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Géomorphologie des côtes rocheuses arctiques

Dans le document L'Arctique en mutation (Page 40-45)

Figure 3.1 : Panorama des types de côtes rocheuses arctiques et subarctiques.

(a) Les falaises abruptes de Vandsfaldsdalen, à l’est du Groenland, sont associées à une vallée glaciaire surcreusée entaillée dans un ensemble de laves basaltiques paléogènes. Ces falaises sont en proie à une éboulisation active, les gélifracts venant alimenter d’étroites plages de pied de paroi dont l’activité n’est que saisonnière (cliché : B. Bell) ;

(b) Falaises rocheuses et éperons recouverts par des plages graveleuses dans la Baie de Radstock sur la côte nord du Détroit de Lancaster, sud-ouest de l’île Devon, Nunavut. Ils constituent la morphologie typique de ce secteur littoral (cliché: D.L. Forbes, Commission géologique du Canada, 4 août 2009) ;

(c) Dos de baleine sculpté par l’érosion glaciaire dans les roches de socle du Bouclier canadien (paragneiss protérozoique), côte ouest de la Baie d’Hudson à Arviat, Nunavut (cliché : D.L. Forbes, Commission géologique du Canada, 7 juillet 2009) ;

(d) Plateforme intertidale étroite et gélifraction de la falaise calcaire sur la côte nord-ouest émergente du Bassin de Foxe, près de Hall Beach, Nunavut (cliché : D.L. Forbes, Commission géologique du Canada, 19 août 2007) ;

(e) Gull Cliff sur la côte sud-ouest de l’ile Lowther, Détroit de Viscount Melville, Nunavut (cliche : D.L. Forbes, Commission géologique du Canada, 2 août 2009). Le rebond isostatique a élevé la base de la falaise pendant que le talus recouvrait progressivement la partie inférieure du versant, diminuant à mesure la hauteur de parois exposée à la météorisation ;

(f) Couverture glacigénique au sommet de falaises basaltiques, Golfvöllur, Islande (cliché : S. Etienne, 13 avril 2007).Les falaises sont hautes d’une dizaine de mètres, tandis que la couche morainique est épaisse de 2 à 3 m.

substrat rocheux par rapport à celle des abrasifs sous-glaciaires conditionnent les taux d’éro- sion glaciaire (Benn et Evans, 1998). L’érosion sous-glaciaire est plus limitée dans les régions polaires occupées par des glaciers à base froide, peu mobiles, alors que dans les zones où la glace tempérée prédomine, l’érosion sous-glaciaire est très active. Elle laisse une empreinte remarquable sur le paysage côtier y compris dans les secteurs de transition, actuelle ou pas- sée, entre les deux types d’environnement sous-glaciaire (Hambrey, 1994 ; Benn et Evans, 1998). Des conditions propices à la présence de glacier à base tempérée sont généralement rencontrées là où les pressions sous-glaciaires sont élevées en lien avec un appareil glaciaire épais ou véloce. Ces deux conditions sont fréquentes là où des vallées préexistantes ont été envahies par la glace, ce qui favorise leur propre surcreusement en auges glaciaires. En po- sition littorale, la plupart de ces auges glaciaires présentent actuellement un plancher en dessous du niveau de la mer. Ces fjords présentent des parois rocheuses aux flancs abrupts ou subverticaux, dont l’exutoire marin est souvent caractérisé par un seuil peu profond ou bien un chapelet d’îlots rocheux dénommé skjärgard (« jardin d’écueils ») (Syvitski et al., 1987 ; Hambrey, 1994). La profondeur des fjords peut dépasser 1000 m et ils s’étendent parfois sur plus de 100 km. Par exemple, Scoresby Sund, à l’est du Groenland, est profond de 1500 m et atteint 350 km de long. Les auges glaciaires telles que la plupart de celles situées entre les îles de l’archipel arctique canadien ont canalisé de grands courants de glace et, même dans les secteurs où le relief est modeste, elles sont flanquées de falaises imposantes (Fig. 3.1a et 3.1e). Les fjords sont une forme de relief fréquente sur les côtes polaires et subpolaires, en relation directe avec la présence de langues glaciaires (iceströms) émissaires de calottes dont l’écoulement a pu être canalisé par une topographie puissante, permettant ainsi d’exacer- ber l’érosion bien en-dessous du niveau marin au cours du Pléistocène (Kessler et al., 2008). Les secteurs favorables sont donc les bordures soulevées des boucliers, celles des hautes chaînes de montagne et des volcans proches de la mer (Salomon, 2008). Dans les régions arctiques et subarctiques, ils sont ainsi observables dans le nord-ouest et l’est de l’Islande, la Norvège septentrionale, le Svalbard, la Novaïa Zemlia et d’autres secteurs de l’Arctique russe, le Kamtchatka, l’est et les îles les plus septentrionales de l’Arctique canadien, le nord du La- brador et du Groenland. D’autres régions à fjords importants mais à des latitudes subpolaires sont le sud-est de l’Alaska, la Colombie-Britannique et Terre-Neuve. De nombreux fjords de l’Arctique canadien, du Groenland, du Spitsberg et de l’Alaska sont encore occupés par des glaciers actifs sur la majeure partie de leur longueur, un glacier à front marin occupant le fond du fjord. Dans d’autres cas, des dépôts de type sandur (plaine d’épandage tressée) en tête de fjord remplissent l’extrémité supérieure de la cuvette du fjord, leur extension étant fonction du temps écoulé depuis la fonte des glaciers et de l’exposition (voir les exemples de Church, 1972 ; Syvitski et Hein, 1991 ; Hansom et Gordon, 1998 ; Forbes, 2012).

