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La valeur des données et des interprétations que j’en ai faites est liée aux circonstances dans lesquelles mon étude a pris forme. En effet, la décision de “monter dans le train en marche” et de me joindre à la démarche amorcée par l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec a conditionné le reste de mon étude, c’est-à-dire l’approche méthodologique et la collecte des données. Dans les pages qui suivent, j’expose les principales lacunes ou faiblesse des données et des interprétations de mon étude ainsi que les précautions mises en place pour en minimiser les effets.

4.4.1 ...en fonction de l’échantillon de participants

La démarche de l’Ordre était déjà amorcée avant que je m’y joigne; je n’ai donc pas pu exercer de contrôle sur la composition de l’échantillon de participants puisque c’est l’organisateur de la journée d’étude qui a lancé les invitations aux orthophonistes et aux audiologistes. Mon échantillon de participants est ce que Patton (1990) appelle un échantillon “opportuniste” (ou “d’occasion”). Je préfère quant à moi dire qu’il fut “circonstanciel”. Cependant, avec ce groupe de participants, j’ai accru mes chances de voir émerger de nouveaux repères, des modèles ou des définitions différentes puisque toutes ces personnes ont accepté de réfléchir et de débattre de questions peu habituelles.

Sur la base des choix préalables de l’organisateur de la journée d’étude et des réponses obtenues, mon échantillon de participants a les caractéristiques suivantes : une assez forte représentation de professionnels travaillant dans le réseau de la santé et des services sociaux, en centre de réadaptation surtout et avec une clientèle adulte; une plus faible représentation des professionnels œuvrant dans le réseau scolaire, ou auprès d’une clientèle d’enfants; et enfin, très peu d’audiologistes, trois seulement, qui ont accepté tous les trois de participer également aux entrevues individuelles. En outre, peu de participants avaient une pratique centrée sur les troubles de la parole, la plupart œuvrant auprès d’une clientèle adulte ayant des troubles du langage ou des troubles de l’audition.

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Par ailleurs, deux participants (dont un seul a été rencontré en entrevue individuelle) pratiquaient selon une approche écosystémique. Ne sachant combien de professionnels basent leur pratique sur des principes systémiques, il est difficile de savoir si cette proportion est faible ou non. Malgré la forte représentation des orthophonistes par rapport aux audiologistes, 13:3 (ce qui sensiblement le même rapport que celui celui des membres de l’Ordre), malgré l’absence de professionnels travaillant auprès de clientèles spécifiques25, les propos des professionnels que j’ai rencontrés ont de la valeur bien qu’ils ne peuvent pas être qualifiés de représentatifs de la conception de tous les membres de l’Ordre par exemple.

4.4.2 ...en fonction de la nature des données

Une autre limite de mes résultats tient à la nature orale d’une large part de mes données. Bien que j’aie enregistré les discussions de la journée d’étude et les entrevues individuelles sur bande audio, bien que je me sois assurée de la fiabilité de mes données par les procédures exposées plus haut -- transcriptions verbatim, écoutes multiples des bandes audio pour éliminer les erreurs de transcription, révision par les participants etc. -- il reste que ce sont des propos dits et par conséquent, enregistrés puis transcrits26 qui ont été analysés. De manière évidente, les non-dits, les sous-entendus, les phrases en suspens, les silences, l’implicite, les chevauchements, etc., en somme tout ce qui s’ajoute aux dits et contribue à la richesse d’une conversation, n’ont pu être enregistrés et transcrits, et donc n’ont pas pu être analysés.

La nature qualitative de mes données a imposé ses limites aux analyses : comme l’entrevue et la discussion en groupe sont à la fois discours spontané et conversation, ils ont été fortement influencés par le contexte. Ainsi, des facteurs comme le savoir partagé, les inférences qui peuvent ou doivent être faites à partir d’une affirmation, les phrases laissées en suspens, etc., font partie de l’expression orale et ne peuvent être transcrites. Il est toujours possible de noter par écrit des impressions mais il sera toujours difficile de représenter le caractère unique et singulier d’une conversation ou d’une discussion.

