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III.1 E XCLURE OU ENCADRER  ?

III.1.2 Modalités de normalisation des élèves « rattrapables » par du personnel a-

III.1.2.2 Quelle place pour de la scolarité au sein du dispositif pendant l’exclusion ?

Ce dispositif mené sur un temps d’exclusion, même s’il aborde la question du travail scolaire ne fonctionne pas pour du rattrapage scolaire, mais dans l’optique d’un reformatage institutionnel :

Bastien Grimaut, principal du collège Bonsergent à Chamarais

« Mais c’est vrai que ces jeunes qui commettaient des bêtises, bon y a un peu de tout, très souvent c’était des jeunes qui étaient aussi en échec scolaire qui explique aussi la réaction face à l’institution scolaire, etc. Dans la mesure où on est en échec scolaire, on en veut un petit peu à l’institution qui vous met en face de votre échec, vous avez des zéros, vous avez des notes épouvantables donc, l’institution vous met face à votre échec et vous lui en voulez. Mais le but n’était pas de remettre ces jeunes à niveau c’était pas possible. Le but c’était de faire en sorte, comme je vous disais, que ces jeunes ne se sentent pas abandonnés, on ne le met pas au banc de la société, et que ces jeunes ne décrochent pas complètement de l’institution, gardent un lien avec. Parce que c’est facile, vous prenez l’habitude de ne plus venir, de ne plus se sentir concerné par la scolarité, après ça ne peut que s’aggraver de plus en plus. Et moins vous y aller moins vous avez envie d’y aller. Donc le but c’était vraiment ça. Mais ça n’était pas de remettre sur les rails des jeunes qui étaient paumés en maths ou en anglais, c’était pas possible, matériellement c’était pas possible, et ça n’était pas le but de la chose. »

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Le dispositif n’est pas sollicité pour remplacer l’école. « Il est hors de question de faire l’école hors l’école » nous dit encore un autre chef d’établissement. Le dispositif est plutôt envisagé comme une ressource afin de travailler un aspect avec l’élève qui fait défaut au collège, à savoir un travail sur son comportement, ses besoins éducatifs et ses compétences sociales. Comme le souligne Alain Vulbeau, ce type d’accompagnement vise certes à « redonner le goùt de l’école et, plus précisément le goùt de l’ordre scolaire »180. Isabelle Astier181 exprime cette ambivalence institutionnelle dans le cas du travail social où l’on prend à la fois compte des individualités tout en cherchant à avoir un certain contrôle social. Dans le cas de l’institution scolaire, la prise en compte des individualités est compliquée dans le cadre collectif. Les dispositifs, pensés et conçus pour des petits groupes d’élèves ou des élèves seuls, seraient un moyen pour pallier cette difficulté. Mais ces dispositifs qui s’inventent autour de l’école, de manière plutôt écartée des acteurs scolaires, ne font que reporter l’action publique dans d’autres sphères et sous la responsabilité d’autres acteurs que ceux de l’école. Certains chefs d’établissement affirment qu’« il est hors de question de faire l’école hors l’école ». Sur ce point, les avis sont partagés, entre ceux qui estiment qu’ils n’ont pas à remplacer l’enseignement que l’élève manque, et ceux qui estiment au contraire qu’il faut préserver l’habitude du travail scolaire malgré ce temps de rupture :

Richard Villon, responsable du dispositif de Nibourg

« Ah ce n’était pas évident, parce qu’ils étaient assez dubitatifs, c’est quoi cette histoire… Et puis ce qui était souvent dit : « écoutez on veut bien, on vous envoie les jeunes pour que vous leur expliquez c’est quoi le respect des règles, voilà c’est ça qu’il faut leur apprendre, le travail scolaire c’est pas la peine, de toute façon il y a les enseignants et tout… » Moi j’ai dit « non je ne suis pas d’accord. Le gamin qui est exclu pendant 8 jours, il n’a pas de travail à faire de l’école pendant 8 jours, il ne bosse pas, il fait rien ? Il repart au collège, et après on est sûr qu’il décroche hein ! […]Moi je pense qu’il faut que le jeune… si on l’aide sur le travail scolaire après on est certain qu’il peut suivre le reste, mais s’il a l’impression qu’on est là juste pour lui rappeler les règles. »

A l’inverse, l’avis de l’ensemble des intervenants sociaux est unanime pour revendiquer un impératif de faire de l’éducatif dans l’école. D’ailleurs, l’institution scolaire c’est l’Éducation nationale. Il est clairement souhaité d’y développer les compétences sociales et civiques à travers le « Domaine 3 : la formation de la personne et du citoyen » du socle commun de connaissances et de compétences que nous détaillerons plus loin au chapitre III.1.3.3. Ainsi, la connaissance des principes et fondements de la vie civique et sociale ainsi que l’apprentissage d’un comportement responsable est aussi du domaine scolaire. Nous pouvons donc dire que

180 VULBEAU Alain, 2010, op. cit., p.5 181 ASTIER Isabelle, 2010, op. cit., p.50

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les dispositifs font ce que l’école a aussi à faire, d’où le terme de « sous-traitance »182 utilisé par Benjamin Moignard puisque ce qui est censé être un partenariat avec l’école ressemble parfois à une délégation de responsabilités éducatives pourtant inhérentes au milieu scolaire. Pour mieux comprendre l’accompagnement effectué au sein des dispositifs, il est intéressant de constater le profil professionnel des intervenants, principalement issu de l’éducation spécialisée et du travail social auxquels s’ajoute une intervention non négligeable de psychologues.

