard – Terre F.J. 76 0,11 8 0,4 Kanin - Pechora 161 0,63 102 4,6 Oural polaire- Nouvelle Zemble 126 0,31 39 1,7 Yamal - Gydan 296 0,51 150 6,7 Taïmyr 474 0,47 223 10,0 Anabar - Olenyek 139 0,61 85 3,8 Kharaulakh 16 0,53 8 0,4 Yana - Kolyma 244 0,53 130 5,8 Ouest Chukotka 181 0,51 92 4,1 Est Chukotka 117 0,43 50 2,3 Sud Chukotka 97 0,63 61 2,7 Ile Wrangel 8 0,08 1 0

Distribution de la végétation et de la biomasse en

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