Par ailleurs, la relation que j’ai établie avec chacun de mes interlocuteurs en entrevue individuelle a aussi contribué à rendre certaines questions plus difficiles à poser que d’autres.

25Parmi les 16 orthophonistes ayant accepté de me rencontrer en entrevue individuelle, il n’y avait pas d’orthophoniste spécialisé dans les troubles de la voix et de la parole ni d’audiologiste travaillant auprès des enfants. 26Des participants ont ajouté quelques commentaires écrits sur le verbatim de leur entrevue, commentaires qui ont été intégrés dans l’analyse, mais l’importance des propos dits dépasse largement celle des propos écrits.

Je pense ici au malaise que j’ai eu à m’informer auprès d’eux des succès et des échecs de l’intervention. Cette question survenait généralement après une description du travail, des changements survenus depuis les dernières compressions budgétaires et des conditions souvent difficiles de la pratique. Demander ensuite quels sont les échecs dans la pratique m’a paru à chaque fois un sujet délicat à aborder. Je préférais poser la question des critères de réussite et inférer à partir de la réponse ce que pouvaient être les critères des échecs. Ceci pour montrer que la qualité des données dépend du chercheur. Toutefois, en demandant à chacun des participants de relire et de commenter la transcription de l’entrevue, il me semble avoir pris les précautions nécessaires pour m’assurer de la fiabilité de mes données. En ce qui concerne les transcriptions des discussions de groupe de la journée d’étude, je me suis assurée de leur qualité en écoutant et en relisant à quelques reprises les bandes audio.

4.4.3 ...en fonction des procédures d’analyse

Si le codage ou la réduction des données27 -- repérer les extraits d’entrevue ou de discussion porteurs de sens et les décrire par de courtes phrases -- fait partie des étapes qui précèdent l’interprétation, il est aussi une première interprétation des données. L’organisation des descripteurs en tableaux synthèse est une seconde interprétation. Pour m’assurer de la validité de ces premières interprétations, j’ai régulièrement soumis les résultats de mes classifications à mes directeurs de recherche afin d’en discuter avec eux et d’en arriver à décrire avec précision (i.e. la précision étant ici l’expression juste du sens, Haldemann, 1993) l’ensemble de mes données. Après plusieurs reformulations des thèmes et des sous-thèmes de mes classifications, je crois être parvenue à rendre assez bien compte de mes données, n’écartant en fin de compte qu’un petit nombre de descripteurs et d’extraits28 (cf. annexe 8).

Pour des raisons de faisabilité et d’éthique de la recherche, je n’ai recontacté aucun des participants de ma recherche dans le but de valider mes interprétations. En effet, entre le moment où ils ont participé à la recherche et le moment où j’ai finalisé mes interprétations, il s’était écoulé, dans le cas de la journée d’étude, près de quatre ans. Se souviendraient-ils de ce qu’ils avaient dit quatre ans plus tôt? Seraient-ils toujours d’accord avec ce qu’ils m’avaient dit ou devrais-je revoir mes interprétations? Ajoutées aux difficultés que j’aurais eu à retracer certains d’entre eux, particulièrement ceux qui n’avaient participé qu’à la journée d’étude, j’ai

27C’est là une caractéristique de la recherche qualitative : des centaines de pages d’entrevue dont il faut tirer du sens. Ici, ce sont près de 1000 pages d’entrevues et de discussions qui ont été réduites au contenu de cinq tableaux... 28J’ai écarté 72 descripteurs dans cinq catégories d’analyse (correspondant à mes cinq tableaux de résultats au chapitre 5) sur un total de 687, soit un peu plus de 10% (entre 4 et 16% selon les catégories) (cf. annexe 8).

