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III.1 E XCLURE OU ENCADRER  ?

III.1.1 Dispositifs des exclus : une solution au décrochage de l’institution scolaire

III.1.1.2 La problématique non résolue de l’exclusion temporaire

Face aux problèmes rencontrés dans l’enceinte scolaire avec des élèves considérés comme « perturbateurs » et ayant fait l’objet d’une exclusion, les politiques publiques ont mis en place la subvention de dispositifs locaux en dehors de l’Éducation nationale pour accueillir ces exclus. Ceux-ci sont mis en place par des collectivités territoriales ou des associations en partenariat avec des collèges qui sont volontaires (ils acceptent la proposition du dispositif) ou demandeurs (ils sollicitent le dispositif). Ainsi, les élèves temporairement exclus sont accompagnés sur leur temps d’exclusion par des professionnalités extérieures à l’école. Ces professionnels sont issus pour la plupart des milieux éducatifs (éducateur, moniteur éducateur, psychologue, intervenants socioéducatifs). Ils travaillent notamment avec l’élève sur son rapport à l’autre, à la règle et à l’autorité. Autrement dit, il exerce typiquement le rôle désormais principal de l’intervenant social : accompagner l’autre dans une relation d’aide qui se veut davantage une « aide à la relation »164. L’idée est d’aider l’élève à s’améliorer dans sa relation à l’autre, à l’adulte. Nous détaillerons cela plus loin. Il s’agit d’une aide à la relation dans le milieu scolaire, puisque, nous le verrons, la relation dépend particulièrement du rapport à l’autre, à la règle et à l’autorité dans l’école.

L’objectif affiché : « zéro collégien exclu temporaire à la rue » est visé dans une charte départementale qui associe l’Inspection académique et le Département. Mais cet objectif n’est pas atteint, d’une part parce que les dispositifs de ce programme ne concernent en 2012-2013 que 76 collèges sur 120165 existants sur le département. D’autre part, parce que chaque dispositif local a une capacité d’accueil maximale et en parallèle chaque collège peut exclure un élève sans lui proposer l’accueil au sein du dispositif partenaire. De plus, l’accueil dans ce dispositif n’a pas un caractère obligatoire pour les élèves exclus, il est proposé à l’élève et sous condition d’autorisation des parents, qui acceptent cependant très souvent la proposition.

162 MOIGNARD Benjamin, RUBI Stéphanie, op. cit., p.56

163 MOIGNARD, Benjamin, OUAFKI Myriam, « Des élèves à la porte. Les nouvelles frontières de la prise en charge des élèves « perturbateurs » », Aux frontières de l’école. Institutions, acteurs et objets. Presses universitaires de Vincennes, 2015, pp. 87.

164 LAVAL C, RAVON B, « relation d’aide ou aide à la relation », In Ion J, Le travail social en débat(s), La Découverte, cité par ASTIER Isabelle, Sociologie du social et de l’intervention sociale, Armand Colin, domaines et approches, 2010, p.55

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Finalement, il ne s’agit pas tant de répondre à la problématique de l’exclusion qu’aux problèmes qu’elle engendre. Comme le constate Benjamin Moignard166, l’exclusion est d’une telle importance que le dispositif dont il est question ici ne peut s’adresser qu’à une infime partie de la population d’élèves exclus. L’utilisation de l’exclusion temporaire est massive et désormais « ordinaire », « les chiffres sont de faits préoccupants. »167 L’estimation statistique de l’étude de Benjamin Moignard laisse apparaître « un volume d’élèves concernés par les exclusions temporaires qui avoisine certains mois l’équivalent en nombre d’un collège entier à la porte » sur un échantillon de 76 établissements issus de divers départements. Nous constatons que les élèves accueillis dans les dispositifs de notre étude ne représentent qu’une infime partie de la population d’élèves exclus sur le territoire de Seine-Saint-Denis. Ce n’est qu’une vingtaine de dispositifs qui accueillent en moyenne un maximum de six élèves simultanément. Ceux-ci ne peuvent assurer l’accompagnement de tous les autres.

