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5.3 Le premier texte des orthophonistes et des audiologistes définissent la

5.3.4 Définir la communication guidé par des principes systémiques

Bien que peu de participants se basent sur les principes de la théorie des systèmes et de la

Nouvelle communication pour définir la communication, j’ai jugé utile de créer une catégorie

pour regrouper les extraits qui m’ont paru s’aligner sur ces principes. En entrevue individuelle, l’un des participants se réclamant de l’approche systémique n’a eu aucune hésitation ni aucune peine à définir la communication :

“La systémique, c’est une vision de la communication (..) qui est d’abord et avant tout, la communication c’est une relation.. entre deux ou plusieurs individus et une relation qui est.. circulaire et réciproque. C’est-à-dire que.. dans la communication, y a donc deux volets : le volet que Bateson appelle la “définition de la relation” pis le volet d’la “transmission d’informations”. La définition de la relation, c’est-à-dire que toi pis moi quand on se rencontre, on communique.. on se définit l’une par rapport à l’autre. Et ceci, c’est un processus qui est circulaire et réciproque. C’est-à-dire que.. toi en adoptant une position, tu me définis.. dans une position complémentaire. Et moi, en prenant une position, j’te définis dans une position complémentaire (..) la définition de la relation, c’est un volet extrêmement important de la communication. L’autre étant la transmission d’information. C’est-à-dire qu’à travers la relation qu’on s’est dit qu’on allait jouer l’une par rapport à l’autre.. on s’transmet du contenu.” (P17, lignes 1291-1310).

Entrer en relation et transmettre du contenu, deux aspects inséparables du message, l’un et l’autre se construisant en même temps, l’un par l’autre. En d’autres mots, l’un n’est pas le préalable de l’autre : la transmission du contenu n’est pas un prérequis au développement des relations, ni les relations un prérequis à la transmission : “un jeune bébé, est-ce qu’on peut

dire [qu’]il a des capacités relationnelles? Pourtant, il a appris à communiquer. Pis au fur et à mesure qu’il développe ses relations.. (..) ça se.. construit.. au fur et à mesure.. (...) y a des recherches qui démontrent qu’y a pas d’pré-requis.. non plus, même pas cognitifs (..) les seuls pré-requis à communiquer, ce sont.. les opportunités de communiquer. Le restant..” (gr.1, lignes 122-132, 140-150).

Dans un cadre systémique, la communication est d’abord définition de la relation puis

transmission d’informations : “si y a une problématique de jeu relationnel, ben nécessairement, ça va avoir des conséquences au niveau de la transmission d’informations. D’où la primauté de la définition de la relation sur la transmission d’informations. (..) J’te donne un exemple. Si t’es en chicane avec ton chum, pis là, vous vous assoyez pour souper pis qu’il te dit “Passe-moi le sel.” Y a des chances que tu l’prennes pas juste sur le niveau du contenu. Mais ça peut être “Qu’est-ce qu’il m’veut lui là avec passe-moi le sel?” Alors ça, c’est la relation. C’est-à-dire que le contenu.. perd sa signification.” (P17, lignes 1307-

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1327). La communication, selon l’un des participants du groupe 1, a deux aspects : indice et ordre. Dans les mots de Bateson, cela veut dire que

“quand A parle à B, quels que soient les mots qu’il utilise, ils auront ces deux aspects : ils parleront à B de A, véhiculant de l’information sur quelque perception ou quelque connaissance portée par A (indice), et ils seront une cause ou un fondement d’actions ultérieures de B (ordre)41.” (Bateson & Ruesch, 1988, p.206).

Certains postulats de la systémique, en particulier ceux mis en forme par l’École de Palo Alto, étaient connus de quelques participants (on ne peut pas ne pas communiquer) et ont peut-être influencé leur représentation de la communication : “La communication, c’est pas rien que

des mots.. y a plein d’affaires” (P12, lignes 558-578). Pour certains, l’intention est inhérente

à l’acte de communiquer, pour d’autres, qui pratiquent selon les principes systémiques :

“--Tu communiques dans un but! Sauf ton intention (..) sera pas nécessairement toujours perçue comme tu voudrais qu'elle le soit nécessairement. Là, c'est là que l'interprétation entre en.. [ligne de compte]

--Pis c'que tu communiques n'est pas nécessairement toujours conscient non plus.. N'est pas toujours.. n'est pas nécessairement toujours volontaire.. C't'à-dire moi j'voudrais bien peut- être avoir l'air... super détendue.. c'est mon intention. (rire) Mais dans l'fond... mon non- verbal communique le contraire..” (gr.2, lignes 1054-1069).