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considéré que cette validation n’était pas nécessaire. En outre, les seize participants aux entrevues individuelles avaient signé un formulaire de consentement dans lequel la nature de leur participation se limitait à une entrevue et une révision de la transcription de l’entrevue. Solliciter une nouvelle fois leur participation à ma recherche aurait demandé, je crois, de leur faire signer un autre formulaire de consentement soumis auparavant à l’approbation d’un comité d’éthique. Et si, idéalement, je les avais quand même rejoints, je n’aurais pu éviter que mes interprétations “donnent lieu à des oppositions sérieuses de la part de ces informateurs sans que les données à l’appui soient contestables.” (Contandriopoulos et coll., 1990, p.84). C’est pourquoi je m’en suis tenue uniquement à une validation continue de mes résultats par mes deux directeurs de recherche29.

4.4.4 ...en fonction du caractère exploratoire de l’étude

Le caractère exceptionnel de la démarche de l’Ordre pourrait être considéré comme une limite de mon étude puisqu’en théorie, il est impossible de la répliquer. En outre, les résultats de la recherche sont spécifiques à ce groupe particulier d’orthophonistes et d’audiologistes, dans le contexte particulier de la validation du modèle Processus de production du handicap et de sa nomenclature. En conséquence, je ne prétends pas que mes résultats peuvent être généralisés à l’ensemble des professionnels. Toutefois, ils m’apparaissent refléter des tendances qui se devinent au sein de chacune des professions. Compte tenu du caractère exploratoire de la recherche, j’estime que les résultats de mon étude peuvent, ou bien guider une étude du même genre à plus grande échelle, ou bien servir de base aux questions d’une enquête plus formelle auprès d’un plus grand nombre de professionnels. Si mes résultats de recherche ne sont pas représentatifs ou généralisables, je pense néanmoins qu’ils sont transférables ou exportables... Au lecteur d’en juger dans les chapitres qui suivent.

29Soulignons ici que l’un de mes deux directeurs, GLD, a été un participant de ma recherche puisqu’elle était présente à la journée d’étude de l’Ordre. Bien que juge et partie, il demeure qu’elle a agi également en informateur-clé et a ainsi contribué à la validation de mes interprétations.

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Sont présentés dans les pages qui suivent, les résultats des analyses selon trois grandes dimensions, à savoir : le modèle qui a déclenché et circonscrit la réflexion des orthophonistes et des audiologistes, la pratique professionnelle comme lieu de l’élaboration et de l’expression concrète des modèles et des représentations de la communication et de ses troubles, et les définitions de la communication données par les orthophonistes et les audiologistes. Pour justifier en quoi ce que des orthophonistes et des audiologistes disent du modèle du PPH et de leur pratique est important pour comprendre d’où viennent leur définition de la communication, j’ai adopté l’analogie des dimensions d’un texte, décrites par C. Javeau (1998), analogie déjà évoquée au chapitre 2. Postulant que “tout échange s’articule sur une trilogie dimensionnelle, à savoir prétexte-contexte-texte”, j’ai associé à la notion de

prétexte le modèle du Processus de production du handicap, puisque c’est à l’occasion de sa

révision que des orthophonistes et des audiologistes ont été appelés à réfléchir sur la communication. Cette réflexion a conduit à la production de deux textes : l’un, issu de la journée d’étude et des travaux du comité formé ensuite, qui est en fait le texte de l’Avis

préliminaire... envoyé par l’Ordre aux auteurs du PPH, et l’autre, qui résulte de

l’interprétation des propos tenus par les participants aux discussions de groupe de la journée d’étude et les seize participants rencontrés en entrevue individuelle et portant sur leur définition personnelle de la communication. Enfin, j’associe à la notion de contexte ce qui a trait au cadre, à ce qui a entouré les définitions de la communication et qui leur donne sens, à savoir la pratique professionnelle.

Je présente selon un ordre disons chronologique, le prétexte et le contexte, puis les représentations de la communication, l’un des deux textes et je termine le chapitre par la présentation et l’analyse de l’autre texte, celui que l’Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec a fait parvenir aux auteurs du Processus de production du handicap.

Prétexte : n.m. 1. Raison alléguée pour dissimuler le

véritable motif d’une action. 2. Ce qui permet de faire quelque chose; occasion.

(Le Petit Robert)