Dans les zones anciennement occupées par un glacier à base très mobile, l’ensemble du paysage peut avoir subi une érosion sous-glaciaire aréolaire produisant de vastes surfaces rocheuses décapées et ondulées. Dans les zones de relèvement isostatique et d’émergence du littoral, l’action des vagues peut aussi avoir ôté toute couverture sédimentaire suffisam- ment mince pour ne laisser que la roche à nu. Bien que tout aussi dénudées, de nombreuses régions polaires désertiques et anciennement occupées par un glacier à base froide sup- portent une mince couverture de roche gélivée ou un placage de plages ou grèves soulevées. Néanmoins, cette couverture sédimentaire mince a peu d’influence sur la morphologie géné- rale de la côte, laquelle est principalement une fonction de la géométrie du substrat rocheux (St-Hilaire-Gravel et al., 2010, 2012).

Dans certaines régions de basse altitude où le substrat est constitué de roches résistantes comme l’ouest et l’est de l’Islande, le Svalbard (fig. 3.2), la Novaïa Zemlia, la péninsule de Taïmyr, le sud-ouest du Groenland, l’est du Canada et de l’Alaska, se rencontrent des plates- formes immenses faiblement inclinées et marquées du sceau glaciaire appelées strandflat (Klemsdal, 2010). Certains paysages des coastal barrens (Forbes et Syvitski, 1994) s’apparen- tent à ceux des strandflats, à la différence que leurs caractéristiques résultent principalement de l’érosion glaciaire basale. Initialement, le terme strandflat se référait aux basses surfaces

Figure 3.2 : Diversité des héritages dans le paysage littoral de la Baie du Roi (Kongsfjordhallett), Spitsberg, archipel de Svalbard. Cliché : S. Etienne, juillet 2002.

