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III.2 D’ UNE PROBLEMATIQUE DE L ’ ELEVE A UN PROBLEME DE CADRE

III.2.2 Impact du contexte d’intervention sur le comportement de l’élève

III.2.2.1 L’élève perturbateur, idéal dans le dispositif : effet d’une approche éducative

L’observation frappante et partagée par les intervenants pour la quasi-totalité des élèves accueillis dans les dispositifs est relative à un comportement très contraire à celui qui leur est reproché au collège :

Richard Villon, chef du programme de réussite éducative de Nibourg

« Dans le dispositif ça se passe très bien, ils coopèrent bien, très bonne collaboration ils font les devoirs qu’on leur demande de faire, on est même étonné […]. Souvent des collégiens étant en difficulté scolaire ont tendance à se faire remarquer ou ont l’impression qu’on discute sur eux, que les anciens ne les aiment pas, c’est ce qui est assez récurrent. »]

Au-delà du fait que l’avis des élèves sur le dispositif soit souvent positif : « on est bien au dispositif, on est mieux considéré », ces derniers relativisent alors l’exclusion qui les y a menée : « c’est mieux que si on était dehors », « ici on travaille, chez moi j’aurai regardé la télé ça sert à rien ». Ainsi, l’exclusion apparait moins violente. Ce temps devient un temps non pas seulement de rejet de l’institution, mais de prise en charge dans un cadre plutôt apprécié :

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Tableau 9 : Réponse des élèves à la question : "comment t'es-tu senti dans le dispositif ?"

Lors de cet accompagnement dans le dispositif, les élèves sont 96,3 % à déclarer s’être sentis plutôt voire tout à fait bien. Ils n’associent pas le dispositif à une double-sanction, mais davantage à « une chance », c’est aussi ce qui leur est souvent répété par les adultes.

Tableau 10 : Réponse à la question "Pour toi venir ici c'est ...?"

On peut penser qu’à travers une intégration positive de l’élève dans le dispositif où il est accueilli selon un protocole particulier, l’élève a su trouver des repères rassurant malgré les circonstances de sa présence. Dans tous les dispositifs, l’élève à un temps de parole avec les intervenants durant lequel il se rend compte qu’il est écouté et réellement accompagné dans une démarche qui se dit « bienveillante ». Ils seraient d’ailleurs 80,3 % à conseiller à un camarade exclu de venir dans ce dispositif :

Tableau 11 : Réponse à la question "Si un élève est exclu de ton collège et que l'accueil au dispositif lui est proposé, que lui conseillerais-tu ? "

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Les élèves se disent satisfaits de l’approche des intervenants qui leur parait plus détendue, moins oppressante : « on apprend plein de choses ici, c’est plus sympa d’apprendre avec [l’intervenant] il sait aussi rigoler ». Notons la notion de plaisir ici associé à l’apprentissage, nous y reviendrons très vite.

Lorsqu’on questionne les élèves sur les effets du dispositif sur eux, avant qu’ils ne soient retournés au collège, ils pensent que les adultes ont apporté un soutien encourageant. Un élève explique ainsi :

Ali, élève de 4ème à Rouan

« J’ai déjà été exclu deux trois fois […] sans venir au dispositif, il était pas encore mis en place, et franchement ça sert. Parce qu’en plus on est avec les éducateurs avec qui on est, moi au début j’me suis dit « ils vont faire comme au collège, la morale, ils vont nous prendre la tête », mais en fait c’est plus cool ils nous comprennent plus. C’est, la sanction elle nous parait plus comme une sanction lourde. […] ça nous fait vraiment réfléchir à ce qu’on a fait, et on réfléchit pas que tout seul, on réfléchit avec d’autres personnes adultes, ils ont un autre point de vue. Ils vont nous montrer qu’ils ont un point de vue plus grave que le nôtre, nous on va se laisser un peu aller, et là on comprend vraiment pourquoi cette sanction elle a été prise. Et les mots qu’ils emploient quand ils nous parlent, c’est.., enfin, pas la morale qu’ils nous font, mais la façon dont ils nous parlent ça nous donne plus envie de recommencer, et vu comment ils sont avec nous on se dit « on va pas continuer à faire c’qu’on a fait ». On n’a pas envie de gâcher un peu ce qu’ils ont fait pour nous, et que quand on repart dans notre collège qu’ils nous voient plus dans ces conditions-là. »

Lorsque l’on interroge les intervenants qui ont accompagné l’élève sur le dispositif, ils sont 83 % à estimer que l’accompagnement du dispositif a été plutôt voire très profitable à l’élève :

Tableau 12 : Estimation du profit tiré par les élèves du dispositif

Les référents des dispositifs estiment que l’élève a pu se sentir valorisé :