Tableau 3 : Quel type d’intervenant l’élève a-t-il rencontré au cours de son accompagnement dans le dispositif ?

Au cours de leur accompagnement, les élèves rencontrent majoritairement des psychologues (54 %), des éducateurs (50,7 %), des animateurs, chacun pouvant revêtir à un moment donné le rôle d’accompagnateur scolaire (d’où l’importance de l’effectif ci-contre). D’ailleurs, nous verrons par la suite que ce terme est à prendre au sens large et non en référence à l’exercice scolaire stricto sensu.

182 MOIGNARD Benjamin, RUBI Stéphanie, « Des dispositifs pour les élèves perturbateurs : les collèges à l'heure de la sous-traitance ? », Carrefours de l'éducation, n°36, 2013/2.

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Les stratégies développées par les professionnels individualisent leur approches pour répondre aux problématiques rencontrées par les élèves dits perturbateurs. La plupart des intervenants, et leurs responsables ont pourtant conscience de la limite de cette approche individualisée :

Julien Castel, directeur du service municipal responsable du dispositif à Parrot

« en fait, c’est une vision qui consiste à penser qu’en travaillant sur le gosse, on va réussir à le laver à le repasser et à le rendre à l’institution scolaire nickel. C’est faux. Là on peut commettre des erreurs. Le postulat au départ de l’institution est faux. On arrive plus ou moins à verbaliser ce problème, bon la ville on le fait, mais y a quand même un partenariat. On tient fermement le bâton de dire que le dispositif va permettre d’amorcer des choses, mais il faut aussi qu’on travaille sur tous les à-côtés qui sont primordiaux, et c’est ce qu’on dit depuis tout à l’heure. Sur l’espace, le temps, la relation, l’échec scolaire, toutes ces dimensions qui appartiennent en propre à l’Éducation nationale. »

Dans cet accompagnement, le travail avec l’élève tourne autour de l’apprentissage du respect des règles, des adultes, de leur autorité et de l’acquisition des normes scolaires. On espère « les remettre à leur place d’élève et leur faire comprendre le comportement qui leur est attendu » résume un chef d’établissement. On attend donc aussi de ce dispositif qu’il relaye le message de l’institution auprès de l’élève en pensant que cet autre vecteur extérieur au collège puisse être mieux accueilli et intégré par l’élève. Cela montre une difficulté pour le personnel des collèges de s’adresser à une partie des élèves. En parallèle les compétences des professionnels du dispositif sont considérées comme des outils favorables à ce travail de communication et d’interaction. Mais très rares sont ceux qui envisagent de transposer ces compétences utiles aux personnels scolaires.

Il s’agit de faire adopter à l’élève un comportement propice aux apprentissages. Ou ce que Jean-Yves Rochex appelle les « savoirs invisibles »183 dont les élèves sont dotés ou non en fonction de leur origine sociale et familiale. Selon lui, ces savoirs invisibles qui servent à être sensible aux modes et formes d’apprentissage sont considérés par l’institution scolaire comme acquis par les élèves. Mais elle nie ainsi l’inégalité en matière de socialisation à l’institution scolaire des élèves, les uns et les autres issus d’un environnement familial dont la socialisation s’accorde plus ou moins à celle de l’institution scolaire. On travaille dans ces dispositifs, non pas les contenus scolaires, mais la réceptivité à ces contenus. Ce qu’Anne-Marie Chartier, citée par Jean-Yves Rochex184, défini derrière le terme d’« apprendre l’école », permettant ainsi d’« apprendre à l’école ».

183 KHERROUBI Martine, ROCHEX Jean Yves, « La recherche en éducation et les ZEP en France. Apprentissages et exercice professionnel en ZEP : résultats, analyses, interprétations », Revue française de pédagogie, Vol.146 n°1, 2004, p.137

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Tandis que l’on confie aux professionnels des dispositifs la transmission des outils pour exercer le « métier d’élève », des prérequis ou des « savoirs invisibles », l’acculturation scolaire échappe alors aux acteurs scolaires qui n’en sont dans ce cas plus responsables. On s’en remet aux compétences professionnelles des partenaires extérieurs au collège pour réadapter le comportement des élèves, à défaut de pouvoir modifier le contexte scolaire. Or, les interactions en situation scolaire sont les sources de nombreux motifs d’exclusion pour les élèves des dispositifs. Nous verrons que les tentatives d’accompagnement sur ce registre ne reposeront cependant que sur la capacité de l’élève à s’en distancier ou s’approprier des techniques de communication qui relèveraient pourtant aussi bien de compétences indispensables aux adultes de l’école.

Cette approche est au fond minimaliste et repose principalement sur l’attente d’un changement de comportement provenant de l’élève. Ceci à défaut de pouvoir associer ce travail avec une évolution des facteurs institutionnels et professionnels avec lesquels les comportements inadéquats émergent ou s’atténuent. Ci-après, voici comment cela se traduit concrètement. L’étude des entretiens auprès des intervenants dans les dispositifs et les documents de pilotage et de suivi qu’ils utilisent ont permis de catégoriser les différents ateliers existants qui confirment cette fonction « normalisatrice » et parfois « moralisatrice » au sens durkheimien de l’éducation morale.

III.1.2.3 Réadapter l’élève à son métier : un accompagnement pour