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5.1 Le prétexte des orthophonistes et des audiologistes participent à la

5.1.2 Le PPH et l’objet de la pratique professionnelle

Quel est l’objet de la pratique de l’orthophoniste? le langage, la parole ou la voix? quel est l’objet de la pratique de l’audiologiste? l’audition? Ne seraient-ce pas plutôt les différents “troubles de”? L’objet de la pratique de ces deux professionnels pourrait-il être le patient/client? ses habitudes de vie, ses aptitudes ou encore les situations de handicap? Dans le même ordre d’idée, on pourrait se demander quel est l’objet de la pratique des professionnels de la santé que sont les médecins par exemple? Est-ce la santé? ou la maladie? L’objet d’une pratique est-il ce sur quoi on travaille ou ce que l’on vise par ses actions? Difficile de répondre sans hésitation à ces questions. Dans la section précédente, les commentaires des participants portaient sur la réadaptation tandis que dans cette section, leurs commentaires portent plus directement sur leur travail, ce que j’associe plus volontiers à l’objet ou au contenu de leur pratique. Cette fois encore, les propos des participants sont divisés : on croit que le PPH aiderait à mieux définir l’objet de la pratique ou à tout le moins de le cerner, tout en demandant comment le modèle et sa nomenclature pourraient définir l’objet des interventions.

5.1.2.1 On voit bien comment le PPH peut aider à définir cet objet

Quoi qu’il en soit des pratiques, des milieux, des situations, de l’expérience du professionnel, l’objet de l’intervention de l’orthophoniste et de l’audiologiste est changeant, ses contours sont parfois flous, parfois très précis. La notion de handicap par exemple, qui se retrouve dans le PPH, est réinterprétée en fonction des situations : “une personne malentendante qui

s’brosse les dents, n’est pas une personne handicapée au moment où elle se brosse les dents. A’ va l’devenir seulement si y a quelque chose.. à l’extérieur.. quelqu’un sonne à la porte pis a’ l’a pas c’qu’i’ faut pour détecter la sonnerie.” (P2, lignes 159-187). Il aurait

fallu pousser un peu plus loin cet exemple et mentionner que ce n’est pas le fait de ne pas entendre la sonnette qui “rend” la personne handicapée (ou dans les termes du PPH, qui cause une situation de handicap) mais ce que cela entraîne pour cette personne. Il suffit d’imaginer que ce soit un importun qui sonne pour trouver que la situation n’est pas si terrible...

Pour les participants qui travaillent dans des établissements de réadaptation et qui n’ont plus autant de latitude qu’auparavant31, le modèle et la nomenclature du PPH servent à démontrer l’importance du langage (dans le cas des orthophonistes) et la gravité des problèmes engendrés par les troubles du langage, confirmant du coup l’utilité de leurs interventions : “y

a.. 10 ans là, même y a 5 ans, on n’admettait pas un patient dans un.. centre de réadaptation quand i’ avait uniquement un problème de langage. (..) C’est important d’admettre des gens qui ont uniquement un problème de langage.. en rééducation.” Parce que le langage, c’est une dimension de vie aussi importante que marcher. La communication est aussi important que marcher.”32 (P9, 1019-1034, 1052-1083). Bien que l’extrait se termine par une affirmation sur l’importance de la communication, on sent que c’est le problème de langage qui est au centre des préoccupations de l’orthophoniste.

Le PPH permet, semble-t-il, d’élargir la portée des interventions des orthophonistes et des audiologistes puisqu’il fournit une grille supplémentaire pour interpréter la réalité des patients/clients : “J’veux pas faire d’la syntaxe juste pour faire d’la syntaxe. (..) i’ faut qu’on

regarde les conséquences d’la maladie. Mais les vraies conséquences. Les conséquences pas juste sur le corps mais.. dans ta vie.” (P7, lignes 499-504). Adopter la vision du PPH

implique de voir la personne du patient/client dans sa globalité : “J’ai quelque chose de

concret pour partir, pour vraiment tenir compte d’une personne, dans sa globalité. C’est pas rien qu’des oreilles, c’est pas juste.. un problème de communication, c’est une personne qui a.. une famille ou pas, qui fait plein d’choses, qui a du support ou pas..” (P5, lignes 249-

263). En fait, l’application du modèle et de sa nomenclature pour structurer les interventions rendent légitimes des objectifs que les participants jugent plus près de la réalité du patient/client, une réalité qui serait révélée par l’application du PPH...

