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Nous listons ici les facteurs qui sont susceptibles selon nous de rendre la navigation multi-échelle difficile, mais aussi les bonnes pratiques qui semblent la faciliter. Pour cela, nous avons réalisé une première analyse visuelle de chaque pyramide étudiée, réalisée en naviguant sur leur géoportail de diffusion tout en étant attentifs au « desert fog » [Jul et Fumas, 1998], lorsque l’on manque de repères dans la carte pour nous orienter dans notre tâche de navigation. Nous avons ainsi procédé à une analyse systématique, en effectuant des opérations de zoom dans chaque géoportail, tout en essayant de nous repérer dans la carte et de reconnaitre des objets cartographiques à différentes échelles. Nous n’avons considéré que les facteurs relatifs au contenu cartographique ou à la configuration du système de visualisation multi-échelle, en faisant abstraction des difficultés liées aux performances de l’interface de visualisation en elle-même (rapidité, ergonomie, outils interactifs, etc.). Cette analyse bénéficie de notre regard de cartographe initié aux problématiques de généralisation, mais aussi de notre expérience d’utilisatrice quotidienne d’applications cartographiques grand public. Néanmoins, elle est sans doute limitée par notre expérience culturelle, c’est-à-dire notre sensibilité aux légendes et choix de représentations de l’IGN. Les résultats de cette partie ont été publiés en partie dans [Dumont et al., 2015].

B.2.1. Hétérogénéité de Légende entre Échelles

L’hétérogénéité de légende est sans doute la cause de gêne la plus importante que nous ayons rencontrée. Les différentes représentations d’une même pyramide peuvent être visuellement très différentes lorsqu’elles utilisent des légendes très différentes, ce qui est fréquent chez les producteurs institutionnels. La Figure 29 compare la pyramide Scan IGN ainsi produite (à gauche), à la pyramide Scan Express qui utilise des légendes plus homogènes aux différentes échelles [Lafay et al., 2015] (à droite), toutes deux produites par l’IGN. L’utilisation d’une légende homogène entre les différents niveaux de la pyramide nous semble ici faciliter la navigation multi-échelle.

Malgré ces précautions, il arrive que des objets changent ponctuellement de symbolisation. L’autoroute de la Figure 30 change ainsi de couleur entre les deux échelles (du bleu au rouge), ce qui est dû à l’utilisation d’une classification différente des routes. Lorsque de tels points de repère géographiques ou visuels changent ainsi après un changement d’échelle, l’utilisateur peut éprouver des difficultés à se repérer dans la carte. Nous pensons donc qu’éviter les changements de symbolisation permettrait de faciliter la navigation de l’utilisateur dans une carte multi-échelle. Pour répondre rapidement à l’apparition des nouveaux systèmes de diffusion et de visualisation de l’information géographique, les producteurs institutionnels ont souvent choisi de construire leur pyramide cartographique à partir de leurs produits cartographiques déjà disponibles, sans réflexion globale sur le rendu multi-échelle. Lorsque ces cartes existantes ont été construites avec des légendes différentes, comme pour Scan IGN, des hétérogénéités apparaissent donc entre les

74 Marion Dumont échelles. Pour les éviter, il faudrait harmoniser la symbolisation de ces cartes existantes dans la pyramide, en adoptant des légendes homogènes aux différentes échelles, comme dans la pyramide Scan Express [Lafay et al., 2015]. Une transition visuelle d’une légende à l’autre pourrait aussi aider l’utilisateur à mieux appréhender ces hétérogénéités. Des travaux récents proposent ainsi des méthodes pour créer des représentations intermédiaires à même échelle mais entre deux styles existants [Ory et al., 2017].

Figure 29. La pyramide Scan IGN à gauche, produite à partir de cartes topographiques avec des légendes très différentes et la pyramide Scan Express à droite, produite avec des légendes plus homogènes [Lafay et al., 2015].

Figure 30. Deux niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan Express : l’autoroute, particulièrement saillante en bleu à gauche, change de couleur et devient rouge à droite.

Les hétérogénéités de symbolisation nous semblent donc être un facteur majeur de désorientation pour la navigation multi-échelle. Néanmoins, des propositions d’amélioration existent déjà dans la littérature. Nous considérons donc ici qu’il est plus pertinent de réserver nos efforts pour des questions moins explorées et choisissons de ne pas considérer ces facteurs dans notre thèse. Pour écarter un biais potentiel dû à ce facteur, nous considérerons dans nos travaux une situation initiale basée sur la pyramide Scan Express, qui utilise une légende homogène aux différentes échelles. Nous nous autoriserons aussi dans notre cas d’application à modifier localement la symbolisation des repères visuels majeurs si celle-ci n’est pas cohérente aux différentes échelles, comme dans l’exemple de la Figure 30.

