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B Des événements à la provincialisation : de nouvelles perspectives pour les politiques de développement ?

1) La « valse des statuts »

Au cours de cette période, la Nouvelle-Calédonie voit son découpage modifié trois fois au gré des responsables politiques français et des altercations entre les militants indépendantistes kanak et la communauté européenne majoritairement loyaliste.

a) Le statut Lemoine

En 1984, le statut Lemoine est proposé par l’État français en réponse à la montée des revendications indépendantistes. C’est un découpage qui se veut de compromis. Il reconnaît l’existence de « pays coutumiers » revendiqués par les Kanak et propose un Conseil de gouvernement avec des compétences élargies. Le statut prévoit un scrutin d’autodétermination à la fin des années 1980. Cependant, il ne satisfait ni les loyalistes ni les indépendantistes. Les indépendantistes contestent en particulier la consultation pour

63 Expression empruntée à I. Leblic (1993). L’auteure utilise cette expression pour qualifier une période

plus large que celle que nous traitons ici, allant de 1948 à 1989. Nous avons choisi d’utiliser l’expression seulement pour les années traversées par les « événements » (1984-1989), années durant lesquelles les propositions de statuts se sont accrues.

l’autodétermination si le corps électoral n’est pas restreint64. Le Front indépendantiste appelle donc au boycott des élections territoriales de novembre 1984. Le camp indépendantiste est quasiment absent de l’Assemblée territoriale65. Certaines parties du territoire sont bloquées par des barrages empêchant le contrôle de l’État français.

Figure 4 : Le découpage du statut Lemoine et la reconnaissance des pays coutumiers (source : Pestaña, 2006).

b) Le statut Pisani

Face à la crise, E. Pisani est envoyé à la fin de l’année 1984 pour occuper les fonctions cumulées de délégué du gouvernement et de haut-commissaire de la République. Il propose un nouveau statut, celui d’« indépendance-association » mais la Nouvelle-Calédonie n’est pas prête (Pisani, 1992). Les indépendantistes y voient la satisfaction au moins partielle de leurs revendications mais les loyalistes se sentent trahis par l’État français et considèrent ce projet comme une indépendance déguisée.

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Suite aux vagues de migrations successives, les Kanak ne sont plus majoritaires au sein de la population calédonienne, c’est pourquoi les indépendantistes réclament une réforme du corps électoral réservant le droit de vote aux Kanak et aux non-Kanak nés dans le territoire ou ayant un ascendant né dans le territoire (Deslhiat, 1988).

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Les altercations se poursuivent. En l’espace de deux mois66, les indépendantistes font l’objet d’une embuscade meurtrière à Hienghène, dans le fief de J.-M. Tjibaou et un jeune Européen, Y. Tual, est assassiné sur une propriété à Bouloupari. Quelques jours plus tard, le meurtre d’E. Machoro par le GIGN attise les manifestations à Nouméa et les revendications en brousse. Le haut-commissaire propose alors un nouveau découpage en quatre régions auxquelles sont déléguées de nouvelles compétences telles que le développement économique et l’aménagement. Un référendum sur le statut d’indépendance-association est prévu pour la fin de l’année 1988.

Figure 5 : Le découpage du statut Pisani, proche du découpage actuel ? (source : Pestaña, 2006).

Ce nouveau découpage favorise l’électorat indépendantiste, plus important sur la côte Est. Après les élections de septembre 1985, le FLNKS67 gagne trois régions sur quatre : la région Nord, la région Centre et celle des Îles Loyauté. Par l’intermédiaire des présidents de région, les indépendantistes contrôlent le Conseil exécutif composé des quatre présidents et du président du Congrès. Dans ce dernier, les loyalistes s’avèrent majoritaires mais cette assemblée n’est que consultative.

66 Cf. annexe 2, chronologie simplifiée.

67 Front de libération kanak socialiste, qui se substitue au Front indépendantiste à partir de septembre

c) Le découpage du statut Pons

En France, le changement de majorité à l’Assemblée nationale de mars 1986 entraîne la nomination d’un nouveau ministre de l’Outre-Mer, B. Pons. Il maintient le découpage Pisani mais renforce les compétences pour le Territoire aux dépens des régions. Il assure également l’organisation du référendum d’autodétermination mais sans modification du corps électoral comme le souhaitent les indépendantistes. Le vote se tient en septembre 1987 et il est de nouveau boycotté par les indépendantistes. Le scrutin peu représentatif68 ne résout rien. B. Pons propose un autre découpage (Figure 6) qui n’est pas sans rappeler celui de l’administration coloniale de 1879. Contrairement au statut Pisani, c’est l’électorat indépendantiste qui est cette fois-ci dilué. La région Ouest, qui compte les communes périphériques de Nouméa (Païta et Dumbéa) où les loyalistes sont majoritaires, est perdue par les indépendantistes qui conservent la région Est et les Îles (Pestaña, 2006).

Figure 6 : Découpage du statut Pons (source : Pestaña, 2006).

Le FLNKS, non consulté pour la rédaction de ce nouveau statut, appelle à des actions de terrain. Le premier jour de l’élection présidentielle, date de la mise en vigueur du statut Pons, le drame d’Ouvéa commence : la gendarmerie est occupée par des militants indépendantistes, quatre gendarmes sont tués dans une fusillade et les autres sont pris en

68 L’appel au boycott est largement suivi : 82 % des Kanak inscrits sur les listes électorales s’abstiennent.

Seuls 57 % des inscrits se sont en réalité prononcés et les résultats donnent une grande majorité de suffrages exprimés pour le maintien dans la République (98,3 %) (Leblic, 2008).

otages et emmenés dans une grotte au nord de l’île. B. Pons, le ministre de l’Intérieur C. Pasqua et le Premier ministre J. Chirac décident d’intervenir en force avec l’appui des commandos militaires. L’intervention fera 21 victimes supplémentaires. Après la réélection de F. Mitterrand, le nouveau gouvernement de M. Rocard doit remédier à la situation calédonienne largement dégradée suite aux « drames d’Ouvéa ». Il envoie alors une mission de dialogue pour accompagner une démarche négociée concernant le statut du territoire mais intégrant également une réflexion sur les fondements des inégalités sociales, économiques et politiques.

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