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III.1 E XCLURE OU ENCADRER  ?

III.1.1 Dispositifs des exclus : une solution au décrochage de l’institution scolaire

III.1.1.3 Modeler les élèves à l’image de l’institution scolaire

Dans l’ensemble, nous remarquons que pour certains élèves, l’existence du dispositif est en soi un argument qui justifie la pertinence de l’exclusion. Mais avec quelles attentes précises ?

III.1.1.3 Modeler les élèves à l’image de l’institution scolaire

Le tableau ci-après montre que dans 82,3 % des cas, le collège attend du dispositif qu’il travaille avec l’élève pour le faire réfléchir sur son comportement global en vue de l’améliorer. Dans 66,4 % des cas, le travail est aussi relatif à un acte bien précis pour lequel le collège espère qu'il ne se reproduise plus grâce à l'intervention du dispositif. Notons que l’attente « apprendre à l’élève à gérer sa colère et s’exprimer sans violence » n’a figuré dans la liste de propositions que sur le questionnaire de 2013-2014, d’où le résultat probablement plus bas que la réalité. Ces propositions (à choix multiples possibles) ont été listées en fonction des propos recueillis auprès des personnes interrogées en entretien.

Tableau 2 : Avec quelles attentes le collège a-t-il envoyé l’élève au dispositif ? Avec quelles attentes de la part du collège l'élève a-t-il été envoyé au dispositif ? Taux de réponse : 99,2 %

Nb %

Non réponse 5 0,8

Faire réfléchir l'élève sur son comportement global en vue de l'améliorer 498 82,3 Faire réfléchir l'élève sur un acte précis pour qu'il ne se reproduise plus 402 66,4 Faire "souffler" le ou les enseignant(e-s) en écartant l'élève 60 9,9 Faire "souffler" le groupe classe ou collège en écartant l'élève 58 9,6 Faire "souffler" l'élève lui-même par rapport à sa situation au collège 51 8,4 Prévenir une mise en danger de l'élève lui-même 47 7,8 Empêcher qu'une situation s'empire avec un adulte 43 7,1 Restaurer la justice à l'égard de la victime 40 6,6 Apprendre à l’élève à gérer sa colère et s’exprimer sans violence 30 4,9 Prévenir un débordement imminent avec un autre élève 21 3,5

Autre 2 0,3

Total 605

La sanction, car suivie par la prise en charge par des partenaires éducatifs extérieurs, semble être un « prétexte pour travailler ce qui fait la difficulté de l’élève, de ce que son comportement révèle de ses problèmes ». Plus précisément, il s’agit de travailler sur les difficultés que l’élève pose à l’institution. D’après les entretiens, ces difficultés s’envisagent en particulier à travers des agissements à l’égard du personnel scolaire, des enseignants en premier lieu.

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Martin Salmain, principal du collège Dechatel à Lourtois :

« Donc on est sur des élèves qu’on déjà eu un passé avant le passage, qui ont déjà eu des exclusions, et puis on repasse à une autre, l’armada. On est plutôt sur le conflit adulte élève ; parce que sur les conseils de discipline c’est purement ça hein. »

Les travaux de Mathias Millet et Daniel Thin173 ont déjà soulevé l’intention sous-jacente des dispositifs relais d’améliorer les rapports entre les collégiens dits « réfractaires » et l’institution scolaire. Il existerait un décalage trop important entre les comportements attendus au collège et en classe par l’institution scolaire et ses agents et les comportements réels des élèves perturbateurs. On attend ainsi de professionnels extérieurs qu’ils redonnent le sens de l’école et des normes à leurs élèves. Selon la formulation de Bertrand Geay au sein même de dispositifs extérieurs à l’école, « la fonction normalisatrice de l’institution est à la fois réaffirmée et partiellement externalisée »174.

Cédric Davant, principal du collège Combes à Nibourg

« MYRIAM OUAFKI : Et quel impact différent peut avoir ce dispositif par rapport à toutes les mesures que vous avez en interne ?

CÉDRIC DAVANT : L’impact il vient de ce que, le dispositif est quand même un moyen à un moment donné que l’élève rencontre des intervenants qui ne sont pas l’école, mais dont ils savent qu’ils travaillent avec l’école, mais qui ont un regard suffisamment extérieur pour leur permettre à eux de rationaliser leurs rapports avec l’école. […] avoir des adultes qui ne soient pas l’école, qui ne soient pas les parents, mais qui tiennent un discours quand même qui permet à l’élève de mieux asseoir ses représentations, de mieux essayer de se comprendre lui-même aussi dans ses réactions, ça c’est le premier impact. »

La tension dépasse le cadre relationnel puisque les acteurs de l’institution scolaire ne peuvent plus s’appuyer sur celle-ci et doivent alors s’appuyer sur des instances externes pour « faire passer » les apprentissages sociaux notamment :

Nadège poulain, principale du collège Barbier à Lyson

« Dans le cadre du dispositif je pense qu’il est plus facile d’amener l’élève à réfléchir à ce qu’est le respect des règles et en particulier de celles qu’il a transgressées. »

Barbara Joune, psychologue, responsable du Programme de Réussite Educative à Avrai « Voilà on essaye vraiment d’introduire un discours qui est le même que le collège. Quand les CPE parlent généralement il n’y a pas défaut de langage non plus et ça ça a été aussi noté par les établissements, d’avoir le même langage, d’avoir le même… un peu la même culture par rapport à ça hum. »

On se sert donc du profil extérieur des intervenants pour mieux asseoir et réaffirmer le discours institutionnel de l’école. Par une approche différente, ils tentent de rétablir la

173MILLET, Mathias ; THIN Daniel, « Une déscolarisation encadrée », Actes de la recherche en sciences

sociales, no 149, 4/2003, p. 32.