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Juin 2018 75 B.2.2. Incohérences de Contenu entre Échelles

La seconde source de désorientation que nous ayons rencontrée concerne les incohérences de contenu entre les différents niveaux d’une carte multi-échelle. Nous parlons de ce type d’incohérences lorsque le contenu cartographique d’un niveau de zoom n’est pas cohérent avec :

le contenu du niveau de zoom plus détaillé qui le précède immédiatement, par exemple quand de nouveaux objets sont apparus ;

le contenu du niveau de zoom moins détaillé qui lui succède immédiatement, par exemple

quand des objets ont été éliminés alors qu’ils étaient encore présents à plus petite échelle. La Figure 31 montre deux niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan IGN, où l’on trouve plusieurs incohérences de contenu. Ici entourés en rouge, la route et les bâtiments semblent différents entre les deux échelles. Ces incohérences peuvent être dues à des hétérogénéités dans les données sources, par exemple une granularité différente (taille des détails du bâti) ou une date de mise à jour différente (route construite entre les deux dates).

Figure 31. Ces deux niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan IGN présentent (outre une différence de symbolisation) une représentation incohérente pour le bâtiment entouré.

La Figure 32 montre quant à elle trois niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Google Maps, dans lesquels un toponyme (à gauche) est éliminé (au milieu) puis présent à nouveau (à droite). Ici le niveau de zoom du milieu n’est pas cohérent avec le niveau de zoom moins détaillé existant (à droite). Nous pensons que l’utilisateur peut être perturbé par cet effet visuel de clignotement ou flickering effect en anglais [Schwartges et al., 2013], créé par la disparition puis l’apparition d’un objet durant une opération de zoom. Pour éviter ces incohérences lors de la généralisation d’une nouvelle représentation dans une carte multi-échelle, [Girres et Touya, 2014] proposent de prendre en compte la représentation existant au niveau moins détaillé qui suit, comme mentionné dans la partie §A.2.4.

Figure 32. Incohérence de contenu entre trois niveaux consécutifs de la pyramide Google Maps : le nom de la rue entouré disparait puis réapparait à l’échelle suivante.

76 Marion Dumont Par ailleurs, la Figure 33 montre que la position d’un toponyme peut être très variable entre les différents niveaux d’une carte multi-échelle, si un algorithme d’optimisation de placement est appliqué à chaque niveau de façon indépendante. Nous pensons que ce « mouvement » des toponymes par rapport au fond cartographique doit être limité, car il peut attirer le regard de l’utilisateur et lui faire perdre ses repères. Pour cela, nous pourrions utiliser une méthode de placement des toponymes qui en plus d’optimiser leur répartition spatiale à une échelle donnée, optimiserait leur conservation sur la plage d’échelles globale, à l’image des travaux de [Schwartges et al., 2013], précédemment mentionnés dans le paragraphe §A.2.4.

Figure 33. Le toponyme « Cathédrale Notre-Dame de Paris » prend une position variable par rapport à son point de référence, entre les différents niveaux de zoom de la pyramide Google Maps.

Ces incohérences de contenu peuvent résulter de l’utilisation d’un processus de production ou de généralisation différent en fonction de l’échelle. Ce phénomène local peut sembler peu important pour la compréhension et l’utilisation globale de la carte multi-échelle. Néanmoins, elles peuvent impliquer des « effets visuels », comme un clignotement ou un mouvement de l’objet incohérent, qui peut attirer le regard de l’utilisateur et lui faire perdre ses repères. Pour faciliter la navigation dans une carte multi-échelle, nous pensons donc que ces incohérences doivent être évitées. La littérature en généralisation multi-échelle propose des méthodes permettant d’éviter cet écueil, comme la généralisation en échelle [Stoter 2005] où chaque nouvelle carte moins détaillée est généralisée à partir du contenu de la précédente, assurant ainsi leur cohérence. La littérature propose également des méthodes de généralisation considérant la plage d’échelle globale [Raposo et al., 2013 ; Schwartges et al., 2013 ; Bereuter 2014], permettant d’assurer la cohérence entre les différentes échelles comme précédemment mentionné dans la partie §A.2.4. Considérant donc que des méthodes existent déjà pour résoudre cette problématique, nous choisissons de ne pas considérer ce facteur dans notre thèse. Pour écarter ce biais potentiel, dans la suite de nos travaux nous vérifierons la cohérence des niveaux existants de notre pyramide initiale, en nous autorisant à corriger les incohérences majeures détectées, et choisirons une méthode globale pour le placement des toponymes.

B.2.3. Adaptation du Contenu Cartographique à l’Échelle d’Affichage

Nous considérons maintenant les difficultés liées à l’adaptation du contenu cartographique à l’échelle d’affichage. Le nombre de niveaux de zoom proposés sur leur géoportail est souvent supérieur au nombre de cartes existantes dont les producteurs institutionnels disposent. Ils utilisent donc souvent une même carte à plusieurs niveaux de zoom consécutifs. La Figure 34 montre ainsi six niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan IGN, utilisant un même contenu cartographique pour deux niveaux de zoom consécutifs, et ce plusieurs fois (niveaux 15-14, 13-12 et 11-10). Une carte définie pour une échelle cartographique donnée peut donc être visualisée à plusieurs échelles d’affichage différentes. Cette pratique peut impliquer des problèmes de lisibilité, si un contenu cartographique est utilisé au-delà de sa plage de validité graphique. Une piste d’amélioration

Juin 2018 77 potentielle pourrait donc être de produire de nouvelles représentations pour ces niveaux de zoom utilisant un contenu cartographique non adapté.

