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D.4. Production de Transitions Alternatives pour le Thème du Bâti

D.4.5. Variante avec Préservation des Repères Visuels

Notre hypothèse C3 sur l’influence de la préservation des repères visuels s’appuie sur les théories existantes en sciences cognitives sur l’utilisation des points de repères ou landmarks en anglais, pour des tâches de navigation [Couclelis et al., 1987 ; Golledge 1992 ; Sorrows et Hirtle, 1999]. L’idée initiale de ces travaux est que dans n’importe quel environnement, il existe des éléments qui ressortent, de par leurs caractéristiques distinctives ou parce qu’ils portent une symbolique

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Juin 2018 163 personnelle pour l’utilisateur ou une utilité particulière pour la tâche accomplie. Par définition, ces objets sont faciles à percevoir, à mémoriser et à retrouver dans l’environnement (physique ou virtuel). Ils peuvent donc aider l’utilisateur à se repérer dans l’espace, suivre des objectifs directionnels ou réaliser des tâches de navigation cartographique.

Lors d’un changement de niveau d’abstraction entre deux représentations à différentes échelles, l’utilisateur ne peut plus s’appuyer sur les éléments détaillés qui lui servent de repères visuels, car ils sont éliminés. Nous pensons donc que préserver une représentation fidèle des repères visuels est un levier d’amélioration potentielle de la fluidité de navigation. Pour pouvoir évaluer notre hypothèse C3, nous produirons cette pyramide à partir de la pyramide construite par agrégation progressive, en ajoutant uniquement des repères visuels au-dessus des ilots grisés.

Ces repères visuels peuvent être des objets uniques ou des groupes d’objets, comme des structures régulières par exemple. Dans notre cas d’étude, entre la représentation du bâti individuel et de l’aire urbaine, nous souhaitons conserver une représentation détaillée des bâtiments visuellement saillants, lorsqu’ils sont recouverts par un ilot grisé. L’IGN a fait des choix de représentation en ce sens pour sa pyramide Scan Express, comme le montre la Figure 119. Cependant, seuls les bâtiments spéciaux sont ici conservés, c’est-à-dire les bâtiments publics, industriels ou commerciaux, qui sont distingués des bâtiments quelconques par un attribut nature particulier dans les données et une couleur différente (violet, gris, rouge) dans la carte. Ici, seule la variable visuelle couleur est prise en compte pour sélectionner ces bâtiments. D’autres bâtiments, saillants par leur taille, leur forme ou leur position sont donc éliminés par la généralisation. Par ailleurs, si la géométrie de ces repères est grossie après le changement d’échelles, elle n’est pas simplifiée et présente parfois des problèmes de lisibilité. Cet exemple soulève donc les deux problématiques de cette pyramide : comment sélectionner les objets pouvant potentiellement servir de repères visuels et comment préserver leurs caractéristiques visuelles saillantes à petite échelle, tout en assurant leur lisibilité ?

Figure 119. Préservation d'une représentation détaillée des bâtiments spéciaux (en rouge, violet, gris) au-dessus des ilots urbains dans la carte au 1 : 50k de la pyramide Scan Express. Si la géométrie de ces bâtiments est grossie, elle n’est pas simplifiée et présente parfois des problèmes de lisibilité à petite échelle.

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164 Marion Dumont Pour détecter automatiquement des repères visuels dans nos données, nous nous sommes inspirés des travaux de [Elias 2003] qui propose une méthode d’apprentissage automatique, basée sur les caractéristiques visuelles des objets. Comme détaillé dans [Touya et Dumont, 2017], nous avons ici pris en compte à la fois des caractéristiques intrinsèques des bâtiments et des caractéristiques de leur voisinage. Voici la liste exhaustive de ces critères :

la couleur de l’objet cartographique qui révèle sa sémantique (attribut nature) ;

 la granularité, l’équarrité [Lokhat et Touya, 2016], la compacité, l’élongation et l’orientation de sa géométrie pour détecter des formes saillantes ;

 la distance au carrefour routier le plus proche pour détecter une position saillante dans l’ilot ;

 le nombre d’objets bâtis adjacents (distance nulle), des bâtiments collés étant détectés visuellement comme étant un seul par l’utilisateur ;

 le nombre d’objets bâtis et la densité bâtie dans un rayon de 100m, pour détecter les bâtiments isolés, plus saillants.

A partir de la description des bâtiments avec ces critères, l’algorithme établit un arbre de décision, en attribuant à chaque objet un coefficient de confiance entre 0 et 1, concernant son statut de repère visuel. Pour extraire les repères visuels parmi nos données, il suffit ensuite de sélectionner tous les objets dont le coefficient de confiance est supérieur au seuil choisi. La Figure 120 présente les objets détectés comme repères visuels sur deux extraits de notre zone d’étude, pour un seuil de 0,97.

Figure 120. Objets détectés comme repères visuels (en noir à droite) sur deux extraits de notre zone d’étude (respectivement en haut et en bas), pour un coefficient de 0,97.

Juin 2018 165 Dans le premier exemple (en haut), il nous semble que cet algorithme détecte bien des repères visuels, dans le sens où la plupart des objets détectés nous semble saillants et peu d’objets saillants ne sont pas détectés. En revanche sur le second exemple, nous identifions les limites de cette méthode. En centre-ville et dans les ilots industriels, les bâtiments ont souvent des caractéristiques visuelles saillantes par rapport à l’ensemble de la carte, mais pas particulièrement remarquables par rapport aux autres bâtiments de l’ilot ou du voisinage. Disposer de plus d’exemples d’apprentissage permettrait sans doute d’améliorer la détection automatique des repères visuels.