La question n’est pas l’insuffisance de ce type de dispositifs, mais bien l’excès du recours à l’exclusion temporaire de l’établissement. D’ailleurs Benjamin Moignard pointe aussi le doigt sur la contradiction du caractère « exceptionnel » défini par le code de l’Éducation de l’exclusion temporaire comme une mesure « réservée à des faits graves »168. Nous verrons en effet plus loin que les élèves de notre échantillon sont exclus pour des perturbations à l’ordre scolaire qui ne s’apparentent pas systématiquement à des faits graves dans le discours des chefs d’établissements eux-mêmes. Benjamin Moignard rappelle par ailleurs que l’usage de l’exclusion est davantage en lien avec une évolution des pratiques professionnelles en ce sens. La désacralisation de l’école et de ses enseignants, couplée à la montée d’un ordre qui se veut « négocié » complexifie l’exercice des acteurs scolaires qui usent exagérément des mesures les plus dures dans des situations qui ne semblent pas toujours le justifier. Et ce indépendamment de la catégorie socio-économique du public scolaire accueilli169. Mais les dispositifs s’adressent cependant exclusivement à des populations de l’éducation prioritaire. Tout comme on ne se pose pas la question de l’encadrement d’élèves exclus des établissements favorisés, on ne s’y pose pas la question de leur nécessaire accompagnement social et éducatif. Un élève dont le comportement a impliqué une exclusion temporaire de son établissement ne suscitera donc pas le même engouement de la part du personnel scolaire en fonction de son appartenance territoriale. Ainsi, se posera de manière inégale la question de son encadrement temporaire et de sa réinsertion dans le milieu scolaire en fonction de son milieu social. Ce qui rejoint les éléments recueillis plus tôt au sujet du ciblage des politiques

166 MOIGNARD Benjamin, « Le collège fantôme. Une mesure de l’exclusion temporaire des collégiens », VEI diversité, CNDP, 2015, N° 175, p.63

167 Ibid. p.64 168 Ibid., p.68 169 Ibid., p.68

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publiques et de l’interventionnisme accru envers une classe sociale donnée (chapitre II.1.1.3). De plus, on peut dire qu’il y a davantage une attente de conformité à l’égard des élèves de notre étude. Il s’agit d’inculquer aux élèves des aptitudes leur permettant de « rentrer dans le moule » comme l’exprime ce principal :

Bruno Berso, principal du collège Marvel à Deneuville

« L’école est très normative donc il faut pas grand-chose pour que les gamins sortent de ce moule et ne puissent plus être gérés. Parce que la vraie difficulté c’est que s’ils sont dans le moule, ça fonctionne à peu près, mais s’ils le sont pas, y a pas de salut quoi. Et y a pas non plus beaucoup de... Le système est assez méchant. À l’inverse, tout le monde a le sentiment qu’on est trop gentil, qu’on est trop laxiste. En fait, on n’est pas laxiste du tout, puisque globalement un gamin qui pose des problèmes c’est un gamin qui va rater sa scolarité donc c’est pas du tout ouvert, c’est pas du tout sympathique, c’est pas ça. Heureusement on a quelques réussites, on en sort. C’est à dire qu’un gamin qui a la chance de comprendre comment y doit être à l’école, qu’est capable de faire la part des choses, même s’il est différent à l’extérieur et il a le droit en plus »

Les mécanismes mis en place par les chefs d’établissements et leurs partenaires pour convenir de critères de ciblage des élèves donnent à voir le sens qu’ils donnent à ce dispositif. Ceux-ci s’avèrent révélateurs de considérations, de postures et d’enjeux éducatifs particuliers.

La logique d’intervention des professionnels des dispositifs ne suscite aucune remise en question des politiques internes à chaque établissement vis-à-vis de l’application des exclusions temporaires. Tout en ayant conscience que la difficulté liée à l’exclusion scolaire est aussi d’ordre institutionnel, les divers responsables des dispositifs n’interviennent pas spécifiquement pour aider les établissements à réduire leur recours aux exclusions :

Shana Ronge, chef du Programme de Réussite Educative à Ignissy et coordinatrice du dispositif

« Ils [le conseil de discipline] ont pris la décision d’exclure, on n’est pas là pour remettre en cause cette décision, même si parfois on le souhaiterait ».

L’équipe enseignante est aussi concernée par le recours aux exclusions, leurs facteurs et leurs effets, sans pour autant s’impliquer réellement dans l’accompagnement de l’élève dans le dispositif. Même si officiellement les sanctions disciplinaires telles que l’exclusion temporaire de l’établissement ne peuvent être prononcées que par la direction, les pratiques plus ou moins avouées laissent aux enseignants une marge de suggestion. Ainsi, un principal m’explique en entretien qu’une note d’information est écrite par l’enseignant ou un autre membre de l’équipe pour décrire l’incident avec un élève et qu’en conclusion il leur est possible de cocher une case pour partager leur volonté quant aux suites à donner :

Cédric Davant, principal du collège Combes à Nibourg

« Nous les enseignants, ou les assistants d’éducation, quand un élève dysfonctionne, en soi il a une note d’information. Dans ce cas-là note d’information c’est vraiment une