5.1.2.2 On voit mal comment le PPH peut aider à définir cet objet

D’autres participants ne croient pas que le modèle Processus de production du handicap ni sa nomenclature puissent les aider à préciser l’objet de leurs interventions. Ils reconnaissent l’importance du handicap mais voient mal comment l’évaluer avec les outils dont ils disposent en clinique. S’il est possible d’objectiver et de mesurer la sévérité d’un trouble du langage par exemple, les orthophonistes ne pensent pas qu’il soit possible d’en faire de même du

31Avant les compressions budgétaires et la réforme imposées au système public de santé, c’est-à-dire vers le milieu des années ‘90.

32 Pour la petite histoire, signalons qu’au cours des réunions du comité de l’Ordre, certains membres ont suggéré de retirer l’item communication de la liste des habitudes de vie du PPH.

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handicap : “c’est comme.. le langage.. à partir de combien de mots t’es handicapé t’sais?

(..) ce modèle-là peut pas nous aider. Dans l’sens où c’est à nous à le construire maintenant au niveau d’la communication, ce modèle-là.” (P14, lignes 960-968).

Plusieurs des commentaires des participants portent sur la place réservée à la communication dans le PPH : les uns disent que la communication n’est pas une habitude de vie ou à tout le moins, qu’elle est une habitude de vie spéciale parce qu’elle est nécessaire à la réalisation de plusieurs autres. Un participant cite l’exemple d’une consultation en physiothérapie pour régler un problème de mobilité (habitude de vie reliée au déplacement), pour montrer le caractère préalable de la communication puisque la consultation repose nécessairement sur la communication entre l’intervenant et le patient/client. Ce qui a conduit certains participants à considérer l’option de remplacer la case non-définie de l’interaction dans le modèle du PPH par l’item “communication”, rendant ainsi plus explicite son caractère préalable.

Au compte des limites de la nomenclature du PPH pour les besoins des orthophonistes et des audiologistes, quelques participants jugent qu’il leur est impossible de tracer un portrait juste ou complet des besoins des patients/clients : “j’trouve qu’un individu n’est pas juste des

habitudes de vie. Y a.. pas de senti là-dedans, y a pas de.. bien-être, y a pas de satisfaction personnelle, d’épanouissement, de rôle social (..) par le rôle que t’as dans la société, tu te revalorises.” (P12, lignes 964-971). Certains ont des difficultés à voir comment la

communication peut résulter d’une interaction (addition?) entre une capacité et un facteur environnemental : “Lire le journal.. enlevons.. les incapacités là.. prenons juste des individus

normaux.. ben lire.. c’est une aptitude. Le journal, c’est un facteur environnemental. Tu mets les deux ensemble pis t’arrives à une habitude de vie qui est.. un loisir. Ou qui est peut-être le travail, si t’as besoin d’lire le journal pour ton travail, évidemment c’est.. (..) en tout cas, c’est resté encore.. flou là..” (P8, lignes 1197-1211). D’autres cherchent ce qui est spécifique

aux habitudes de vie reliées à la communication et ne se retrouve pas dans les autres habitudes de vie : “j’me suis trouvée (..) à défendre.. une position qui était de faire sauter la catégorie

communication.. Or, j’suis.. tout à fait ouverte d’la garder. Mais j’veux que quelque chose rentre dedans. J’veux pas la garder juste par principe.. (..) juste pour dire.. “J’veux une catégorie communication parce que la communication est importante pis (..) moi, j’suis orthophoniste pis j’veux avoir une job t’sais?” Non. (..) Moi, c’que j’veux, c’est [répondre à la question] Qu’est-ce qu’on va mettre là-dedans qui rentre pas ailleurs?” (P7, lignes 525-

Les participants ont fait d’autres commentaires -- sur lesquels je reviendrai dans la l’interprétation et la discussion des résultats -- qui portent sur la version modifiée du PPH contenue dans la proposition du comité CIDIH de l’Ordre (Avis préliminaire... OOAQ, 1997). Mais ces commentaires renvoient non pas à l’objet de la pratique professionnelle, mais à la pratique elle-même et à la profession dans son ensemble.