Ces résultats soulèvent d’autres questions sur la pertinence de cette méthode. D’une part, la saillance visuelle d’un objet cartographique peut changer en fonction de l’échelle, puisqu’elle dépend entre autre de sa taille qui varie, ou de sa position par rapport au réseau routier, qui lui aussi est transformé par la généralisation. Détecter des repères visuels dans les données sources et non pour chaque représentation est sans doute une erreur ici. D’autre part, la quantité de repères visuels détectés est très importante dans les exemples de la Figure 120, ce qui n’est pas cohérent avec le principe même des points de repère : l’utilisateur mémorise ou reconnait certains éléments particuliers dans l’espace, qui sont donc forcément en nombre limité. Le coefficient de confiance de notre méthode permet théoriquement de jouer sur la quantité d’objets détectés, mais diminue aussi la qualité de la détection. Il serait ici nécessaire d’être plus strict sur les critères d’analyse eux-mêmes. La méthode utilisée [Elias 2003] étant basée sur des tâches de navigation dans l’espace, une piste d’amélioration serait d’utiliser des critères plus adaptés à la détection d’éléments saillants dans une représentation cartographique. Les travaux récents de [Weng et al., 2017] proposent ainsi une méthode d’extraction de repères intéressante, en considérant différents critères selon l’échelle. Pour produire notre pyramide et pour disposer à l’avenir d’un jeu d’entrainement de qualité pour nos algorithmes d’apprentissage automatique, nous avons donc utilisé une sélection manuelle des repères visuels réalisée par un expert cartographe. En plus des critères mentionnés plus haut, cette sélection manuelle s’est appuyée sur une exploration multi-échelle de la pyramide, pour valider la nécessité locale de points de repère et les choix de quantité, de répartition spatiale et d’objets conservés, pour les ilots grisés uniquement. Cette expertise a aussi considéré la possibilité qu’un groupe de bâtiments soit un point de repère potentiel, alors que les objets qui le composent ne le sont pas individuellement, ce qui n’est pas géré par notre méthode automatique. La Figure 121 compare ainsi les points de repère sélectionnés manuellement à ceux détectés par la méthode automatique.

Outre son aspect fastidieux, la principale difficulté de cette méthode est aussi celle de la méthode automatique, à savoir le choix des critères faisant d’un objet un repère visuel. Il n’est pas évident de détecter les repères visuels potentiels, qui sont parfois utilisés inconsciemment ou de façon très personnelle par l’utilisateur pendant une tâche de navigation [Couclelis et al., 1987]. Deux experts ont ainsi contribué à cette sélection et ne sont pas toujours tombés d’accord sur la nature d’un repère visuel.

Nous nous sommes aussi interrogés sur la quantité et la répartition spatiale des repères visuels à sélectionner ici. Par définition, les repères visuels sont plutôt des exceptions et trop en préserver pourrait être néfaste à leur utilité. Nous nous sommes donc efforcés de sélectionner un minimum d’objets, qui puissent être assimilés comme points de repère par une majorité d’utilisateurs. En ce qui concerne leur répartition, nous choisissons de sélectionner localement des repères visuels, de

166 Marion Dumont manière à ce que l’ensemble de notre zone d’étude en soit pourvu. Nous appliquons ici l’idée de [Couclelis et al., 1987] que les points de repères servent à structurer et hiérarchiser la carte mentale de l’utilisateur, en créant une sorte de triangulation de l’espace. Utiliser suffisamment de repères visuels, relativement bien répartis, permettrait donc à l’utilisateur d’avoir des points sur lesquels s’appuyer sur l’ensemble de la zone.

Figure 121. Comparaison entre les points de repère potentiels détectés par la méthode automatique (à gauche) et ceux sélectionnés manuellement par un cartographe (à droite).

La seconde problématique de cette pyramide concerne les choix de représentation de ces repères visuels à petite échelle, pour préserver le niveau de détail tout en assurant leur lisibilité. En ce qui concerne leur symbolisation, nous avons choisi d’adapter les couleurs existantes pour la représentation du bâti, en optimisant le contraste avec la couleur des ilots urbains. Nous faisons ici l’hypothèse que ces changements de couleur des bâtiments sont suffisamment légers pour ne pas perturber l’utilisateur. Pour encore améliorer la lisibilité des repères visuels, nous avons également choisi de simplifier leur géométrie en la grossissant et en supprimant les détails illisibles, tout en conservant ses caractéristiques visuelles saillantes. Par manque de temps et d’algorithme capable de détecter et de préserver ces caractéristiques, ces modifications ont été réalisées manuellement. Un extrait de la pyramide finalement construite par agrégation progressive avec préservation des repères visuels est présenté en Annexe G.5.

A partir de nos hypothèses d’amélioration de la fluidité de navigation dans une carte multi-échelle, nous avons proposé quatre alternatives pour la transition de représentation du bâti, entre les représentations Scan Express existantes au 1 : 25k et au 1 : 100k, en utilisant des processus de généralisation différents. A partir des résultats de ces processus, nous allons maintenant construire nos pyramides raster tuilées et définir notre système de visualisation multi-échelle.