Joakim Sada, directeur de l'association porteuse à Chamarais

« Tout d’abord c’est impossible, rattraper 4 ans de retard pendant une semaine c’est impossible. Mais c’est vrai, en termes d’explication, de leur rapport à l’école, « pourquoi ce comportement », et tout ça, moi je constate qu’il y a quelque chose qui se

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passe. Moi quand je me déplace avec les enfants et les questions que je pose, comme « est-ce que vous avez mérité cette sanction ? », et les réponses souvent c’est oui. Alors qu’avant, c’est jamais eux « c’est pas moi » parce que c’est toujours la faute de l’autre. Et parce qu’il y a un cadre… D’abord il y a un respect, parce que la question sur laquelle on travaille avec les intervenants c’est le droit au respect, même s’ils ont causé des problèmes, s’ils ont été exclus, il faut respecter leur dignité, leur existence. »

Nadia Soti, chef PRE porteur du dispositif de Pasquier

« Le but c’est qu’ils repartent à l’école dans des meilleures conditions, donc ce n’est pas d’y rester c’est vraiment d’y rester un moment pour se poser, réfléchir et pouvoir repartir dans de meilleures conditions »

Après s’être senti valorisé dans le dispositif, l’élève, en tout cas dans ses intentions, souhaite adopter un comportement sans conséquence fâcheuse au sein de son établissement, non moins pour soulager l’équipe éducative et enseignante de son collège que pour satisfaire un regard positif de la part des intervenants du dispositif. On le verra plus loin au chapitre IV.1.2.2, ce que nous appellerons « l’affectuosité » est une dimension à l’impact probable dans la qualité des interactions entre les élèves et les adultes qui les encadrent. Elle sous-tend l’idée du pacte reprise par Isabelle Astier209, où une situation qui demande une résolution suscite entre l’aidant et l’aidé une sorte de contrat moral informel qui justifie la tenue d’une conduite à des fins enthousiasmantes. Ici, l’élève a eu une expérience valorisante et positive, son comportement en a été le reflet au point d’ancrer en lui cette volonté de poursuivre le travail mené sur sa situation conflictuelle au sein du collège pour qu’elle ne le soit plus. Les considérations sont aussi le reflet de l’individualisation des accompagnements d’ordre social ou éducatif qui, en cherchant « l’émancipation et l’autonomie de la personne », ont ce versant inévitable de « la rendre responsable de sa vie »210. Or ce n’est pas si simple puisqu’en l’occurrence nous pourrons le vérifier chapitre III.2.2.3, les bonnes volontés de l’élève subiront le poids de l’institution et des forces collectives au sein de l’établissement scolaire sur lesquels il n’y aura pas de modification.

Lorsqu’un bilan est transmis au collège ou que l’intervenant référent rencontre le personnel, il témoigne d’observations positives telles qu’elles sont attendues selon les normes scolaires. Ainsi, on remarque que dans la majeure partie des cas, l’élève a adopté un comportement correspondant aux normes scolaires du collège : l’assiduité, la ponctualité, la participation, le comportement avec autrui.

209 ASTIER Isabelle, op. cit, 2010, p.56 210 ASTIER I, Ibid., p.33-34

146 Tableau 13 : Assiduité de l’élève dans le

dispositif

Tableau 14 : Ponctualité de l’élève dans le dispositif

En arrivant chaque jour au dispositif, l'élève a-t-il été : Taux de réponse : 98,2% Nb Non réponse 11 Ponctuel 374 En avance 153 En retard 67 Total 605 1,8% 61,8% 25,3% 11,1%

Nous pouvons en effet constater à travers les tableaux ci-dessus ainsi que les suivants que les intervenants ont observés des attitudes positives de la part des élèves :

Tableau 15 : Participation de l’élève dans le dispositif

La participation de l'élève aux activités du dispositif a été : Taux de réponse : 100,0% Nb Très importante 198 Assez importante 323 Pas très importante 73 Pas de participation 11 Total 605 32,7% 53,4% 12,1% 1,8%

Tableau 16 : Appréciation du comportement de l’élève par le dispositif

La majorité des élèves de l'échantillon a été assidue (87,9 %) et ponctuelle, voire en avance (87,1 %) au sein du dispositif. Ils ont eu une participation assez voire très importante (86,1 %), ainsi qu’un comportement assez voire très positif (87,8 %).