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note pour informer professeurs principaux, CPE, sur l’événement qui s’est passé, mais le personnel l’a géré, y a eu un retour à la normalité parce que l’élève a présenté ses excuses, parce que voilà. Mais y a une trace de ce qui s’est passé et voilà. Au-delà le rapport d’incident est assorti de la possibilité d’une suite demandée par la personne qui fait le rapport, donc ça peut être coché au bas du rapport : soit une demande d’excuse écrite, soit une demande de rencontre avec la famille, soit un avertissement, soit une exclusion temporaire de l’établissement, les CPE collectent les rapports, en parlent avec les enseignants concernés ou assistants d’éducation, en tout cas la personne qui a rédigé le rapport. Et ensuite nous faisons le point direction et CPE sur chaque cas en fait. Et c’est à ce moment-là qu’on se dit, « bon ben voilà on a tel rapport d’incident, tel fait qui s’est produit, ça mérite une sanction, quelle sanction, combien de temps, et est-ce qu’il est pertinent ou pas d’envoyer l’élève à ACTE ».

Pour les chefs d’établissement, le travail permis par ce dispositif est vu comme un renfort. L’exclusion temporaire de l’établissement ne leur semble plus être une sanction « sèche » puisque dans ces cas-là la sanction est assortie d’un accompagnement éducatif et leur semble ainsi pertinente. Cela pourrait questionner sur l’effet inverse recherché quant à la diminution des recours à l’exclusion en quelque sorte dédramatisés par ce nouvel agencement. Mais nous l’avons vu, le phénomène d’exclusion est bien trop conséquent et le taux d’accueil dans le dispositif encore trop faible pour justifier cette inquiétude. Au contraire, si le dispositif était une condition sine qua non à l’exclusion, cette mesure serait d’autant plus affinée et réduite de fait aux capacités maximales du nombre d’élèves accueillis.

Si on ne peut donc pas dire que l’existence de ce dispositif participe à l’augmentation du nombre d’exclusions, on ne peut pas non plus constater un effet de leur diminution malgré les objectifs politiques affichés dans la convention. C’est au mieux l’occasion pour certains chefs d’établissement de remettre en question le systématisme de cette mesure, devenue une « sanction ordinaire »170. Le recours à l’exclusion est envisagé comme la seule réponse aux difficultés dans la gestion de certains élèves. Cependant, certains chefs d’établissements scolaires pointent les limites et les travers de ce recours. Ils souhaiteraient que l’institution scolaire finisse par ne plus exclure :

Nicolas Pasteau, principal du collège Bordon à Lourtois

« il ne faut pas non plus que ce soit le dispositif de la bonne conscience, parce qu’on a pas non plus vocation à exclure des élèves. […] avant tout ce qu’il conviendrait de mettre en place, alors c’est sûr c’est un vrai chantier, un chantier de l’Éducation nationale, c’est d’apprendre aux enseignants d’individualiser le travail, en tout cas à personnaliser la transmission de travail. On s’adresse pas à tous les élèves de la manière sinon on génère de l’exclusion. […] Quand on n’est pas valorisé par le savoir, mais qu’on l’est avec ses camarades par la rébellion, bah y a pas que les élèves. Donc l’école génère aussi son exclusion, l’exclusion des élèves. »

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Ainsi, bien qu’ayant recours à l’exclusion, les chefs d’établissement souhaiteraient, au-delà de l’urgence des situations, qu’une solution se trouve au niveau institutionnel avant même qu’elles ne surviennent. Ce qui n’empêche pas la pratique de l’exclusion est bien la réalité professionnelle, soit l’intérêt des individus au quotidien au détriment d’une vision plus globale et à plus long terme :

Bruno Berso, principal du collège Marvel à Deneuville

« On gère les élèves exclus, on devrait quand même avant ça régler le problème de l’exclusion, ça pose quand même un problème ça. […] On fait notre projet d’établissement cette année on doit le réécrire, on doit d’ailleurs se questionner là-dessus, mais on peut avoir cette volonté-là à la direction, individuellement on n’a pas forcément envie de se remettre en cause sur ces pratiques-là parce que c’est assez pratique »

L’exclusion apparaît comme une solution à défaut d’avoir pu trouver d’autres moyens de calmer les tensions. Comme le souligne Benjamin Moignard, « l’exclusion temporaire est d’abord un outil de régulation interne dans un contexte où la multiplication des incidents scolaires affaiblit les enseignants dans leur légitimité professionnelle, et nécessite des recours symboliques de restauration de leur autorité qui poussent à l’usage des sanctions les plus dures »171, ce qui engendre une certaine « routine punitive »172.