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confiance aux adultes et en l’institution. Ainsi, on valorise la non-appartenance institutionnelle de professionnels auxquels on fait appel tout en attendant d’eux qu’ils redorent l’image d’une institution qu’ils ne représentent pas.

Ce partenariat assure qu’un discours soit tenu par les intervenants auprès de l’élève sans qu’ils ne décrédibilisent l’établissement scolaire :

Hélène Pierret, principale du collège Martelli à Brevane

« Moi j’ai été tout de suite, quand la présentation était faite j’ai trouvé que c’était un outil véritablement intéressant. Que c’était intéressant de créer un partenariat parce qu’il y avait un message qui allait être retransmis aux enfants dans un autre cadre hors de l’établissement hors les murs, mais qui allait relayer notre discours de toute façon. Donc on allait croiser nos discours et que ça allait peut-être être plus constructif pour l’enfant »

L’impact recherché du dispositif porte alors davantage sur un changement de comportement de l’élève qui a perturbé l’ordre scolaire, plutôt que sur une quelconque évolution des facteurs institutionnels avec lesquels les comportements inadéquats ont émergé. De même, il n’y a aucune initiative explicite visant à faire évoluer les pratiques professionnelles qui influencent ces comportements. Ce qui posera question à l’analyse des comportements observés au retour de l’élève dans son établissement scolaire suite à cette prise en charge.

On constate parfois une approche moralisatrice dans les discours des intervenants dans les dispositifs :

Quentin Deniot, référent du dispositif à Brevane

« ils ont fait une connerie, on est bien là pour y réfléchir […]Parce qu’il faut qu’on ait quelque chose de solide à la base pour travailler. On ne va pas demander à un élève d’assumer quelque chose qui n’est pas forcément judicieux. Ça m’est déjà arrivé de dire aux collègues, « bah non écoutez je ne le prendrai pas parce que moi-même je ne comprends pas la sanction ». […] Pour moi l’objectif le plus important, c’est déjà les mettre dans une disposition d’esprit « oui j’assume ce que j’ai fait, je ne suis pas victime d’une injustice ». Ça arrive hein ? Mais si ça arrive, je leur dis. Sans critiquer le collège, et en expliquant que ça peut arriver que des fois un élève qui est sur la liste rouge, le professeur qui est au tableau, il se retourne, c’est pré programmé, il va tomber sur un tel, un tel, un tel, parce que c’est toujours les mêmes. Mais les amener à assumer leurs responsabilités sans les pointer du doigt. C’est vraiment le gros du travail, c’est ça. »

La plupart des professionnels interrogés ont conscience des effets de certaines pratiques professionnelles, ainsi que les difficultés posées par l’institution scolaire et des interactions qui s’y jouent. Ils savent que cela joue un rôle dans le processus qui a amené à tel ou tel comportement. Mais l’action en ce sens est difficilement définie, surtout dans une action de court terme sans lien direct avec les interlocuteurs institutionnels en jeu (enseignant ou autre).

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Au-delà du fait qu’ils sont une solution à court terme pour prendre en charge l’élève exclu, le dispositif suscite quelques espoirs, ou quelques illusions. Celle de résoudre les problèmes de comportements vis-à-vis du personnel scolaire. Et ceci en passant par des professionnalités et des modalités de médiation extérieures à l’école. Or, nous allons constater qu’à part du côté de l’élève, le dispositif est limité quant à son impact sur les acteurs scolaires. Ce qui rend impossible ce désir de médiation. Isabelle Astier le rappelle, le sens institutionnel de la médiation n’est « plus de défendre la cause de tel ou tel individu marginalisé, mais de transformer les normes des institutions pour les rendre acceptables et de produire de la confiance de la part des populations »175. L’accompagnement de l’élève dans le dispositif ne va pourtant pas jusque-là. On cherche à inhiber des tensions, mais en ne travaillant qu’un côté, celui de l’élève. On oriente alors la résolution du problème de manière unilatérale en remettant la responsabilité sur l’élève.