5.3.5 En somme...

Une première trilogie texte-prétexte-contexte est complétée. Je retiens trois choses des propos des participants aux groupes de discussion de la journée d’étude et aux entrevues individuelles : la première, c’est que la tâche de définir la communication s’est avérée plus difficile que je ne l’aurais cru. Les hésitations des participants, en entrevue individuelle, témoignent éloquemment du malaise qu’éprouvent les spécialistes des troubles de la communication à définir une notion qui apparaît aux yeux de plusieurs -- et aux miens -- comme l’objet de leur pratique. Mais peut-être faut-il mettre ces réticences au compte des contraintes imposées par le modèle et sa nomenclature? Ou alors faut-il croire que la communication n’est pas l’objet de la pratique des orthophonistes et des audiologistes?

Pour ma part, je pense comme Y. Winkin qui qualifie la communication de terme fourre- tout42, tellement qu’il devient difficile de statuer sur une seule acception. Par ailleurs, pour des professionnels plus habitués de voir des personnes ayant des troubles de la communication, il aurait probablement été plus facile de définir le trouble. Dans le cadre d’une nomenclature des éléments qui contribuent à la production du handicap, la tâche aurait au moins eu l’avantage d’être plus cohérente. J’ai vu dans leurs hésitations et leurs réticences, les effets d’une pratique passée à répondre aux besoins pressants d’une clientèle qui croît sans cesse. Puis-je ajouter que je comprends les praticiens d’être moins enclins à se poser des questions sur leur pratique et son objet... et que je salue en même temps les efforts qu’ils ont fait pour répondre à ces questions.

Une deuxième chose ressort : les professionnels ne tiennent pas à se passer des modèles de base et de leurs concepts. Les définitions du langage, de l’audition, les concepts d’émetteur et de récepteur, le message, le code linguistique, etc., suffisent à la plupart des participants pour définir la communication. Puisque ce sont des composantes qu’ils évaluent, qu’ils tentent de rétablir, et auxquelles ils sont sensibles dans leurs interventions, il est logique de les retenir dans leur définition de la communication. Mais comment intégrer ces composantes en une

représentation de la communication? Une chaîne ou un modèle centré principalement sur la

transmission d’information sont-ils justes, suffisants? J’y reviendrai dans le chapitre suivant. Troisième chose : bien que la vision systémique de la communication ait quelques adeptes au sein de la profession (des orthophonistes surtout, pour ce que j’en sais), et qu’il existe des approches systémiques permettant d’intervenir auprès des personnes affectées par un trouble, il faut peut-être se demander si les professionnels sont prêts à élargir et à enrichir leur représentation de la communication. Avant que des principes comme ceux de la Nouvelle

communication ne soient intégrés dans la pratique des orthophonistes et des audiologistes, il

faudra que s’accroisse le nombre de praticiens qui appliquent avec succès l’approche systémique. Et, bien entendu, qu’elle soit enseignée.

Dans la dernière section de ce chapitre, je présente les résultats de l’analyse du contenu du deuxième texte. Je rappelle que les discussions de la journée d’étude avaient pour but d’identifier un ensemble d’éléments devant entrer dans une définition de la communication. Ces éléments ont été notés, rassemblés puis soumis aux discussions des membres du comité

42À cet égard, l’anecdote suivante est particulièrement révélatrice : un caméraman, une orthophoniste, un ingénieur en physique des micro-ondes et un pasteur se retrouvent autour d’une table à discuter de leur métier. De leur discussion, ils constatent qu’ils travaillent tous... en communication! Compte tenu du caractère polysémique de la communication, qui pourrait leur donner tort? (C. Navennec, communication personnelle)

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de l’Ordre formé à la suite de la journée d’étude. Au cours des derniers mois de 1997, ces professionnels ont discuté de la définition de la communication proposée dans la nomenclature du Processus de production du handicap et des modifications qu’ils souhaitaient y apporter afin qu’elle reflète la réalité des orthophonistes et des audiologistes. Des travaux du comité est issu un document d’une vingtaine de pages qui a été envoyé en décembre 1997 aux auteurs du PPH. Ce document contient les (pro)positions des orthophonistes et des audiologistes pour définir la communication : il est le deuxième texte.

Porte-parole : n.m.inv. 1. Personne qui prend la parole au nom de qqn d’autre, d’une assemblée, d’un groupe. 2. Ce qui représente les idées (de qqn).

(Le Petit Robert)

5.4 Le deuxième texte -- quand des orthophonistes et des audiologistes représentent la