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II.2.1 La question des violences et du climat scolaire pour appréhender

II.2.2.2 Autres variables de l’expérience scolaire que ne résout pas la règlementation

Comme permet de le souligner la sociologie de l’expérience scolaire, l’élève est acteur et sujet de son éducation et se construit aussi à travers les interactions qu’il vit avec son environnement et divers interlocuteurs122. Les travaux qui s’appuient sur la perception des acteurs dans une optique socioconstructiviste et interactionniste sont légitimes, et ce d’autant plus qu’ils ne se substituent pas aux analyses systémiques et structuralistes, mais les complètent. Une sorte de focale est alors portée à une échelle plus minutieuse, qui demande une analyse tout aussi rigoureuse, mais ayant l’avantage de poser des questions qui pourront animer un débat pragmatique et remettre en question les pratiques au niveau microsociologique.

C’est dans cette perspective sociologique que j’envisage ma recherche, notamment par l’analyse du vécu scolaire des élèves et des acteurs interrogés dont les perceptions sur leurs comportements et leurs marges de manœuvre ne contrarient pas le « constat sans appel du rôle de l’école dans la construction des inégalités sociales »123.

Il s’agit de s’intéresser à ce que produit le système scolaire dans le maintien, la réduction ou l’accentuation des inégalités socioéducatives, sur un certain type de territoire, auprès d’une certaine population d’élèves. Ceci peut s’envisager à travers la lecture microsociologique des fonctions scolaires, telles que décrites par François Dubet124. Il y a les fonctions de distribution (par une différenciation des élèves par les acteurs scolaires), d’intégration (par une inégalité de traitement des élèves) et d’éducation (par une transmission inégale de « biens symboliques » relative à la formation personnelle des élèves dans leur rapport à l’autre dans l’école).

Comme le soulignent Anne Barrère et Nicolas Sembel, « les interactions et les comportements pédagogiques, puisqu’ils sont loin d’être simplement déterminés par des situations sociales, peuvent être le levier d’amélioration du système, notamment au niveau local. »125 Encore faut-il cerner les modalités qui entrent en jeu dans ces interactions et comportements et qui

121 BLAYA Catherine, 2006, op. cit., p.90-92

122 DUBET François, MARTUCELLI Danilo, A l’école, sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, 1996, p.11 123 BARRERE Anne, SEMBEL Nicolas, 2005, op. cit., p.61

124 DUBET François, Penser les inégalités scolaires, in DURU-BELLAT Marie, VAN ZANTEN Agnès, Sociologie du système éducatif. Les inégalités scolaires, PUF, 2009, p.18

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influencent l’expérience scolaire. Nous y tacherons, dans un aspect spécifique de l’expérience scolaire : le rapport à l’ordre scolaire qui s’illustre notamment à travers les relations entre élèves et enseignants.

Ainsi, c’est bien au cours de l’expérience scolaire que se construit ce rapport à l’ordre scolaire, qui implique chez l’élève un rapport particulier au détenteur de l’autorité éducative, majoritairement exercé par l’enseignant avec lequel il s’agit d’apprendre, de comprendre, d’être évalué, etc. Ce rapport a un effet quant à l’image que l’élève se fait de lui-même par rapport à ce qui va lui être renvoyé, et l’image qu’il se fait de l’adulte en question.

De même, l’adulte se forge une image de l’élève et cela ne serait pas sans effet sur sa manière d’appliquer des mesures visant à imposer son autorité. J’évoquerai quelques travaux en abordant la question des enseignants plus loin dans l’analyse.