Sans évoquer le niveau scolaire, on peut dire qu’ils ont été de « bons élèves » vis-à-vis des normes scolaires traditionnelles (respect des horaires, de l’obligation de présence, participation, respect des règles). On peut dire que les élèves se comportent tel l’idéal pédagogique de Durkheim. Ceci ne s’explique pourtant ni par l’obéissance morale ni par la soumission à une certaine régularité utilitariste 211 , mais plutôt par une approche

211 ZAFFRAN Joël, « La discipline et la régularité à l'école républicaine et à l'école démocratique de masse », Éducation et sociétés, no 17, 2006/1

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particulièrement enthousiasmante de la part des détenteurs de l’autorité éducative sur ce temps-là :

Joakim Sada, directeur de l’association responsable du dispositif à Chamarais

« Nous on est content de trouver l’accroche pour que les enfants viennent parce qu’ils ont envie, et c’est ça à l’Éducation nationale qui manque, le mot ‘‘envie’’ pour eux [certains enseignants] ça devient le club med. On peut apprendre des choses sérieuses, mais en donnant une envie, c’est ça qui compte beaucoup dans la vie, qu’il soit un adulte ou un enfant, un enfant qui a envie de faire quelque chose il va réussir, s’il n’a pas envie tous les adultes qu’ils soient parents ou profs on ne peut pas faire grand-chose. »

Il est fréquent que les intervenants tiennent à rappeler le sérieux de leur travail malgré l’étonnement que peut susciter l’engouement de ces élèves à la mise au travail, apparemment moins fréquent en classe. Ce travail ne doit pas s’associer au sens étymologique du terme, mais bien à l’appétence que l’adulte parvient à faire émerger chez l’élève :

Nadia Soti, responsable du dispositif à Pasquier

« On peut tout travailler de façon ludique donc on a des jeux, on a le jeu « des chiffres et des lettres », on peut passer voilà par des choses où on essaye vraiment de leur faire, de leur montrer qu’on peut travailler sans que ça soit non plus un calvaire. Parce que pour eux l’école, ceux qui sont vraiment en rupture, avant même d’essayer, quand ça concerne l’école ou la classe, il y a déjà quelque chose qui se ferme […] et il y a déjà un rejet, alors que si on le fait en jeu, ils vont faire exactement la même chose qu’ils auraient fait à l’école et là ils vont réussir, pour eux ça va être facile, mais c’est pas dans le même contexte, et c’est pas appris de la même manière »

Il est en effet important de rappeler que l’approche éducative qu’ont les adultes exerçants au sein du dispositif est différente parce que ce sont des professionnels différents, ils ont une trajectoire ainsi qu’une formation différente et ils évoluent dans des cadres institutionnels différents. Certes, les méthodes de travail auprès des élèves sont donc elles aussi différentes, d’autant que les groupes d’élèves sont plus restreints et qu’ils permettent plus de réactivité, de créativité, de marge de manœuvre. On peut en effet faire des choses sérieuses malgré l’allure attrayante de l’activité, ce qui n’est pas impossible non plus en milieu scolaire avec d’autres méthodes pédagogiques selon des conceptions moins traditionnelles comme évoquées chapitre IV.2.3.2.

Les intervenants insistent presque systématiquement sur la dimension du « plaisir » qu’ils souhaitent nuancer pour éviter l’amalgame entre une prise en charge de loisir et un réel travail éducatif. Ils rappellent à chaque entretien combien l’élève est mobilisé dans la réflexion et qu’il est amené à s’investir d’autant plus qu’il se retrouve dans un petit groupe derrière lequel il ne peut pas se cacher.

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Les responsables rappellent que l’élève a bien conscience de la portée disciplinaire de sa présence dans le dispositif, aussi agréable soit-elle :

Nadia Soti, chef PRE responsable du dispositif à Pasquier

« Ça nous est jamais arrivé d’avoir un jeune qui était content de revenir, je vous le dis franchement, pourtant on est… Mais voilà nous, le message qu’on oriente ici, c’est aussi qu’on n’est pas non plus un centre de loisirs, il y a ce qu’il faut sur la ville pour ça. S’ils sont ici, c’est sur des temps d’exclusion donc on fait connaissance, voilà on essaye aussi de les mettre à l’aise, par contre on leur fait bien entendre, qu’on ne sera pas du tout content de les voir revenir, parce que c'est-à-dire que notre travail qu’on aura fait avec eux et bien ça n’aura pas abouti. »

Un chef d’établissement se félicite d’avoir mis à disposition des enseignants au sein du dispositif. Selon lui, malgré la facilité induite par le travail en petit groupe, il faudrait que cela porte ses fruits au sein même de la classe :

David Rhami, principal du collège Ladune à Sornais :

