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Croyances traditionnelles et chamanisme au sein des siddat

Dans le document L'Arctique en mutation (Page 167-170)

L’organisation socio-politique de la sii’dâ

Organisation sociale sâme mentionnée dès le XVIieme siècle, la sii’dâ (Mériot, 1985) s’est maintenue, avec des transformations internes importantes jusqu’à nos jours. Elle semble avoir désigné à l’origine un district de chasse commun, pourvu d’un sanctuaire collectif, d’où éma- nait un pouvoir sacralisé. Ainsi, Christian Mériot (1985 :42) explique qu’« un juriste comme Solem met en rapport le mot sii’dâ et siei’de. Ce dernier mot désigne une idole de bois ou de pierre, concentration des forces naturelles régissant en premier lieu les entreprises de pêche et de chasse. Le siei’de a pu ainsi rassembler et souder le groupe de chasseurs et de pêcheurs d’un certain territoire, la sii’dâ ». De plus,« un linguiste comme Nesheim voit dans la sii’dâ une zone boisée de chasse, ayant un caractère sacré, en fonction de la parenté possible du terme avec le samoyède tid et le finnois hiisi. On peut ainsi penser que la sii’dâ a été originairement un regroupement de familles plus ou moins apparentées, coopérant ensemble par la chasse et la pêche dont les résultats dépendaient d’un sanctuaire commun. En tous cas, ce concept remonte sans doute à l’époque où il fallait organiser collectivement les grandes chasses, en particulier celles du renne sauvage » (Mériot, 1985 : 43).

En effet, la sii’dâ regroupait des familles plus ou moins apparentées ; son organisation politique et juridique était centrée sur les activités des villages d’hiver, dálvadas, des com- munautés de chasseurs-pêcheurs. Les Sâmes disposaient d’un droit d’usufruit, concédé par la collectivité, des terres et des eaux ; ainsi, la communauté restait toujours propriétaire de celles-ci. Avec la colonisation, la concession temporaire devint une propriété individuelle, et la sii’dâ n’est aujourd’hui plus que la communauté de travail des Sâmes, éleveurs de rennes. Pourtant, la sii’dâ peut aussi regrouper des Sâmes qui ne sont pas éleveurs, c’est-à-dire qui ne peuvent pas vivre de leurs rennes, mais qui néanmoins possèdent quelques bêtes. Selon Christian Mériot, la sii’dâ d’aujourd’hui « se distingue de l’ancienne en ce qu’elle n’est plus fondée sur une communauté économique intégrale, mais qu’elle laisse une place au profit individuel de style moderne » (Mériot, 1985 : 51).

L’ensemble des foyers coopérants s’en remettent à l’autorité d’un chef de sii’dâ, le sii- dâ-ised, qui sert aussi de relais administratif pour cette unité économique d’où le profit indivi- duel n’est pas exclu. La composition de la sii’dâ est instable, puisque chaque foyer est libre de se séparer de son groupe ou de ses groupes, pour en rejoindre un autre, en vertu notamment de la structure familiale bilatérale2. Les conflits entre sii’dâ, qui restent le plus souvent sous silence, éclatent sous l’emprise de l’alcool. En effet, bien que les Sâmes soient, comparés à bien des peuples, d’une nature exceptionnellement pacifique, les beuveries dont s’accom- pagnent les grands rassemblements, en particulier les « séparations des rennes » au prin- temps et en automne et les fêtes pascales, donnent lieu à des joutes oratoires sur le mode

2 La reconnaissance familiale de la lignée maternelle et de la lignée paternelle est l’un des traits les plus originaux du peuple sâme : l’individu a tout loisir de choisir, en fonction des critères personnels, des besoins économiques et des relations d’alliance, son rattachement à l’une ou l’autre de ces lignées. On remarque aussi l’égalité des sexes en matière d’héritage et de partage des rennes.

sarcastique, qui parfois dégénèrent en échange de coups. Le grief le plus répandu entre sii’dâ est le vol de rennes, dont le souvenir se perpétue longtemps après les faits.

De nos jours, le terme de sii’dâ n’est employé que pour désigner les communautés de tra- vail des éleveurs de rennes et son sens originel a considérablement changé. Seuls les Sâmes éleveurs ont donc encore une organisation sociale qui leur est spécifique. Cette dernière se distingue cependant de l’ancienne dans la mesure où elle n’est plus fondée sur une commu- nauté économique intégrale et qu’elle laisse une place au profit individuel. Cette unité de coopération d’élevage est cependant toujours entre les mains d’un chef de sii’dâ même si cette fonction est bien plus floue qu’à l’époque.