rocheuses faiblement inclinées vers la mer qui s’étendent au pied des montagnes côtières de la Norvège, surfaces en partie submergées et dotées d’une couverture sédimentaire négli- geable. Désignant désormais des paysages similaires rencontrés ailleurs dans les hautes lati- tudes, la formation du strandflat résulterait, selon la proposition originelle de Nansen (1922) vigoureusement défendue depuis par Larsen et Holtedahl (1985), d’une action intense et du- rable de la gélifraction sur les parois des falaises et l’enlèvement concomitant des débris par les vagues ou les processus glaciels (banquise côtière notamment). Une telle interprétation implique que le strandflat n’a pu se former que lorsque les anciens niveaux marins étaient proches du niveau actuel et qu’ils ont dû survivre à plusieurs épisodes d’abrasion glaciaire. Guilcher et al. (1986) ont plutôt suggéré que le strandflat et les autres plates-formes litto- rales des hautes et moyennes latitudes seraient des reliefs en partie hérités de périodes plus anciennes qui ont été rajeunis au cours du Quaternaire par l’action des vagues, de la glace et des processus périglaciaires. Dans le même esprit, Dawson et al. (2013) estiment que les strandflats présents sur la façade occidentale de l’Ecosse sont des surfaces d’érosion d’âge pliocène ayant subi ultérieurement plusieurs phases d’érosion glaciaire, une interprétation qui pourrait s’appliquer à de nombreux littoraux polaires et subpolaires. Les strandflats sont largement présents sur les parties orientales de plusieurs îles de l’archipel du Svalbard et sont taillés à travers une grande variété de lithologies et de structures. Klemsdal (2010) les attribue à la dénudation post-Trias créant une plaine littorale rocheuse vallonnée située désormais au niveau de la mer. Cette interprétation suggère que cette forme de relief préglaciaire a survécu à la morphogenèse ultérieure, notamment glaciaire, et que donc l’érosion sous-glaciaire est probablement d’une importance mineure dans leur formation. Néanmoins, il reste peu pro- bable que tous les strandflats et autres modelés apparentés partagent une histoire évolutive commune. Notons aussi au passage que les vastes promontoires surbaissés bordant les mas- sifs montagneux sur la côte orientale de l’île de Baffin sont des formes de dépôt résultant de la succession de phases de glaciation de piedmont et de transgression marine, mais qui sont restées libres de glace lors du Dernier Maximum Glaciaire (DMG), comme en témoignent les puissantes falaises au nord de Clyde Inlet (Miller et al. 1977, 2002).

Les héritages marins

Comparable au débat sur les origines du strandflat et de son empreinte glaciaire est ce- lui sur la probabilité que certaines plates-formes rocheuses intertidales pourraient être des modelés hérités tout ou partie des périodes glaciaires ou d’anciens niveaux marins et qui seraient désormais en cours de retouche par les processus actuels. La plupart des littoraux des régions polaires ont été affectés par l’extension puis la disparition d’une calotte glaciaire pendant le DMG et ont subi ou subissent encore un ajustement glacio-isostatique, positif ou négatif suivant leur proximité avec les anciens centres de glace. Dans certaines régions (le nord de l’Alaska, les plaines littorales de l’Arctique canadien occidental, l’est de l’île Devon, le détroit de Lancaster et la frange orientale de l’île de Baffin, certains segments du Groenland méridional, du Svalbard et de la côte arctique russe), cela s’est traduit par une transgression marine qui se poursuit encore aujourd’hui dans de nombreux secteurs (voir Héquette et Ruz, 1986 ; Forbes et al., 2004a ; Lajeunesse et Hanson, 2008 ; Whitehouse et al., 2007 ; Overduin et al., 2011). Ailleurs, cependant, la tendance générale depuis la mi- ou le tardi-Holocène a été à la régression marine et l’émergence des littoraux (par exemple, Blake, 1972 ; Møller et al., 2002 ; Atkinson et England, 2004 ; Mason, 2010 ; St-Hilaire-Gravel et al., 2010). Certains secteurs de ces littoraux soulevés sont constitués de plates-formes rocheuses et il est pos- sible que des processus morphogéniques particulièrement efficaces sur les littoraux polaires, comme la gélidivision ou l’évacuation de matériaux par la glace de mer ou les vagues de tempête, aient façonné ces plates-formes émergées durant de courtes périodes de stabilité relative du niveau marin (Dawson, 1980 ; Dawson et al., 1987). Une autre explication est que ces plates-formes intertidales ou émergées des littoraux froids sont des héritages qui ont survécu à plusieurs cycles glaciaires, les plates-formes contemporaines étant façonnées par les processus actuels (Guilcher et al., 1986). Cette hypothèse est étayée par des observa- tions faites ailleurs, dans l’hémisphère austral notamment, et plus particulièrement dans les

îles Shetland du Sud, où plusieurs séries de plates-formes étagées, y compris la plate-forme correspondant au niveau marin actuel, subsistent sans grandes retouches sous la couche de glace en place depuis au moins le DMG ; de plus, la morphologie de la plate-forme intertidale actuelle semble être bien ajustée aux processus contemporains (Hansom, 1983).

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