Le dispositif a même parfois tendance à endiguer cette approche unilatérale des problématiques d’élèves perturbateurs à travers une psychologisation des déviances en milieu scolaire :

Noémie Massala, référente PRE et du dispositif de Lourtois

« Y en a quelques-uns qui étaient méfiants, ils entendent « psychologue ». Mais à chaque fois ça c’est très très bien passé et pour certaines situations le passage à l’acte s’explique par de grandes carences socio-éducatives et de gros soucis familiaux où là on a carrément fait un compte-rendu de la psychologue, et moi je fais directement le lien par souci de secret professionnel avec les assistantes sociales du collège. Quand il y a des révélations. »

Les attitudes de provocation envers les adultes ou les pairs apparaissent comme la traduction d’un mal-être plus profond. Autrement dit, il existe une dimension psychologisante des difficultés et des besoins des élèves. Mais Isabelle Astier rappelle combien l’institution, portée sur l’individu comme responsable de son parcours, est elle-même génératrice de comportements de provocation176. De même, nous verrons que les attitudes enseignantes étudiées par Anne Barrère apportent des éléments de compréhension quant aux comportements perturbateurs des élèves et que j’évoquerai plus loin. Certes une dimension psychologique existe, mais la dimension sociologique est très importante. Lire un problème d’un point de vue psychologique ne doit pas empiéter sur une compréhension plus globale du phénomène, de sorte que d’autres manœuvres plus collectives et partagées soient

175 ASTIER Isabelle, Sociologie du social et de l’intervention sociale, Armand Colin, Domaines et approches, 2010, p.51

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envisageables. On peut ainsi penser l’atténuation des effets institutionnels au travers des pratiques professionnelles à l’œuvre dans l’école. Nous y reviendrons.

Les divers professionnels dans et hors l’école expriment leur conscience de la difficulté qui est d’ordre institutionnel. Notamment celle d’intégrer de manière positive et d’accompagner seule tous les élèves dans un cadre très normé. Mais dans la pratique, ils se penchent davantage sur la difficulté de l’élève, car elle est plus facile à appréhender. Pour prendre l’exemple des chefs d’établissement, ils se sentent désarmés face au poids de l’institution scolaire qui semble nécessiter l’intervention d’une aide extérieure :

Bruno Berso, principal du collège Marvel à Deneuville

« Je suis pas sûr que l’Éducation nationale soit vraiment les plus aptes à répondre à ce type de dysfonctionnement, puisqu’on le fabrique nous-mêmes quand même. Donc on peut difficilement créer des problèmes et les soigner derrière. Donc le partenariat avec un dispositif autre, il est intéressant à ce titre là. C’est-à-dire que c’est pas l’Éducation nationale qui a la maitrise totale du genre “les élèves sont pas adaptés donc on les met dans un dispositif relais pour les réadapter. Si on était à jeu avec une structure comme le PRE, le PRE aurait un regard sur nous qui nous obligerait quand même quelque peu à changer. Ce qui n’est pas le cas là, c’est juste un prestataire de service, on leur fournit les élèves et ils les accueillent. Donc ce qui serait intéressant ce serait d’avoir, de pérenniser l’action dans une structure pour les décrocheurs, mais qui serait pas forcément l’Éducation nationale, ça me paraîtrait une bonne solution. »

Dans la synthèse de Catherine Blaya177 concernant les programmes de prévention des comportements perturbateurs dans les écoles à l’étranger, nous pouvons distinguer les programmes dits primaires, qui s’adressent à tous les élèves. Les programmes dits secondaires quant à eux visent à réduire le risque de ce type de comportements pour les élèves présentant un profil « à risque » même s’ils n’ont pas encore adopté ce type de comportements. Et les programmes tertiaires visent à faire diminuer ces comportements chez les élèves déjà identifiés comme perturbateurs. Il y a soit une approche individuelle où l’on inculque aux élèves des compétences leur permettant de ne pas adopter ce type de comportement (transmission d’habiletés sociales par exemple). Soit une approche environnementale qui vise à réduire les paramètres propices à l’adoption de comportements perturbateurs (amélioration du contexte scolaire).

Dans le cas des dispositifs d’accompagnement des élèves temporairement exclus, ceux-ci font plutôt partie de programmes tertiaires avec une approche individuelle. Le contenu des dispositifs de notre étude rappelle l’approche de certains programmes étrangers qui semblent plutôt efficace au vu du rapport de l’auteur. Cependant, les limites du « mode d’administration » sont notables. En effet, les dispositifs sont extérieurs à l’établissement, pris en charge entièrement par d’autres professionnels que les acteurs scolaires, et à travers des

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interventions à court terme auprès d’un nombre restreint d’élèves. Les méta-analyses de Lösel et Beelman (2002)178 citées par Catherine Blaya présentent quelques paramètres qui rendent les programmes efficaces, tels que le caractère coopératif de la démarche, l’instauration d’une culture commune dans l’établissement scolaire, le développement d’un sentiment d’appartenance, la régularité et la systématisation des interventions, la sensibilisation et la formation de l’ensemble du personnel éducatif, y compris des enseignants à ces interventions (notons que tout ceci renvoie aussi au climat scolaire). Ceci ne fait pas partie du programme étudié et les dispositifs ne s’attardent que sur l’élève, sans réelle culture commune avec l’établissement scolaire.

III.1.2 Modalités de normalisation des élèves « rattrapables » par du