Le culte du siei’di

Le concept de siei’di et de ses variantes (seida, seitse, seite)3 est répandu sur tous les territoires sâmes, que ce soit en Norvège, en Suède, en Finlande ou en Russie. Les siei’di sont des lieux de culte qu’il est possible de diviser en deux catégories : les siei’di en pierre et les siei’di en bois. Les siei’di en pierre sont généralement des pierres naturelles qui attirent l’at- tention de part leur forme ou leur couleur et qui de ce fait sont des points de repère sur les plateaux dénudés de la toundra arctique : « on peut caractériser les seida comme dominant le milieu dans la mesure où ils comportent généralement des traits spécifiques qui attirent l’attention, car ils se détachent de leur environnement naturel » (Pentikäinen, 1995 : 115). Les siei’di en bois sont soit des arbres aux branches inférieures élaguées soit des souches d’arbres taillées à la main, soit des mâts formés par des arbres morts. Sur les siei’di en bois, il est très fréquent de trouver des sculptures qui représentent des traits de visage humain ; selon Juha Pentikäinen, ces siei’di étaient vénérés comme des divinités de bois. Certains de ces siei’di en bois, plus particulièrement les souches de bois sculptées en têtes d’épingles qui s’avèrent être nombreux sur les rives des lacs de Rovaniemi en Finlande, servaient également de repère pour la chasse et la pêche.

Le culte du siei’di semble être une institution clanique principalement organisée au sein des siddat, mis en place par les aînés de la famille et du groupe. Les Sâmes offraient au siei’di divers produits directement issus de la nature comme du poisson, du gibier, du sang en es- pérant que les dieux les acceptent et leur accordent en échange la chance à la pêche et à la chasse. Les chasseurs et les pêcheurs sacrifiaient à leurs ancêtres morts, aux esprits de l’eau et au maître des animaux (Leibolmmái). Pour ce faire, les Sâmes pêcheurs apportaient au siei’di le premier poisson de la saison de pêche ou un morceau de chair d’une grosse prise. Parfois, ils enduisaient le siei’di avec de la graisse de poisson. Les chasseurs présentaient au siei’di l’animal mort en le plaçant devant ou contre le siei’di ; fréquemment ils enduisaient également le siei’di avec le sang de l’animal chassé. Les éleveurs de rennes sacrifiaient éga-

lement à leurs ancêtres morts mais également aux habitants du monde souterrain4 et à di-

verses divinités, essentiellement Beaivi (le Soleil)5, Bieggaolmmái (l’homme du Vent)6 et Baján (le dieu de l’orage)7. Chez les éleveurs de rennes, les offrandes étaient généralement des

3 Diverses variantes orthographiques existent selon les diverses langues sâmes et divers dialectes utilisés. J’utilisele terme de siei’di, employé par la majorité de mes interlocuteurs au sein du district de Kautokeino dans le Finnmark norvégien. 4 Dans la cosmogonie sâme, le monde souterrain ne se limite pas au monde des morts. La réalité du monde souterrain comprend un groupe à part, celui des êtres surnaturels qui vivent sous terre. Leur vie est semblable à celle des humains mais ils vivent dans un autre espace spatial et dans un autre espace temporel. Les Sâmes appellent ces créatures des gufihtar ou des ulda.

5 Parmi les corps célestes, le Soleil et la Lune font l’objet d’une attention particulière chez les Sâmes. Il semblerait que l’on sacrifiait au Soleil (Beaivi) pour s’assurer d’heureux résultats dans l’élevage de rennes ou dans l’espoir de l’amélioration ou de la guérison d’une maladie mentale.

6 Pour les Sâmes nomades, éleveurs de rennes, le dieu du vent joue un rôle vital car de la direction du vent dépend le déplacement des hardes de rennes.

