• Aucun résultat trouvé

A.1. Conception et Généralisation de Cartes à Différentes Échelles

A.1.2. Échelle Cartographique, Niveau de Détail et Lisibilité

On définit l’échelle cartographique comme le rapport mathématique entre une distance sur la carte et la distance équivalente sur le terrain. Par exemple, dire qu’une carte est réalisée à l’échelle 1 : 25 000 ou 1 : 25k signifie qu’une distance d’1 mm sur la carte correspond à 25 m sur le terrain. Dans ce paragraphe, nous expliquons pourquoi et comment les cartographes produisent des cartes à différentes échelles.

Le besoin de représenter l’espace géographique à différentes échelles a d’abord été identifié par les géographes qui considèrent que l’information et le niveau d’analyse proposé doivent s’adapter selon l’échelle d’observation souhaitée [Racine 1981, p141]. La quantité et la complexité d’information que l’être humain est capable de comprendre et d’analyser sont en effet limitées. Les cartographes considèrent ainsi que chaque phénomène géographique a une échelle caractéristique, « la plus appropriée pour [le] rendre sensible au lecteur » [CFC 1970], mais aussi des échelles limites, « en deçà ou au-delà desquelles il perd sa signification » [CFC 1970]. La Figure 5 illustre un exemple de cette limitation pour la représentation du bâti individuel. Si on la représente à une échelle trop grande (à droite sur la Figure 5), cette représentation sera trop pauvre pour être pertinente. Si on la représente à une échelle trop petite cette fois (à gauche sur la Figure 5), sa lisibilité n’est plus garantie.

Figure 5. Un phénomène géographique a une gamme d'échelles de validité, au-delà de laquelle sa représentation ne sera plus significative.

34 Marion Dumont Les gammes d’échelles traditionnellement proposées par les producteurs cartographiques institutionnels, avec des cartes aux 1 : 25k, 1 : 50k, 1 : 100k, 1 : 250k et 1 : 1M [Duchêne et al., 2014], correspondent d’ailleurs en partie aux gammes d’échelles identifiées par Yves Lacoste, qui considère qu’il existe « des niveaux de représentation qu’il est efficace de séparer systématiquement par la pensée » et définit six ordres de grandeurs [Lacoste 1980, p21], qui correspondent :

 au monde – du 1 : 10M au 1 : 100M,  aux continents – du 1 : 1M au 1 : 10M,  aux états – du 1 : 500k au 1 : 1M,  aux régions – du 1 : 50k au 1 : 200k,  aux agglomérations – du 1 : 20k au 1 : 50k,  aux quartiers – du 1 : 1k au 1 : 10k.

Si une BDG n’a donc pas d’échelle cartographique au sens mathématique du terme, puisqu’elle n’a pas de règles de représentation associées, on considère néanmoins qu’elle a une gamme d’échelles de validité [Ruas 2004, p29], définie par l’ensemble des échelles limites des phénomènes géographiques qu’elle décrit et déterminée par le niveau de détail avec lequel elle modélise l’espace géographique, défini selon [Ruas 2004, p25] par :

 la richesse sémantique, correspondant au schéma conceptuel décrivant les classes d’objets représentées et leurs attributs ;

 la résolution géométrique, correspondant à l’ordre de grandeur des objets représentés, au sens de [Lacoste 1980, p23] ;

 la précision géométrique, correspondant à l’écart entre la position des objets géographiques sur le terrain et sur la carte ;

la granularité, correspondant à la taille des plus petites entités représentées.

Des travaux existants proposent des méthodes d’évaluation de ce niveau de détail [Touya et Reimer, 2015], en se basant d’ailleurs sur des ordres de grandeurs similaires à ceux de Lacoste. Pour représenter les données d’une BDG en deçà de sa gamme d’échelles de validité, il faudra donc simplifier son niveau de détail et parfois effectuer d’importantes modifications sur les données initiales, voire en créer de nouvelles. On dira alors que l’on crée une nouvelle BDG moins détaillée. Précisons ici si nécessaire que nous n’évoquons pas l’utilisation d’une BDG au-dessus de sa gamme d’échelles de validité, car il serait alors nécessaire d’augmenter le niveau de détail, c’est-à-dire la précision et la richesse avec lesquelles l’espace géographique est décrit, ce qui n’est bien sûr pas possible sans acquisition de nouvelles données.

L’échelle cartographique donne également une indication sur la place dont dispose le cartographe pour représenter une portion de l’espace géographique sur la carte. Mathématiquement, plus l’échelle diminue, plus cette place est limitée. Pour respecter les limites de l’acuité visuelle de l’être humain et garantir la lisibilité de la carte à une échelle donnée, le cartographe devra donc aussi adapter sa représentation cartographique. Notamment, si l’on n’adapte pas la taille des objets à l’échelle, ils risquent d’être trop petits pour que le lecteur puisse les distinguer correctement. Il est donc souvent nécessaire d’exagérer leur représentation, en grossissant la largeur des routes, la taille des bâtiments ou la police des toponymes par exemple. Basée sur l’étude des capacités de la perception visuelle, la littérature en cartographie propose ainsi des seuils de lisibilité pour les cartes imprimées [Cuenin 1972, p163-166; Salitchev 1983] résumés dans la Figure 6.

Juin 2018 35 Cependant, ces grossissements impliquent souvent des conflits spatiaux, lorsque les objets entrent en collision parce qu’il n’y a pas assez d’espace libre sur la carte, ou lorsqu’ils sont trop proches pour être distingués, ce qui peut nuire à la compréhension de la carte. Il faut alors les déplacer pour les éloigner les uns des autres, voire en éliminer une partie. Ces modifications de l’information initiale impliquent aussi que la représentation cartographique s’éloigne de plus en plus de la réalité géographique. Cet écart doit être maitrisé pour s’assurer que la précision des données corresponde bien aux besoins des utilisateurs. Le cartographe doit donc chercher à résoudre le conflit d’espace, tout en respectant les trois contraintes suivantes : la taille des objets doit respecter les seuils de lisibilité, ils doivent être assez éloignés pour être discernables, mais leur représentation doit rester cohérente avec la réalité et suffisamment proche de l’information initiale, en fonction des besoins visés.

Figure 6. Exemples de seuils de lisibilité dans une carte imprimée, extrait de [Weger 1999, p25]. Lorsqu’on représente l’espace géographique à plus petite échelle, ce problème devient insoluble si l’on ne simplifie pas drastiquement le contenu de la carte. Plutôt que d’éliminer une grande partie des objets initiaux et ainsi modifier l’information initiale, le cartographe pourra ici utiliser une représentation moins détaillée du contenu cartographique pour préserver les caractéristiques principales de l’espace géographique. Par exemple à petite échelle, on pourra représenter la répartition des bâtiments individuels en zone urbaine par des ilots urbains.

On utilise le terme de base de données cartographique (BDC) pour désigner une BDG qui a ainsi été transformée pour être cartographiée à une échelle donnée [Ruas 2004, p28]. Pour produire une BDC à une échelle donnée à partir d’une BDG, il faut donc :

36 Marion Dumont  abstraire la description de l’espace géographique pour diminuer le niveau de détail,

 simplifier la complexité graphique de la carte pour assurer sa lisibilité,

 tout en préservant les caractéristiques principales de l’information initiale.

L’ensemble de ces opérations forment un processus de généralisation cartographique. La Figure 7 compare ainsi l’amélioration apportée par la généralisation à une simple réduction « photo » de la carte initiale, plus détaillée.

Figure 7. Comparaison entre une version généralisée et une simple réduction "photo" d'une carte plus détaillée.