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C La province Nord : un territoire permettant l’institutionnalisation de nouveaux instruments d’appui à son économie rurale ?

3) Le Code de développement provincial (CODEV)

Après avoir été pratiquement exclus du processus d’élaboration des politiques publiques (Soriano, 2001 ; Trépied, 2007), les élus kanak qui arrivent au pouvoir en 1990 peuvent mettre en œuvre les politiques publiques de développement rural qu’ils entendent. Très tôt, la stratégie envisagée est d’articuler politiques minières94, développement d'infrastructures et appui aux systèmes pluriactifs ruraux, issus de l’histoire des politiques de développement calédoniennes.

Cependant, ce n’est qu’après 1998 et la signature de l’accord de Nouméa que la politique minière prend corps avec le projet d’usine de transformation du nickel. Deux axes de travail sont alors explicitement retenus par la province Nord : les projets structurants et le développement local95. Dans cette stratégie, les projets structurants ont pour finalité la satisfaction des besoins en services des populations en écho à la notion de rééquilibrage, et la création d'emplois découlant du développement de l’industrie minière et des grands travaux d’infrastructures. Le développement local doit accompagner l'amélioration et la consolidation des systèmes pluriactifs tout en laissant aux individus et aux communautés le choix de leur développement : « Si certains veulent participer au développement moderne sur terres

coutumières, il faut qu’on leur donne la possibilité mais il faut laisser aux autres le droit de continuer à vivre selon la coutume et la tradition » (Néaoutyine, 2001, 2006). Dans cette

perspective, l’objectif de l’insertion au marché qui traverse l’histoire des instruments de politiques publiques mis en œuvre pour la population kanak n’est plus le seul visé. Théoriquement, la combinaison des résultats des deux pans de cette stratégie (projets structurants versus projet de développement local) devrait permettre à tout un chacun de définir un équilibre entre salariat et activités de production agricole, tout en assurant le rééquilibrage par rapport à la province Sud. Concrètement, cela se traduit sur le territoire

94 La volonté de gérer la rente minière n’est pas nouvelle, elle fait partie du projet politique porté par les

élus indépendantistes depuis les années 1980.

95 La stratégie de développement provincial est formulée pour la première fois dans ces termes dans la

provincial par la construction du projet de l’usine du Nord sur la Côte Ouest et de différents aménagements structurants, notamment collectifs96, et l’adaptation du Code de développement provincial.

Le Code de développement (CODEV) est l’un des principaux dispositifs d’appui au développement économique et aux initiatives individuelles et collectives en province Nord. C’est un dispositif d’appui aux initiatives sans ciblage sectoriel a priori : il est ouvert à toute personne résidant en province Nord et désireuse de développer une activité. Le Code intervient en subventionnant l’investissement réalisé par des porteurs de projets privés sous certaines conditions, selon des modalités et conditions d’attribution définies en 1989-90, puis révisées en 2003 et en 2008. Aujourd’hui, le CODEV propose un appui selon trois types de projets censés répondre à cette volonté affichée de « laisser le choix ».

• Les projets dits d’activités économiques « traditionnelles », les projets d’activités économiques « d’insertion » et les projets d’entreprises.

Le règlement définit un projet comme une « démarche économique dont l’objectif est la

création de richesse par la mise en place d'une unité de production de bien ou de service permettant d'améliorer les conditions d'existence de son initiateur » (cf. article 1, Assemblée

de la Province Nord, 2003). Les projets d'activités économiques « traditionnelles » sont caractérisés par un faible niveau d'investissement. L’objectif est de renforcer les activités de production ou de service qui trouvent des débouchés sur les marchés de proximité et permettent d'augmenter les ressources alimentaires et monétaires des familles. Pour ces projets, la part de la production commercialisée est réduite et se limite à financer les frais d’entretien et de fonctionnement des équipements subventionnés (ibid., cf. article 2).

• Les projets d'insertion économique concernent des initiatives visant l’augmentation significative des revenus monétaires tirés d'une activité de production familiale. L'activité est intégrée dans des structures et circuits économiques organisés (ibid.,

cf. article 14).

• Les projets d'entreprise se caractérisent par la recherche d’un équilibre économique au regard des normes du secteur marchand. Le projet devra permettre de dégager un revenu à hauteur du salaire minimum en vigueur (ibid., cf. article 18).

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Tels que des silos à grain, des centres de traitement pour la réception, le tri, le conditionnement et le stockage de fruits et légumes (DDEE, 2008).

À ces différents « types » de projets correspondent des règles d’accès et des niveaux de subventions. Nous ne les détaillerons pas ici, mais ils feront l’objet d’un développement particulier au cœur de la thèse.

L’évaluation du dispositif CODEV, réalisée en 2010 par l’IAC et le CIRAD, a recensé, pour les vingt années d’existence du CODEV, 3 446 projets appuyés, pour une somme de 46,484 millions d’euros (5,547 milliards XFP) de subventions (Gaillard et al., 2010). Cela représente un appui à 2 308 porteurs de projet et donc autant de ménages qui résident en province Nord. Le CODEV a ainsi financé directement 2 300 ménages, soit une population de 10 000 personnes représentant 23 % de la population provinciale97.

Les projets appuyés sont de taille très variable. En moyenne, la subvention provinciale demandée est de 9 280 euros (1 106 500 XFP) mais la médiane est de 3 810 euros (454 900 XFP) ; 581 projets ont eu des plans de financements supérieurs à 41 200 euros (5 millions XFP). Par plan de financement, on entend la subvention versée par la province Nord, en complément de l’apport personnel du porteur de projet et du crédit qui a pu être souscrit par ce dernier pour accompagner le versement de l’apport personnel. La concentration des subventions est forte puisque 10 % des porteurs de projets captent 50 % des subventions totales, alors que 9 % des subventions sont distribuées à la moitié des porteurs de projets (ibid.). Ces chiffres ne doivent pas être analysés trop rapidement. La forte dispersion renvoie à des déséquilibres spatiaux (Figure 11) mais pas seulement, elle traduit surtout la grande diversité de dynamiques appuyées par ce dispositif.

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Figure 11 : Répartition spatiale des subventions CODEV versées par commune entre 1989 et 2008 (source : DITTT-province Nord et Frappier et Sourisseau, 2009).

D’un point de vue géographique, l’évaluation montre que le CODEV a distribué deux fois plus de subventions pour le même nombre de projets sur la partie Ouest de son territoire que sur la côte Est. Ramenée à la population moyenne (1989-2009) des communes correspondantes, la subvention moyenne est 2,2 fois plus élevée sur la côte Ouest que sur la côte Est (Gaillard et al., 2010, p. 55).

L’agriculture représente une part conséquente dans ce dispositif : 2 095 projets sur les 3 446 appuyés relèvent du secteur agricole, soit 61 %. En termes de financements, cette tendance est à nuancer puisque les projets agricoles ne « captent » qu’un tiers des aides. Sur les vingt années de provincialisation, le CODEV a permis la distribution de deux fois plus de subventions sur la côte Ouest et le Grand Nord que sur la Côte Est. La Figure 12 ci-dessous confirme cette tendance entre 1999 et 2007.

Figure 12 : Répartition spatiale du soutien à l’investissement de la province Nord pour les exploitants agricoles entre 1999 et 2007 (source : DSI/SIM/DDEE).

Articulé au CODEV, on observe la multiplication d’un autre dispositif d’appui depuis le début des années 2000 : les Opérations groupées d’aménagement du foncier (OGAF).

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