Cette perception est interrogée dans le cadre de ce qu’on appelle l’expérience scolaire du point de vue de l’élève. D’ailleurs, la sociologie de l’expérience scolaire s’appuie sur le vécu scolaire, en tant qu’institution de socialisation par l’intégration de normes et vis-à-vis d’un cadre fonctionnel et structurel. Mais aussi par la mise en interaction de l’individu par rapport à ces normes. En parlant de la forme scolaire, Queiroz insiste sur le changement de paradigme éducatif à l’école républicaine. Il ne s’agit plus de former des enfants par immersion, incorporation ou mimétisme, qui constituent selon lui l’aspect « non pédagogique » d’une formation. Mais bien de socialiser l’enfant à travers un « rapport pédagogique »126, l’enfant étant décrit comme l’être social sujet à une « interprétation culturelle particulière » dans ces premières années de vie. L’élève est ainsi pris dans une sphère sociale particulière qu’est l’école, le milieu scolaire. Il est identifié comme élève en tant qu’individu à former pour interagir avec le monde qui l’entoure en intériorisant des savoirs, des être et des savoir-faire propices à la vie en société. Ainsi, les adultes de l’école, en fonction des bases règlementaires, des directives institutionnelles et des conditions locales, sont censés se charger de cette formation. Cela fait partie de la socialisation de l’élève. Les travaux en sociologie des organisations ont décrit l’existence d’une réciprocité continuelle entre le système, par ses fonctions et ses influences structurelles, et l’acteur, par ses stratégies et manœuvres plus ou moins conscientisées et liées à ses ressources et aux contraintes du « jeu » collectif et des enjeux de pouvoir inscrits dans la relation127. L’individu se forme et agit en fonction d’une certaine intériorisation des normes et de plusieurs formes de socialisations (familiale, juvénile, etc.) qui caractérisent et rend chaque individu unique, mais faisant partie d’un tout. Pour chaque situation scolaire et dans la construction même de l’expérience

126 QUEIROZ Jean-Manuel, de, L’école et ses sociologies, Armand Colin, 2006, p.9

127 MARTIN Dominique, « L’analyse stratégique en perspective », Revue européenne des sciences sociales, 50-2 | 2012, p.-102 ; mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 13 mars 2018 URL : http://journals.openedition.org/ress/2255

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scolaire, Dubet et Martuccelli identifient trois logiques d’actions128 qui s’articulent les unes et les autres :

 une logique d’intégration : l’identité sociale se construit à partir de ses appartenances multiples, familiales, juvéniles, scolaires, etc., avec adhésion aux normes, valeurs, rôles et habitus (associée au domaine du conformisme)

 une logique d’action stratégique : l’individu agit en fonction de ses intérêts, en prenant compte des ressources, des coûts et des bénéfices à tirer avec une « distance au rôle et aux appartenances »129 (logique associée au domaine de l’utilitarisme)

 une logique de subjectivation : recherche « d’authenticité personnelle », l’élève étant un sujet en construction personnelle et peut émettre des critiques et des avis sur lui-même, les autres et sur les situations qu’il rencontre (que j’associe au domaine de la morale et de l’éthique).

L’élève se retrouve en fonction de ces différentes logiques à envisager et appréhender l’école, la partie « scolaire » de sa vie pour le moins centrale en France, d’une manière plus ou moins marquée par le plaisir, qui notons au passage fait partie des affects en jeu dans les rapports sociaux.

De même, je m’autorise à reprendre les idéaux-types définis par Rochex et Bautier130 dans le rapport à la socialisation scolaire : l’élève peut ainsi envisager l’école dans une optique sociale ludique, en fonction de jeux de sociabilité et du plaisir d’être avec ses pairs ; dans une optique de réussite scolaire et professionnelle à venir dans le souci de s’investir pour le plus ou moins long terme ; ou dans un rapport recherché au savoir cognitif se suffisant à lui-même, soit le plaisir d’apprendre.

On s’imagine qu’un élève peut passer d’une optique à une autre, d’une logique d’action à une autre, et c’est ce qui fait la difficulté pour le sociologue d’identifier un type de rapport particulier à l’ordre scolaire et à l’adulte détenteur de l’autorité si bien qu’il fluctue en fonction des uns et des autres et en fonction de la stratégie et de l’intérêt en jeu. Cependant, nous tenterons de remarquer si les élèves de notre étude, à savoir ceux qui font l’objet d’exclusion temporaire, s’inscrivent davantage dans une catégorie particulière dans leur rapport à l’expérience scolaire.

L’élève agit en fonction du sens qu’il perçoit et qu’il donne à son expérience scolaire selon diverses modalités d’action. Le rapport à l’autorité et à la discipline fait partie intégrante de

128 DUBET François, MARTUCCELLI Danilo, « Théories de la socialisation et définitions sociologiques de l’école », RFS, 1996, cité par BARRERE Anne, SEMBEL Nicolas, op. cit., 2005, p.20

129 DUBET François, MARTUCCELLI Danilo, « Théories de la socialisation et définitions sociologiques de l’école », RFS, 1996, cité par BARRERE Anne, SEMBEL Nicolas, op. cit., 2005, p. 63

130 CHARLOT Bernard, BAUTIER Elisabeth, ROCHEX Jean-Yves, « École et savoir dans les banlieues... et ailleurs.. », In : LAHIRE B. (dir.), Revue française de sociologie, 1993, 34-4. pp. 690-693.