7 Le dieu de l’orage a plusieurs noms : les Sâmes de la péninsule de Kola et d’une partie du Finnmark norvégien l’ap- pelaient Tiermes, les éleveurs de rennes du Finnmark norvégien et d’Inari en Finlande le nommaient Baján, les Sâmes d’Umeå, de Piteå et de Luleå le désignaient par le terme de Áddjá, les Sâmes luthériens préféraient les termes finnois de Ukkonen ou de Ukko alors que les autres Sâmes scandinaves privilégiaient la nomination de Horagállis. On peut considérer que Horagállis a comme homologue scandinave le dieu Thor.

ramures de rennes sauvages ou domestiques. À partir du XIXieme siècle, des offrandes d’argent, d’alcool et de tabac sont également effectuées dans la région de Kautokeino, dans le Finn- mark norvégien.

Malgré l’opposition des missionnaires qui considéraient ces pratiques comme étant de la sorcellerie, le culte des siei’di s’est activement perpétué jusqu’au XXieme siècle et perdure encore de nos jours au sein de certaines familles et de certaines siddat.

Animisme et chamanisme

Le mode d’être, de penser et d’agir sâme se fonde sur le principe de relations équilibrées entre les êtres humains et leurs environnements humains et non humains, visibles et invi- sibles. Ce mode d’être au monde et ce système de pensée peuvent être qualifiés d’animistes selon la typologie de Philippe Descola (2005) ; chaque élément du monde créé est animé par une âme susceptible de s’évader du corps physique qu’elle habite.

Le chaman, appelé noai’di (ou ses variantes noaide, noiaidi) permet la liaison entre le monde des vivants et le monde des esprits par le son du roulement de tambour et les joik, qui sont à la fois des chants, des prières, des incantations et des expressions sentimentales. Le tambour est l’attribut spécifique de la fonction chamanique chez les Sâmes ; le noai’di frappe le tambour avec un marteau en forme d’Y ou de T, orné de motifs. La vibration fait sauter un indicateur (arpa) constitué d’un morceau d’os ou de bois de renne ou encore d’un disque en métal, en laiton ou d’une pièce de monnaie. Chez les Sâmes, le tambour est de forme ovale. Il est généralement taillé dans du bois de bouleau ou de pin. La membrane du tambour sâme en peau de jeune renne (de préférence de couleur claire) est fixée au cadre du tambour par du fil en tendon ou par des rivets en os ou en bois de renne.

La peau du tambour est richement décorée et elle est, en effet, le support d’une riche représentation cosmologique où l’on distingue presque toujours les trois niveaux du monde, peuplés de créatures mythiques et animales, d’humains et de divinités. Rappelons que les trois niveaux du monde sont le monde d’en haut (monde céleste dans lequel évoluent di- vinités, esprits et auxiliaires), le monde terrien (monde dans lequel vivent les êtres vivants, les pierres, l’eau, les montagnes et les fjords) et le monde d’en bas (monde souterrain dans lequel évoluent les morts, les créatures surnaturelles souterraines et les eaux souterraines). Certains tambours possèdent plus d’une centaine de motifs mais ils accordent toujours une place importante au soleil qui se trouve au centre, symbolisé par un losange, par une croix et plus rarement par un cercle avec ou sans croix. La forme ovale du tambour est importante car elle reflète la conception cyclique du monde. Les différents niveaux représentés sont reliés entre eux par un pilier ou arbre du monde ; le chaman voyage dans ces différents mondes grâce à cet arbre du monde. En effet, les Sâmes pensent que le chaman peut maîtriser les dif- férents niveaux du cosmos en se transformant en animal lors de ses voyages spirituels. Ainsi, il peut se transformer en oiseau pour la sphère céleste, en ours, en loup ou encore en renne pour la sphère terrienne et en poisson, en serpent ou en oiseau aquatique pour la sphère souterraine. C’est « l’âme libre » du chaman qui permet ces voyages ; « l’âme de l’esprit » reste elle dans le corps du chaman pour assurer les fonctions vitales de l’être humain qu’est le chaman. Pour ce faire, il se sert d’un tambour mais également du chant et du rythme qui, ensemble, lui permettent d’entrer en transe dans un autre état de conscience.

De nos jours, il existe soixante et onze tambours chamaniques sâmes dispersés dans di- vers musées en Europe (Stockholm, Rovaniemi, Londres, Rome, etc.) ; en effet, la majorité

des tambours ont été brûlés durant la période coloniale, notamment au XIXieme siècle. Il est

cependant important de préciser que, même s’il n’existe plus de chamans déclarés chez les Sâmes, les survivances chamaniques sont bien vivantes et alimentent un profond mouvement de renaissance culturelle.

Dans le document L'Arctique en mutation (Page 167-170)

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