Figure 34. Six niveaux de zoom (LoZ) consécutifs de la pyramide Scan IGN, utilisant deux à deux un même contenu cartographique (niveaux 15-14, 13-12 et 11-10).

Dans la Figure 34 le contenu semble adapté à l’échelle d’affichage au niveau de zoom 15, puis l’échelle diminue mais le même contenu est utilisé au niveau 14 : la quantité d’information augmente et la taille des objets cartographiques diminue, la carte semble donc visuellement plus complexe qu’à l’échelle précédente. Puis l’échelle diminue encore mais le contenu cartographique est généralisé au niveau 13 et son niveau de détail est simplifié. Ce même contenu est utilisé au niveau 12, sans généralisation, et semble donc visuellement plus complexe qu’au niveau précédent. En particulier, cette pratique implique aussi une variation irrégulière de la taille des toponymes, qui diminue en passant des niveaux 13 à 12 puis augmente au niveau 11. Nous pensons que ces variations irrégulières peuvent représenter une difficulté cognitive supplémentaire pour l’utilisateur et doivent donc être limitées.

Que l’on construise une pyramide avec des cartes existantes ou à partir d’une unique base de données détaillées, il est donc nécessaire d’adapter le contenu cartographique de chaque niveau de zoom à son échelle d’affichage. Quelle que soit la stratégie de production de la pyramide, il est donc primordial de considérer la relation entre la simplification de ce contenu et l’échelle d’affichage visée. Si le contenu est trop complexe, l’utilisateur devra fournir un effort cognitif important pour lire et utiliser la carte. Si le contenu est trop simplifié cette fois, l’utilisateur pourra également rencontrer des difficultés pour se repérer dans la carte. Dans cette première analyse des pyramides étudiées, nous avons constaté une grande diversité de simplification du contenu cartographique à une même échelle d’affichage, comme le montre la Figure 35, confirmant l’absence de consensus entre les producteurs sur cette problématique. Nous considérons ici qu’adapter la complexité du contenu cartographique à l’échelle d’affichage est un facteur primordial de la fluidité de navigation. Dans la partie §B.3, nous analyserons donc plus en détail la relation entre l’échelle d’affichage et la

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78 Marion Dumont simplification du contenu cartographique dans les pyramides étudiées, pour mieux la qualifier. Puis dans la partie §B.5, nous évaluerons cette variation de complexité visuelle à l’aide de mesures de clutter.

Figure 35. Complexité du contenu cartographique variable à même échelle entre différents producteurs cartographiques. Extraits : Google Maps, OpenStreetMap, Swisstopo.

B.2.4. Changements de Niveaux d’Abstraction

Dans l’éventualité où le contenu cartographique de chaque niveau de zoom serait bien adapté à son échelle d’affichage, les changements de représentation dus à la simplification du contenu cartographique entre deux niveaux consécutifs peuvent parfois suffire à perturber l’utilisateur. La Figure 36 montre ainsi trois niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan Express, présentant une abstraction différente de l’espace géographique. Rappelons que lors d’un changement d’échelle important, la généralisation du contenu de la carte est souvent nécessaire pour assurer sa lisibilité : ces changements sont donc nécessaires et inévitables. Nous proposons ici d’ajouter des niveaux de zoom intermédiaires, pour pouvoir introduire de nouvelles représentations, afin de simplifier les transitions de représentation entre les niveaux existants.

Figure 36. Trois niveaux de zoom consécutifs de la pyramide Scan Express de l’IGN, présentant une abstraction différente du contenu cartographique.

Ces représentations intermédiaires pourront alors être matérialisées comme plusieurs étapes de la transition de représentation, plus faciles à appréhender par l’utilisateur. Pour concevoir ces représentations intermédiaires, de manière à améliorer la fluidité de navigation dans une pyramide, nous étudierons dans la partie §B.4 l’évolution de la simplification du contenu cartographique au fil des échelles dans les pyramides existantes.

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Juin 2018 79 Nous avons identifié quatre facteurs majeurs potentiellement responsables des difficultés de navigation existant dans les pyramides étudiées : les hétérogénéités de légende, les incohérences de contenu, la non-adaptation du contenu à son échelle d’affichage et les changements de niveau d’abstraction. Dans cette thèse, nous choisissons de nous concentrer sur ces deux derniers facteurs. Nous chercherons donc en particulier à mieux qualifier la relation entre la simplification du contenu cartographique et l’échelle d’affichage. Pour cela, nous définissons au préalable l’échelle d’affichage de chacun de leurs niveaux de zoom, dans la partie suivante.