5.1.3 En somme...

Prétextes d’une réflexion sur la notion de communication, le modèle Processus de production du handicap et sa nomenclature ont été non seulement des déclencheurs mais

également des révélateurs de la position occupée par les orthophonistes et les audiologistes dans l’univers de l’adaptation et de la réadaptation. En effet, ne sachant trop quels étaient les enjeux entourant l’adoption et l’utilisation du PPH, les orthophonistes et les audiologistes ont eu des réactions mitigées quand je leur ai demandé s’ils croyaient pouvoir influencer son contenu.

Les orthophonistes et les audiologistes que j’ai rencontrés se demandaient 1) s’ils devaient

adopter inconditionnellement le PPH et sa nomenclature, auquel cas ils ne se sentaient pas

autorisés à en bouleverser l’organisation et 2) s’ils pouvaient adapter le PPH et jusqu’où ils pouvaient le faire. Chacun des participants m’a paru hésiter entre ces deux options : adopter ou adapter. Adopter comporte l’avantage de mieux répondre aux besoins concrets et aux attentes des patients/clients, de faciliter les relations avec les autres intervenants en utilisant le vocabulaire de la nomenclature, de préciser les éléments qui contribuent au handicap, etc. (et des bénéfices marginaux comme celui de se faire reconnaître dans son milieu et comme profession) mais peut aussi imposer des limites, des contraintes qui s’ajouteront aux contraintes inhérentes à leur pratique. Adapter -- c’est le mandat qu’ils ont reçu de l’Ordre -- peut aussi s’avérer risqué : jusqu’où pouvaient-ils modifier les définitions et les catégories ne sachant trop à quels usages serait réservé le PPH? Comment reprendre la définition d’une notion aussi vaste et floue que celle de la communication? Cette ambivalence s’est traduite dans l’alternance des catégories de ma classification.

En ce qui a trait aux rapports entre le PPH et la notion de communication, la majorité des participants se sont accordés sur le caractère préalable, fondamental, essentiel de cette faculté et sur les lacunes de la nomenclature qui ne permet pas d’en rendre compte adéquatement. Là où ils ont eu de la difficulté à s’entendre, c’est au moment de traduire ce caractère dans leur

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proposition de modification, l’un des deux textes. Connaissant la teneur de ce texte, c’est-à- dire le document envoyé aux auteurs du PPH par l’Ordre (dernière partie de ce chapitre), je peux dès maintenant qualifier le prétexte du PPH de pré-texte, c’est-à-dire un texte préliminaire ou antérieur et dont les termes sont demeurés à peu près les mêmes. J’y reviendrai.

Déclenchée par la révision du contenu de la proposition Processus de production du

handicap, la réflexion sur la notion de communication -- et sur la façon dont il conviendrait

de la définir -- s’est forcément inscrite dans le contexte particulier de la pratique des orthophonistes et des audiologistes ayant accepté de mener à terme cette réflexion. Les commentaires des participants en ce qui a trait aux différentes dimensions de leur pratique constitue la deuxième partie de ce chapitre.

Contexte : n.m. 1. ensemble du texte qui entoure une unité

de la langue (mot, phrase, fragment d’énoncé) et qui sélectionne son sens, sa valeur. 2. ensemble des circonstances dans lesquelles s’insère un fait.

Le Petit Robert

La réflexion sur la notion de communication et les définitions qu’ont formulées les orthophonistes et les audiologistes ne se comprennent bien que si l’on connaît les principales caractéristiques de leur pratique, que si l’on connaît le contexte de la définition de la communication. Une même définition, par exemple “la communication est le processus par lequel un émetteur transmet un message à un récepteur” n’a certainement pas la même portée si c’est un orthophoniste ou un audiologiste qui l’exprime plutôt qu’un ingénieur...

Pour décrire le contexte qui permettra de comprendre les textes produits par les orthophonistes et les audiologistes sur la notion de la communication, j’ai retenu tout ce que les seize participants aux entrevues individuelles ont dit concernant leur profession, leur milieu de travail, le réseau de la santé ou de l’éducation, le monde de la réadaptation, leurs relations avec les collègues et les pairs, et les critères dont ils se servent pour juger de l’issue d’une intervention.