« Bon bah on est consacré sur trois élèves. Mais la solution c’est pas d’en arriver là. La conclusion ce serait que dans la classe un professeur fonctionne de la même manière qu’au [dispositif], mais dans la classe. C’est-à-dire qu’on s’adapte aux profils des élèves. Quand on arrive dans la classe on a à peu près trois groupes d’élèves un groupe qui suit, un groupe qui suit moyennement, et un groupe qui est largué. On essaie de faire des progressions ajustées, même s’il le faut on supprime un tiers programme comme ça on me fout la paix avec le programme et on évalue de façon contrastée, voilà, programme contrasté, évaluation contrastée. « Toi t’as progressé par rapport à ce que tu sais », voilà. »

En effet, le travail en classe est différent : l’effectif est plus important, le cadre institutionnel est marqué par diverses pesanteurs symboliques (évoqués dans le premier chapitre de cette thèse) et les conditions de travail des enseignants conditionné par diverses contraintes (temporalité, injonctions de programme, etc., j’en évoque davantage chapitre IV.2.1). Ceci dit, la manœuvre pédagogique n’est pas inexistante et nous évoquerons des exemples encore à la marge au chapitre IV.2.3.2. Ce sont les pistes pour les mettre en œuvre qui sont floues. Mais il apparait certain que la question de l’exercice de l’autorité éducative est une. D’ailleurs, Patrick Béranger212 décrit l’exercice de l’autorité en tant qu’outil indispensable pour pouvoir transmettre un contenu, et qu’il faut l’envisager comme un outil dans l’intérêt des élèves et non comme un pouvoir personnel de l’enseignant. L’autorité doit être l’occasion d’assurer « le bon ordre » dans la classe et d’assurer aux élèves une sécurité physique, morale, matérielle et mentale. Ainsi, sans être autoritariste, le référent du dispositif maintient son autorité dans l’intérêt des élèves, individuellement et collectivement.

212BERANGER Patrick, PAIN Jacques, « l’autorité et l’école fin de système », Ville école intégration, Diversité,

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Pour être à l’écoute des élèves, l’adulte doit pouvoir accepter ce qu’ils ont à dire, ce qui nécessite d’avoir un certain recul sur son propre travail. Anne Barrère explique d’ailleurs l’importance du « jeu subtil du bon usage de soi dans le métier d’enseignant » pour se protéger de ce qui peut être blessant en ne « [prenant pas] au sérieux son rôle pour pouvoir le jouer sérieusement »213. La notion d’apprentissage est alors indissociée de l’appétence.

L’appréciation des élèves sur plusieurs aspects est en cohérence avec celle des intervenants, puisque les tableaux suivants montrent une appréciation souvent positive de la part des élèves interrogés :

Tableau 17 : Appréciation par les élèves de leurs relations aux autres élèves du dispositif

84,7 % des élèves ayant répondu à la question trouvent que les relations avec les autres élèves ont été bonnes, voire très bonnes, sachant que pour les autres, ils sont 12,2 % à avoir été accueillis seuls sur le dispositif.

Il en est de même quant aux interactions avec les adultes du dispositif (positive pour 97,9 % des répondants) :

Tableau 18 : Appréciation par les élèves de leurs relations aux adultes du

dispositif

Les entretiens auprès des élèves révèlent que leur comportement jugé positif par rapport au cadre du dispositif serait dû au fait que l’élève adhère à la manière dont il y est traité. Il faut aussi dire que le temps est souvent consacré à un travail de réflexion qui semble attirer l’attention de l’élève. Les élèves qui étaient jusqu’alors perçus comme ayant « une relation compliquée avec l’institution scolaire » et ayant « des difficultés avec l’autorité » pour reprendre les propos des chefs d’établissement déjà cités, semblent en mesure d’avoir des

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interactions structurées et structurantes, loin de désordonner un ordre établi par un cadre d’autorité éducative qu’est le dispositif.

Nous l’avons déjà souligné, ce cadre éducatif est différent de celui de l’école (exigences académiques, pression des notes, nombres d’élèves par adulte, présence des pairs…), porté par des professionnels différents et compétents en matière de dialogue, d’écoute, d’éducation auprès des jeunes (éducateurs et psychologues en majorité). L’intervention sociale et éducative a quelque chose de particulier qui réside en l’accroche tenue avec l’usager. Ce qui est évident pour les intervenants ne semble pas l’être au sein de l’institution scolaire. Cependant, créer du lien social devrait probablement attirer davantage d’intérêt du point de vue pédagogique et ceci dès la formation des enseignants. En attendant, le lien créé avec l’élève au sein du dispositif s’il semble apaiser l’élève, rien n’assure que cet apaisement se propagera dans ses autres relations au sein du collège.

III.2.2.2 Les partenaires extérieurs comme prétexte pour revaloriser