Lorsque les chefs d’établissements évoquent les exclusions de classe, ils dénoncent une certaine facilité résultant d’un décalage entre « les performances des enseignants en termes de gestion de la classe et leurs attentes par rapport aux élèves » pour reprendre les propos tenus par l’un d’entre eux :

Bruno Berso, principal du collège Marvel à Deneuville

« L’exclusion de cours c’est symptomatique de ça, ce sont des profs qui n’arrive pas à donner leurs cours. Donc ils cherchent pas à résoudre le problème, ils évacuent le problème pour continuer à enseigner. C’est pas une approche constructive. Alors on doit le faire à certains moments, c’est vrai, mais à la limite je préfère l’enseignant qui dit “bon tu vas 5 minutes dans le couloir” qui lui demande de se calmer et qui va chercher à le réintégrer, plutôt que celui qui “t’as pas sorti tes affaires...”. Un gamin qui dit “je veux pas travailler” il se fait renvoyer, il a gagné, il voulait pas travailler l’enseignant l’a renvoyé, il demandait que ça quoi. »

On peut reprendre cette analyse faite à l’échelle de la classe d’un point de vue plus global du collège. Les exclusions temporaires témoignent d’un décalage entre les normes attendues et les comportements affichés par certains élèves qui perturbent l’ordre scolaire. Elles

171MOIGNARD Benjamin, « Le collège fantôme. Une mesure de l’exclusion temporaire des collégiens », VEI diversité, CNDP, 2015, N° 175, p.69

172 MOIGNARD Benjamin. Les exclusions temporaires des collégiens en France. Une routine punitive, International Journal of Violence and Schools, 2015, 15, pp.119-141

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témoignent aussi d’une souffrance institutionnelle qui y recourt pour un temps limité à une mise à l’écart physique, au-delà de la sanction, pour soulager les uns et/ou les autres.

Evelyne Datier, coordinatrice PRE et Martin Salmain, principal du collège Duchatel, à Lourtois

« E. DATIER : que les élèves puissent être encadrés, que les équipes éducatives puissent souffler. On sent qu’ils sont, enfin cette prise en charge les soulage

M. SALMAIN : oui on est sur un dispositif qui peut sauver des situations, dans les deux sens, sauver les élèves et sauver les équipes. Sauver étant un bien grand mot, mais voilà »

On constate que l’exclusion est parfois une mise à l’écart visant à ramener le calme face aux tensions grandissantes entre les personnes. Au collège, on n’identifie donc pas toujours d’espace pour apaiser les individus, détendre les relations autrement qu’en écartant l’élève du groupe par l’exclusion.

Danièle Toneau, CPE du collège Montant à Villoise

« Alors les besoins [du collège] ils sont différents. Il y a l’aspect sanction, il y a l’aspect aussi de mettre au vert quelques élèves pour qu’on puisse souffler et qu’eux puissent souffler aussi. »

Barbara Joune, chef PRE à Avrai

« Oui, oui il faut faire souffler la classe, c’est vrai, il y a aussi derrière 25 élèves qui ont besoin de souffler, il faut faire souffler les adultes, il faut faire souffler aussi le gamin qui est en mode « soupape » quoi c’est des cocottes minutes ils n’en peuvent plus quoi ! »

Dans le Tableau 2, nous verrons que « faire souffler » les uns ou les autres n’est pas une attente principale. Elle est déclarée pour 9,6 % pour « faire souffler l’élève », 9,3 % pour « faire souffler l’enseignant », 7,3 % pour « faire souffler le groupe classe/collège ».

Pour certains, le dispositif amène tout de même à réfléchir sur le recours à une alternative à l’exclusion temporaire, avec le recours des mesures de responsabilisation globalement assez peu utilisées jusque-là :

Eliane Bouquet, principale du collège Charles à Pasquier

« c’est vrai que là c’est que c’est quelque chose [la mise en place des mesures de responsabilisation] sur laquelle on pourrait peut-être arriver à obtenir par les réseaux du dispositif réussite éducative des partenaires qui soient prêts à s’engager, qui soient autre que, mais qui soient leur propre réseau. Après tout, les associations, ça nous est difficile nous en tant qu’établissement scolaire de contacter une association en disant « bon voilà c’est super vous prenez nos élèves les plus pénibles en charge 20 heures et on vous remercie » (rires). Il y a des gens qui le feront c’est sûr, mais on n’est pas financeur quoi. Alors que les financeurs ce sont nos partenaires de la ville, du département qui finance les associations, la politique de la ville qui finance les associations aussi, qui pourraient nous mettre en lien afin de permettre cette mise en place. D’autant qu’on s’est, on est tous persuadés, parce qu’on la fait tous avec des brins de ficelle, ça sort pas de ex nihilo cette affaire-là, c’est quelque chose qui a été

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expérimenté dans des établissements avec des liens particuliers, privilégiés avec certaines personnes qui ont accepté de faire ce type de choses comme ça. Mais sans convention, gentiment comme ça entre nous et on sait que ça fonctionne. »

Dans l’ensemble, nous remarquons que pour certains élèves, l’existence du dispositif est en soi un argument qui justifie la pertinence de l’exclusion. Mais avec quelles attentes précises ?