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cette expérience scolaire. Il se réalise à différents niveaux, dans la relation à autrui, la relation à soi et à la symbolique que représente l’ordre scolaire. Il traverse les questions d’échec et de réussite académique, d’orientation, de rapport à la famille, etc. Certes, les interactions et les modalités d’action s’inscrivent dans des cadres définis par une règlementation et un fonctionnement institutionnel, mais elles sont aussi déterminées par des jeux d’acteurs eux-mêmes animés par des convictions, des compétences, des motivations et des contraintes diverses et variées. C’est pourquoi il est complexe de s’appuyer sur l’expérience individuelle des personnes enquêtées pour en tirer des analyses qui ne se réduisent pas à la généralisation de discours commun. Il s’agit plutôt de cerner les redondances qui indiquent qu’une expérience scolaire collective révèle des dynamiques plus globales, voire institutionnelles, et par conséquent intéressantes d'un point de vue sociologique. En effet, ces redondances ne sont pas le fruit du hasard, mais bien la résultante d’expérimentations quotidiennes et partagées par des milliers d’élèves et d’enseignants notamment. Apporter un éclairage sur ce qui produit de telles expérimentations semble essentiel à l’évolution des pratiques et des conditions institutionnelles propices à plus d’efficacité de l’école dans son rôle de socialisation et d’éducation. D’autant plus que l’école ne se réduit pas à l’exercice d’une socialisation scolaire à travers la transmission de savoirs et à travers la relation pédagogique entre l’adulte et le jeune élève à qui l’on souhaite transmettre des valeurs et des normes de la société. Elle est aussi envisagée comme un espace de profits et de concurrence, comme nous le rappelle François Dubet qui y voit un « marché » 131 où les objectifs se multiplient et se confrontent au détriment du rôle initial de l’institution scolaire, à savoir former des citoyens libres et rationnels.

Or, nombreuses recherches, j’en cite quelques-unes dans mon travail, montrent que ce « marché » alimente les désillusions et les difficultés des élèves. Celles-ci, une fois identifiées par les politiques publiques et les professionnels, sont aussi nourries ou réduites par les orientations et les mesures à l’égard de l’école et en son sein.

Pour François Dubet et Danilo Martucelli, l’école a plusieurs fonctions, notamment une fonction de distribution des qualifications scolaires et de positions sociales, une fonction d’éducation au sens de la morale Durkheimienne et une fonction de socialisation par l’intériorisation de normes et de comportements utiles en société132. En même temps, les normes sociétales et les valeurs éducatives évoluent, ce qui complexifie le rôle de l’école et celui de ses représentants. L’expérience scolaire au niveau du collège a de plus ceci de particulier qu’elle n’est ni uniquement orientée par une dimension de sociabilisation (comme c’est le cas à l’école élémentaire), ni uniquement focalisée sur une dimension d’orientation

131 DUBET François, MARTUCELLI Danilo, 1996., op. cit., p.12 132 Ibid., p.24

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professionnelle (davantage présente dans les préoccupations lycéennes). Elle oscille entre les deux et elle est marquée par une forte appropriation par les élèves de leurs situations scolaires. Les situations scolaires sont marquées par des considérations ambivalentes : on considère l’élève comme un enfant à qui l’on reconnaît de plus en plus les droits et les besoins tout en s’adressant à lui indifféremment à travers des procédures où l’adulte le met à distance cherchant à nier la part éducative qui lui revient dans une relation humaine qui ne peut être régie par de simples règles et sanctions. La discipline répond à un système de régulation dite « mécanique »133 pour reprendre le terme des auteurs, laissant les acteurs perdus dans la réalité quotidienne où les interactions sont imprévisibles. Dans notre étude, les interactions sont particulièrement conflictuelles pour les élèves. Pour appliquer la discipline, pour s’assurer d’une bonne régulation de l’ordre scolaire, les acteurs ne peuvent pas se contenter de mécanismes.

II.2.2.3 La dimension affective des conflits et l’aspect éducatif d’une